Histoire
romaine, par Dion Cassius
Livre XLIX |
Comment César vainquit Sextus et renversa Lépidus
1. Tels furent les faits qui s'accomplirent l'hiver où L. Gellius et
Coccéius Nerva furent consuls. Quand la flotte fut prête, à l'approche du
printemps, César partit de Baïes et côtoya l'Italie, avec le ferme espoir de
bloquer la Sicile de tous côtés. Il comptait lui-même beaucoup de voiles, et les
vaisseaux d'Antoine venaient d'arriver dans le port; de plus, Lépidus, bien qu'à
regret, lui avait promis son aide. Mais c'était surtout la hauteur des navires à
murailles épaisses qui lui inspirait une grande confiance. On les avait, en
effet, construits fort épais et fort grands, pour embarquer des équipages aussi
nombreux qu'il fût possible (ils portaient des tours, afin que les soldats
combattissent comme du haut d'une forteresse), pour résister aux coups de
l'ennemi, et détourner son éperon par l'effet d'un choc plus violent. C'est pour
ces motifs que César se hâtait de se mettre en route vers la Sicile. Au moment
où il doublait le promontoire appelé le promontoire de Palinure, il fut assailli
par une violente tempête, il perdit un grand nombre de vaisseaux, et Ménas,
survenant tandis que le reste était en désordre, en brûla plusieurs et en
captura d'autres. Si l'assurance de l'impunité et certaines espérances ne lui
avaient fait changer une seconde fois de parti; s'il n'avait, en accueillant des
galères faussement transfuges, livré toute la flotte qu'il commandait, cette
expédition eût alors été sans résultat pour César. Ménas agit ainsi, parce que
Sextus ne lui avait pas confié la guerre contre Lépidus et avait conçu des
soupçons sur tout le reste de sa conduite. César, dans cette conjoncture, fut
assurément content cette fois encore de l'attacher à sa cause ; cependant il
n'eut plus confiance en lui. Lors donc qu'il eut réparé ses vaisseaux fatigués,
affranchi les esclaves de ses trirèmes et transporté des hommes (un grand nombre
de ceux qui montaient les vaisseaux perdus dans la tourmente avaient échappé à
la mort) sur les vaisseaux d'Antoine, dont les équipages étaient faibles, il
vint à Lipari, ou il laissa Agrippa et ses vaisseaux, pour se rendre sur le
continent, afin de faire passer son armée de terre en Sicile, lorsque l'occasion
s'en présenterait.
2.
Informé de ces circonstances, Sextus se mit lui-même en station à Messine pour
observer l'ennemi, et donna ordre à Démocharès de se porter à Myles, en face
d'Agrippa. Ces deux chefs passèrent la plus grande partie du temps à s'éprouver
l'un l'autre dans de légers engagements, sans oser cependant exposer leur flotte
entière; ils ne connaissaient ni l'un ni l'autre leurs forces respectives, et
des deux côtés on exagérait tout chez l'ennemi et on s'en effrayait outre
mesure. A la fin, Agrippa, comprenant qu'il n'y avait pas avantage pour lui à
temporiser, car les matelots de Sextus, stationnant dans leur pays, n'avaient
nul besoin de se hâter, prit ses meilleurs vaisseaux et poussa jusqu'à Myles,
afin de reconnaître la force des ennemis. N'ayant pu les voir tous et aucun
d'eux n 'avant voulu cingler sers lui, il les méprisa, et, quand il fut de
retour, il fit ses dispositions pour marcher le lendemain avec tous ses
vaisseaux contre Myles. Démocharès éprouva la même chose. Se figurant que son
adversaire n'avait que les vaisseaux qu'il avait mis en ligne, et les voyant
marcher lentement, à cause de leur grandeur, il envoya de nuit quérir Sextus, et
se disposa pour engager l'action à Lipari même. Le jour parut, et les deux chefs
s'avancèrent, croyant l'un et l'autre marcher contre un adversaire inférieur en
nombre.
3.
Mais quand ils se furent approchés, et que, contre leur attente, ils virent
chacun que ses adversaires étaient bien plus nombreux qu'il ne le croyait, ils
furent, dans le premier moment , l'un et l'autre pareillement troublés, quelques
vaisseaux même virèrent de bord; mais ensuite, redoutant plus la fuite que le
combat, espérant avoir l'avantage dans le dernier cas et s'attendant à périr en
masse dans l'autre, ils marchèrent en avant, et engagèrent un combat général. La
supériorité des uns était dans le nombre de leurs vaisseaux, celle des autres
dans leur expérience de la mer: les uns avaient pour eux la hauteur de leurs
bâtiments, l'épaisseur des oreilles de leur proue et leurs tours: les autres
manœuvraient mieux, et leur audace était suffisante pour résister à la force des
soldats montés à bord des vaisseaux de César: échappés de l'Italie, la plupart
n'avaient plus d'espoir. Ainsi donc, avec les avantages et les désavantages que
je viens de mentionner, leurs forces se balançaient de part et d'autre. Aussi le
combat fut-il longtemps égal. En effet, les Sextiens, par leur impétuosité,
frappaient de terreur leurs adversaires, et causaient des avaries à quelques
navires en poussant rapidement leurs vaisseaux à l'encontre et en brisant la
partie dépourvue de rameurs; mais, d'un autre côté, dans la mêlée, assaillis de
traits du haut des tours et saisis par des mains de fer lancées sur eux, ils
étaient aussi maltraités qu'ils maltraitaient les autres. Les Césariens avaient
la supériorité lorsqu'on en venait aux mains ou qu'ils passaient à bord de
l'ennemi; mais ils avaient, à leur tour, l'infériorité, lorsque celui-ci, au
moment de sombrer, s'élançait à la mer, et, grâce à son habileté à nager et à la
légèreté de son équipement, montait sans peine sur d'autres vaisseaux. Dans
cette lutte, la vitesse des vaisseaux et de la marche compensait chez les uns la
solidité des vaisseaux ennemis, dont la pesanteur formait un équivalent à la
légèreté de leurs adversaires.
4.
Ce ne fut donc que tard, et lorsqu'il était déjà nuit, que ceux de César
demeurèrent enfin victorieux ; néanmoins ils ne firent aucune poursuite, parce
que, selon moi et selon la vraisemblance, ils n'auraient pu saisir l'ennemi et
qu'ils craignaient d'aborder un rivage rempli de bas-fonds qu'ils ne
connaissaient pas; au rapport de quelques historiens, ce fut parce qu'Agrippa,
combattant pour César et non pour lui, pensa qu'il lui suffisait d'avoir fait
tourner le dos à l'ennemi. Agrippa, en effet, avait coutume de dire à ses plus
grands amis que la plupart de ceux qui ont le pouvoir veulent qu'il n'y ait
personne de supérieur à eux, qu'ils se chargent eux-mêmes de toutes les affaires
où le succès est facile, tandis qu'ils donnent à d'autres les entreprises
désavantageuses et hasardées. Si parfois ils sont forcés de confier à un
subalterne quelque expédition favorable, ils voient sa gloire avec peine et
chagrin; ils ne lui souhaitent, assurément, ni une défaite, ni un échec; mais
ils préfèrent, même lorsqu'il a complètement réussi, qu'il n'en recueille pas la
gloire. Il conseillait donc comme un devoir à tout homme qui tient à conserver
sa vie de se tirer des difficultés d'une affaire, et d'en garder la réussite
pour son chef. Ces sentiments sont naturels, et Agrippa s'en préoccupait, je le
sais; cependant, dans cette occurrence, ce n'est pas là que je sois la cause qui
l'empêcha de poursuivre l'ennemi, car, même l'eût-il voulu à toute force, il
n'était pas en état de l'atteindre.
5.
Tandis que l'on combattait sur mer, César, aussitôt qu'il s'aperçut que Sextus
était parti de Messine et que le détroit était libre de toute garde, ne laissa
point perdre l'occasion : montant aussitôt sur les vaisseaux fournis par
Antoine, il poussa jusqu'a Taurominium. La fortune, cependant, ne lui fut pas
favorable. Personne ne mit obstacle à sa traversée ni à son débarquement; il put
même établir son camp en toute tranquillité; mais quand, le combat terminé,
Sextus fut revenu en hâte à Messine, et qu'instruit de sa présence, il eut
promptement remplacé l'équipage de ses vaisseaux par des gens frais, qu'il eut
engagé contre lui l'action à la fois avec ses vaisseaux et avec ses troupes de
terre, alors, sans s'inquiéter de combattre les troupes de terre, s'avançant à
la rencontre des vaisseaux ennemis qu'il méprisait à cause de leur petit nombre
et de leur récente défaite, il perdit la plus grande partie de sa flotte, et peu
s'en fallut qu'il ne pérît lui-même. II ne put donc s'enfuir auprès de son armée
en Sicile, et fut trop heureux de pouvoir se sauver sur le continent. Quant à
lui, il était en sûreté, mais la vue de ses soldats abandonnés en Sicile
l'affligeait vivement, et il ne reprit confiance que lorsqu'un poisson,
s'élançant tout à coup spontanément de la mer, fut venu tomber à ses pieds;
persuadé, après ce prodige, et sur la réponse des devins, que la mer lui serait
soumise, il reprit courage.
6.
Il se hâta d'appeler à leur aide Agrippa; ils étaient cernés. Comme les vivres
commençaient à manquer et qu'il ne voyait paraître aucun secours, Cornificius,
qui les commandait, craignant, s'il gardait sa position, d'être enfin réduit par
la famine, et pensant d'ailleurs que rester plus longtemps en cet endroit
n'était pas le moyen d'amener les ennemis à un combat, attendu la supériorité de
son armée ; au lieu qu'en marchant en avant, il arriserait de deux choses l'une
: ou il y aurait un engagement dans lequel il serait vainqueur, ou, si les
ennemis refusaient le combat, il se retirerait en lieu sûr, aurait des vivres en
abondance, et même pourrait recevoir quelque assistance de César ou d'Agrippa,
il mit le feu aux embarcations qui lui étaient restées après la bataille, et
qu'on avait renversées pour en former le retranchement; puis, levant son camp,
il se mit en marche dans la direction de Myles. Pendant ce temps, la cavalerie
et les troupes légères de Sextus, en le harcelant de loin (ils n'osaient
l'attaquer de près), rendaient la route excessivement pénible. En effet, ils
fondaient sur l'ennemi quand l'occasion se présentait, et se retiraient ensuite
avec rapidité; les soldats de Cornificius, soldats légionnaires et pesamment
armés, ne pouvaient les poursuivre, d'autant plus qu'ils avaient au milieu d'eux
les marins sans armes échappés au désastre de la flotte. Aussi souffrirent-ils
beaucoup sans rendre aucun mal à leurs adversaires; car, si parfois ils se
lançaient contre une troupe, ils la mettaient en fuite, mais, ne pouvant la
poursuivre jusqu'au bout , ils n'en étaient, à leur retour, que plus vivement
pressés par l'ennemi, attendu que cette course les avait isolés. Pendant toute
leur route donc, et principalement au passage des fleuves, ils furent en proie à
de grandes souffrances : cernés par l'ennemi, s'avançant par faibles
détachements, comme cela se pratique en pareilles circonstances, et dans un
désordre complet, ils étaient frappés aux endroits mortels qui se trouvaient à
découvert, et, quand ils s'embarrassaient dans les marécages ou étaient
entraînés par les courants rapides, ils étaient accablés de traits.
7.
Cette position se prolongea trois jours entiers; le dernier, ils furent
fortement maltraités, d'autant plus que Sextus survint avec ses légions. Aussi
ne songeaient-ils plus à ceux qui périssaient; loin de là, ils les jugeaient
heureux de ne plus souffrir, et, dans leur désespoir, ils auraient voulu être
eux-mêmes au nombre des morts. Les blessés aussi, qui étaient nombreux, plus
nombreux que les morts (assaillis de loin de pierres et de javelots, n'ayant en
à se défendre contre aucun coup porté de près, ils étaient atteints en diverses
parties , sans l'être tout à fait mortellement), les blessés étaient eux-mêmes
en proie à de terribles souffrances, et causaient au reste de leurs compagnons
plus d'embarras encore que les ennemis. En effet, si on les emportait, ils
entraînaient dans leur perte ceux qui s'occupaient d'eux; si on les abandonnait,
ils jetaient par leurs gémissements toute l'armée dans le découragement. Tous
auraient péri jusqu'au dernier, si les ennemis n'eussent été, bien que malgré
eux, contraints de s'éloigner. Car, après sa victoire sur mer, Agrippa avait
fait voile pour Lipari; là, instruit que Sextus s'était réfugié à Messine et que
Démocharès était parti dans une autre direction, il passa en Sicile, où, après
s'être emparé de Myles et de Tyndaris, il envoya aux siens du blé et des
soldats. Sextus, persuadé qu'Agrippa allait arriver en personne, fut saisi de
frayeur, et fit retraite avec tant de hâte qu'il abandonna dans son camp une
partie de ses bagages et des vivres, qui, en fournissant aux soldats de
Cornificius une nourriture abondante, leur permirent de rejoindre Agrippa. César
les anima par des éloges et par des gratifications, bien que, regardant la
guerre comme terminée par la victoire navale d''Agrippa, il eût agi à leur égard
avec le plus grand dédain. Cornificius, en effet, se montra tellement fier
d'avoir sauvé ses soldats, que même à Rome, toutes les fois qu'il soupait hors
de chez lui, il ne rentrait jamais que porté sur une chaise curule.
8.
Lors donc que César fut, après ce fait d'armes, arrivé en Sicile, Sextus vint
camper devant lui à Artémisium. Cependant ils ne se livrèrent sur-le-champ
aucune grande bataille, ils n'eurent que de légers engagements de cavalerie.
Tandis qu'ils étaient campés en face l'un de l'autre, arrivèrent, avec leurs
troupes, Tisiénus Gallus du côté de Sextus, et Lépidus du côté de César. Lépidus,
assailli par la tempête dont j'ai parlé et par Démocharès, avait perdu plusieurs
de ses vaisseaux, et, au lieu de se rendre immédiatement auprès de César, soit à
cause des avaries, soit intention de lui laisser tout le tracas à lui seul, soit
dessein de distraire Sextus, il aborda à Lilybée ; et Gallus y fut envoyé par
Sextus, pour lui faire la guerre. N'obtenant aucun résultat, tous les deux se
rendirent à Artémisium. Gallus vint renforcer Sextus; quant à Lépidus, il eut
des dissensions avec César (Lépidus prétendait avoir, comme collègue, une part
égale à la sienne dans la direction de toutes les affaires, César s'en servait
en tout comme d'un lieutenant); aussi pencha-t-il pour Sextus et entretint-il
secrètement des rapports avec lui. César, qui avait des soupçons, sans cependant
oser les montrer ouvertement de peur de se faire de Lépidus un ennemi déclaré,
et sans pouvoir se découvrir avec sûreté (ne prendre aucune résolution de
concert avec lui, c'était le considérer comme suspect, et, d'un autre côté, il
était dangereux de tout lui communiquer), résolut de livrer bataille au plus
tôt, bien qu'aucun autre motif ne le pressât. Sextus, en effet, n'avait ni blé
ni argent; et, par conséquent, il y avait espoir de le réduire au bout de peu de
temps sans combattre. Son parti arrêté, il fit lui-même sortir de leur camp ses
troupes de terre, qu'il rangea en avant des retranchements, en même temps
Agrippa alla mouiller au large; Sextus, de beaucoup inférieur en force, ne se
présenta pour combattre ni sur terre ni sur mer. Cette manœuvre se répéta
plusieurs jours de suite ; mais, à la fin, craignant que cette conduite ne le
fit abandonner avec mépris par ses alliés, il ordonna à ses vaisseaux de faire
face à l'ennemi ; car c'était plutôt en eux qu'il avait quelque espérance.
9.
Quand on eut élevé le signal du combat et que la trompette eut sonné, les
vaisseaux s'entremêlèrent tout le long du rivage, et les troupes de terre se
rangèrent pareillement en bataille, sur le bord même de la mer, en sorte que
c'était un coup d'œil magnifique. Toute la mer était, en cet endroit, remplie de
vaisseaux, dont le grand nombre couvrait naturellement une vaste étendue; le
pays voisin de la mer était occupé par des soldats armés, et le terrain contigu,
par le reste de la foule de l'un et l'autre parti. C'est pour cela que la lutte,
bien que, en apparence, engagée seulement entre ceux qui combattaient sur mer,
eut aussi, en réalité, lieu entre les autres. Ceux qui montaient les vaisseaux,
dans le désir de se faire remarquer des leurs, étaient plus ardents au combat,
tandis que les autres, bien que placés à une grande distance, n'en prenaient pas
moins, en regardant l'action, leur part de la lutte. En effet, les chances du
combat s'étant longtemps balancées (cette bataille ressembla beaucoup à la
précédente), leurs esprits se maintinrent aussi en équilibre. On espérait
surtout terminer complètement la guerre par cette bataille, ou, du moins,
l'idée, chez les uns, d'être désormais, s'ils obtenaient alors l'avantage,
exempts de grandes fatigues; celle, chez les autres, que, s'ils remportaient la
victoire, ils n'essuieraient plus de défaites, les avait tous fortement
pénétrés. Aussi les assistants gardaient le silence, pour pouvoir eux-mêmes
regarder ce qui se passait et ne pas distraire ceux qui étaient engagés dans
l'action, et ne faisaient entendre que de rares clameurs, soit en encourageant
les combattants, soit en invoquant tout haut les dieux, et en donnant aux leurs
des éloges quand ils avaient l'avantage et les accablant d'injures lorsqu'ils
avaient le dessous, prodiguant les exhortations contraires à celles de l'ennemi
et criant à l'encontre les uns des autres, afin que les leurs entendissent plus
facilement et que l'ennemi comprît moins les recommandations des siens.
10.
Tant que le succès fut balancé, les choses se passèrent ainsi de part et
d'autre, et chacun, par l'attitude de son corps, faisait des signes aux siens,
comme s'ils eussent pu les voir et les comprendre; mais quand ceux de Sextus
eurent tourné le dos, alors tous à la fois, comme d'un seul essor, poussèrent
les uns des cris d'allégresse, les autres des gémissements. Les partisans de
Sextus, comme s'ils eussent été eux-mêmes vaincus avec les leurs, se retirèrent
sur-le-champ à Messine; César recevait ceux des vaincus qui fuyaient vers la
terre, et, s'avançant en mer, brûlait toutes les embarcations échouées dans le
marais, en sorte qu'il n'y avait de sûreté ni pour ceux qui étaient encore sur
les vaisseaux (ils étaient massacrés par Agrippa), ni pour ceux qui abordaient à
terre (ils périssaient sous les coups de César), excepté pourtant ceux qui, en
petit nombre, s'étaient auparavant enfuis à Messine. Dans cette déroute,
Démocharès, fait prisonnier, se tua lui-même; Apollophane, qui avait son
vaisseau intact et qui aurait pu fuir, se rendit à César. Sa conduite fut
imitée, entre autres, par Gallus, par toute sa cavalerie, et, plus tard, par un
certain nombre de fantassins.
11.
Cette défection, non moins que les échecs, ayant jeté Sextus dans le désespoir
pour le présent, il songea à fuir. Prenant alors avec lui sa fille et quelques
amis, et chargeant son argent et le reste de ses objets précieux sur les
meilleurs marcheurs des vaisseaux qu'il avait sauvés, il leva l'ancre pendant la
nuit. Personne ne le poursuivit, car il partit en secret, et César se trouva
aussitôt dans un grand embarras. Lépidus avait attaque Messine et, reçu dans ses
murs, mettait le feu par.ci. pillait par-là.
Mais à peine César, informé de ce qui se passait, fut-il accouru an plus vite et
eut-il arrêté le désordre, qu'il sortit de la ville, effrayé, et, se retranchant
sur une colline fortifiée, se répandit en accusations, énumérant tous les torts
qu'il prétendait lui avoir été faits: entre autres choses, il réclamait ce que
lui accordait leur premier traité, et il revendiquait la Sicile comme avant
contribué à la soumettre. Tels étaient les reproches qu'il envoyait porter à
César, et en même temps il l'invitait à lui rendre satisfaction ; il se sentait
fort d'ailleurs avec les troupes amenées par lui de Libye et tous les soldats
laissés à Messine, lorsqu'il y était entré le premier, et à qui il avait fait
entrevoir l'espérance d'une révolution.
12.
A cela César ne répondit rien; mais, persuadé que la justice était de son côté
et du côté des armes, attendu qu'il était plus fort que son rival, il marcha
aussitôt contre Lépidus avec quelques hommes seulement, dans la pensée de
frapper de frayeur par la soudaineté de son attaque un adversaire sans énergie
et d'attirer à lui ses soldats. II entra dans leur camp avec des intentions
pacifiques, comme ils le crurent en voyant sa suite peu nombreuse; mais, aucune
de ses paroles ne répondant à leur attente, ils s'irritèrent, lui tendirent des
embûches et tuèrent même quelques-uns des siens ; lui-même ne dut la vie qu'à un
prompt secours qui lui arriva. Il revint ensuite avec toute son armée, et, ayant
investi leurs retranchements, il les y tint assiégés. Craignant alors d'être
pris de vive force, ils ne tentèrent néanmoins aucun mouvement en commun par
respect pour Lépidus, mais ils l'abandonnèrent séparément par petites bandes et
passèrent à l'ennemi ; de cette façon Lépidus fut réduit à venir en habit de
deuil se rendre le suppliant volontaire de César. Il fut dépouillé de toute
autorité et vécut en Italie, mais non sans être surveillé. Quant aux partisans
de Sextus, les chevaliers et les sénateurs furent punis, à un petit nombre
d'exceptions près; parmi les légionnaires, les hommes libres furent incorporés
dans les légions de César, les esclaves furent rendus à leurs maîtres pour être
châtiés; ceux dont on ne trouva pas le maître furent mis en croix. Les villes
qui se soumirent volontairement obtinrent leur pardon; celles qui résistèrent
furent traitées avec rigueur.
13.
Sur ces entrefaites, les soldats se révoltèrent. Comme ils étaient nombreux, le
spectacle de leur multitude leur inspirait de l'audace, et, calculant leurs
dangers et les espérances qui leur étaient offertes, ils se montraient
insatiables de récompenses, et se rassemblaient tous ensemble pour mutuellement
demander ce que chacun d'eux désirait. Voyant que leurs prétentions étaient
vaines, car César, n'ayant plus aucun ennemi en présence, ne s'en inquiéta pas,
ils se livrèrent au désordre, et, reprochant à César les maux qu'ils avaient
soufferts, lui rappelant les promesses qu'il leur avait faites , ils lui
prodiguaient les menaces et se flattaient de le réduire malgré lui sous leur
dépendance. N'obtenant aucun résultat, ils demandèrent à quitter le service,
sous prétexte de fatigue, ne mettant aucune borne à leur colère et à leurs cris:
ce n'était pas qu'ils voulussent leur congé, car la plupart d'entre eux étaient
dans la force de l'âge : mais ils soupçonnaient qu'il aurait la guerre avec
Antoine, et c'est pour cela qu'ils faisaient les renchéris; car ce qu'ils
n'obtenaient pas par leurs réclamations, ils s'attendaient à l'avoir en menaçant
de l'abandonner. Ce moyen ne leur réussit pas davantage : César, bien que
sachant à n'en pas douter que la guerre aurait lieu et connaissant clairement
leurs projets, ne leur céda pas néanmoins, persuadé qu'un chef ne doit rien
faire contre son gré par la pression des soldats, attendu que c'est donner
prétexte à de nouvelles demandes.
14.
Feignant donc de trouver leur demande équitable et conforme aux besoins de
l'humanité, il commença par congédier ceux qui avaient pris part avec lui à
l'expédition de Mutina contre Antoine, puis, comme les autres insistaient, il
congédia tous ceux d'entre eux qui avaient dix ans de service. Afin de contenir
le reste, il déclara qu'il ne se servirait plus d'aucun de ceux qui avaient été
congédiés, lors même qu'ils lui feraient les plus vives instances. A ces mots,
ils ne proférèrent plus une seule parole et se mirent à lui obéir avec
soumission, parce qu'il annonça publiquement qu'il ne tiendrait pas à ceux qui
avaient reçu leur congé, excepté aux premiers, et encore pas à tous, mais
seulement aux plus dignes, les promesses qu'il leur avait faites, entre autres
celle d'une distribution de terres, et qu'il donna cinquante drachmes à tous les
hommes maintenus, plus une couronne d'olivier à ceux qui avaient pris part à la
victoire navale. Ensuite, il fit concevoir à chacun des autres en son
particulier de nombreuses espérances, et aux centurions celle de devenir membres
du sénat dans leur patrie. Les lieutenants reçurent les uns une chose, les
autres une autre; Agrippa eut une couronne rostrale en or, honneur qui n'avait
été auparavant et qui ne fut dans la suite accordé à aucun autre. Le privilège
de porter à perpétuité cette couronne navale, toutes les fois que les autres
triomphateurs porteraient leur couronne de laurier, lui fut plus tard confirmé
par un décret du sénat. Ce fut de cette manière que César alors apaisa les
soldats; il leur donna sur-le-champ l'argent et peu de temps après les terres.
Comme les terres du domaine public se trouvèrent insuffisantes. il en acheta une
quantité considérable aux Campaniens qui habitaient Capoue (leur ville avait
besoin de nombreux colons), et leur donna en échange l'eau nommée Julia, de tous
leurs avantages celui dont ils sont le plus fiers, et le pays de Gnosse, qu'ils
cultivent encore aujourd'hui.
Mais ces mesures ne furent prises que plus tard; pour l'instant, il régla les
affaires de la Sicile, conquit, par Statilius Taurus, l'une et l'autre Libye
sans coup férir, et, pour qu'Antoine remplaçât les vaisseaux perdus, il lui en
fit parvenir un nombre égal.
15.
Une sédition qui avait éclaté en Étrurie s'apaisa dès qu'on apprit la victoire
de César; à Rome on lui décerna d'un commun accord des éloges, des statues, le
titre de prince du sénat, un arc de triomphe, l'honneur de faire son entrée à
cheval, le droit de porter toujours une couronne de laurier, et, pour
l'anniversaire de sa victoire, qui devait être célébrée à perpétuité par une
supplication, le privilège d'un banquet dans le temple de Jupiter, au Capitole,
avec sa femme et ses enfants. Ces décrets furent rendus aussitôt après sa
victoire, victoire annoncée à Rome, d'abord par un des soldats qui s'y
trouvaient alors, et qui, ce jour-là, possédé de quelque dieu, après diverses
paroles et actions, finit par monter en courant au Capitole? et y déposer son
épée sous les pieds de Jupiter, comme s'il ne devait plus en avoir besoin; puis,
par d'autres qui avaient assisté à la bataille et avaient été dépêchés par
César. Après que lui-même, à son arrivée, réunissant les citoyens hors du
Pomérium, suivant la coutume des ancêtres, eut rendu compte de ses actes, laissé
de côté quelques-uns des honneurs décrétés, fait remise du cens et de ce qui
pouvait être dû au trésor public pour le temps antérieur à la guerre civile,
aboli certains impôts et refusé le pontificat de Lépidus qui lui était offert
(il n'était pas permis de dépouiller un pontife vivant), on ajouta un grand
nombre d'autres décrets en sa faveur. Quelques-uns répandirent, à partir de ce
moment, que c'était pour faire accuser Antoine et Lépidus et rejeter sur eux
seuls la cause des premières injustices, qu'il montrait cette grandeur d'âme;
d'autres, que, ne pouvant d'aucune façon recouvrer les sommes dues, il se
faisait de l'impuissance des citoyens, sans perte pour lui, un titre à leur
faveur. Mais ce n'étaient que des bruits sans fondement. On décida également
alors qu'il lui serait donné une maison appartenant à l'État; car l'emplacement
qu'il avait acheté sur le Palatin pour en bâtir une avait été par lui abandonné
au public et consacré à Apollon, depuis que la foudre y était tombée. On lui
décréta donc cette maison, le privilège d'être à l'abri de tout acte ou parole
injurieuse, sous peine, pour le coupable, d'encourir les châtiments établis pour
attaque à la personne d'un tribun du peuple. De plus, il lui fut permis de
s'asseoir sur les mêmes bancs que les tribuns.
16.
Voilà ce qui fut donné par le sénat à César. Quant à lui, il fit augure hors
nombre Valérius Messala, dont il avait précédemment décidé la mort pendant les
proscriptions; il accorda le droit de cité aux habitants d'Utique et ordonna que
personne, excepté les sénateurs et les magistrats, ne porterait de pourpre; car
déjà quelques gens du commun en faisaient usage. Cette année-là, il n'y eut
aucun édile, faute de candidats, ce furent les préteurs et les tribuns du peuple
qui remplirent cette fonction ; il n'y eut pas non plus de préfet nommé pour les
Féries Latines ; quelques-uns des préteurs en firent l'office. L'administration
intérieure de Rome et du reste de l'Italie fut, alors et pendant longtemps
depuis, dirigée par un chevalier, C. Mécène.
17.
Sextus, en partant de Messine, craignant d'être poursuivi et redoutant
quelque trahison de la part de ceux qui l'accompagnaient, leur annonça
l'intention de faire route par mer; mais, après avoir éteint le fanal que
portent les vaisseaux prétoriens quand ils marchent la nuit afin d'être suivis
des autres, il se détourna vers les côtes de l'Italie; puis, après être passé à
Corcyre, il s'en alla à Céphallénie, où les autres, qui une tempête y jeta par
hasard, se joignirent de nouveau à lui. Les ayant donc convoqués, il se
dépouilla de ses vêtements de général, et, après leur avoir dit, entre autres
choses, que, rassemblés, ils ne se porteraient les uns aux autres aucune aide
suffisante et ne resteraient pas ignorés, tandis que, dispersés, leur fuite
serait plus facile, il les exhorta à pourvoir chacun séparément à son salut
particulier. la plus grande partie ayant suivi ce conseil et s'étant retirés,
les uns d'un côté les autres d'un autre, il passa en Asie avec ceux qui
demeurèrent près de lui, dans l'intention d'aller immédiatement trouver Antoine.
Arrivé à Lesbos et informé qu'Antoine était parti pour une expédition contre les
Mèdes, que César et Lépidus étaient en guerre, il songea à passer l'hiver dans
cet endroit. Bien qu'accueilli avec empressement par les Lesbiens en souvenir de
son père, et retenu par eux, quand il apprit les revers d'Antoine en Médie,
comme C. Furnius, alors gouverneur de l'Asie, n'avait nulle bienveillance pour
lui, il n'y demeura pas ; mais, se flattant de l'espoir de succéder à l'autorité
d'Antoine, parce qu'il lui arrivait beaucoup de renfort de Sicile, que d'autres,
ceux-ci à cause de la gloire de son père, ceux-là faute de ressources pour
vivre, se rassemblaient, il reprit l'habit de général, et fit ses préparatifs
pour s'emparer du continent opposé.
18.
Sur ces entrefaites, Antoine, qui s'était sauvé en pays ami et avait appris
l'état des affaires de Sextus, promettant de lui accorder impunité et
bienveillance, à condition qu'il déposerait les armes, Sextus lui répondit comme
s'il avait l'intention d'obéir; mais il n'en fit rien; les malheurs d'Antoine et
son départ immédiat pour l'Égypte le rendant méprisable à ses yeux, il persista
dans ses projets et traita avec les Parthes. Instruit de ces menées, Antoine,
sans revenir sur ses pas, envoya contre lui sa flotte avec M. Titius, qui avait
autrefois quitté Sextus pour s'attacher à lui et était alors à son service.
Pressentant la chose et saisi de crainte, Sextus (il n'avait pas encore de
préparatifs suffisants) partit, et, se dirigeant du côté où il croyait que sa
fuite serait plus assurée, arriva à Nicomédie, où, ayant été surpris, il essaya
de traiter avec Antoine, en qui il espérait à cause du bienfait dont le triumvir
lui était redevable. Antoine ayant refusé de s'engager envers lui s'il ne
livrait préalablement ses vaisseaux et le reste de ses troupes, il désespéra de
se sauver sur mer; ayant chargé sur ses vaisseaux ses plus lourds bagages, il y
mit le feu et s'enfonça au milieu des terres. Titius et Furnius, l'ayant
poursuivi, l'atteignirent à Midée en Phrygie, et, l'ayant cerné, le prirent vif.
Instruit de cette capture, Antoine, dans un premier mouvement de colère, leur
écrit de le faire mourir; mais, peu après, s'en étant repenti, il écrivit de lui
laisser la vie. Le porteur de la seconde dépêche ayant devancé celui de la
première, Titius, qui reçut en dernier celle qui commandait de faire mourir
Sextus et crut qu'elle était réellement la seconde, ou qui, s'il connut la
vérité, ne voulut pas y ajouter foi, se conforma à l'ordre d'arrivée des
dépêches et non à l'intention d'Antoine. C'est ainsi que mourut Sextus sous le
consulat de L. Cornificius et d'un certain Sextus Pompée. César, à cette
occasion, donna les jeux du cirque et fit placer, en l'honneur d'Antoine; un
char en face de la tribune aux harangues et des statues dans le temple de la
Concorde; de plus, il lui accorda le pouvoir d'y tenir un banquet avec sa femme
et ses enfants, comme il en avait donné l'exemple pour lui-même, car, en ce
moment encore, il feignait d'être son ami; il le consolait ainsi de ses revers
chez les Parthes, et il échappait à l'envie à laquelle l'exposaient sa victoire
et les décrets rendus à cette occasion. Telle était sa conduite.
Comment Ventidius tua Pacorus après l'avoir vaincu, et repoussa les Parthes
au-delà de l'Euphrate
19.
Voici maintenant comment se passèrent les choses pour Antoine et pour les
Barbares. P. Ventidius, instruit que Pacorus rassemblait une armée et faisait
des incursions en Syrie, fut saisi de crainte, car les villes n'étaient pas
encore affermies, et les légions étaient dispersées dans leurs quartiers
d'hiver; il employa, pour attarder Pacorus et faire différer l'expédition, le
moyen suivant. Il y avait un roi chananéen qu'il savait être, malgré ses
rapports de familiarité avec lui, plutôt partisan des Parthes : Ventidius lui
accorda des honneurs comme on ferait à un ami très-sûr, le consulta sur quelques
projets qui, sans lui causer, à lui Ventidius, aucun préjudice, devaient donner
an Chananéen la conviction qu'il connaissait ses secrets les plus cachés. Arrivé
à ce point, Ventidius feignit de craindre que les Barbares, renonçant à passer
l'Euphrate à l'endroit où ils le faisaient habituellement, près de la ville de
Zeugma, ne prissent une autre route en aval de ce fleuve; la route de la plaine
était, disait-il, propice aux ennemis, celle des collines convenait aux Romains.
Par cette communication, il lui persuada d'ajouter foi à ses paroles, et, par
son entremise, abusa Pacorus. Pacorus, en effet, ayant pris la route de la
plaine, par laquelle Ventidius faisait semblant de ne pas vouloir qu'il vînt,
route plus longue que l'autre, donna à son adversaire le temps de réunir ses
forces.
20.
Ventidius, grâce à ce stratagème, vainquit Pacorus dans un engagement en Syrie
Cyrrhestique. Comme il ne mit point obstacle au passage du fleuve et qu'il
n'attaqua pas les Barbares aussitôt passés, ceux-ci jugèrent les Romains lâches
et sans courage, et, dans cette opinion, ils s'élancèrent contre leur camp, bien
qu'il fût placé sur une hauteur, espérant l'emporter d'emblée. Mais une sortie
eut lieu tout à coup, et, comme ils étaient à cheval, ils furent repoussés sans
peine sur un terrain en pente; bien qu'ils se défendissent vaillamment (la
plupart portaient des cuirasses), troublés par cette attaque imprévue et
s'embarrassant les uns les autres, ils n'en furent pas moins défaits par les
légions et surtout par les frondeurs, qui, les atteignant de loin de coups sans
nombre, les incommodaient fort. Pacorus, étant tombé dans cette déroute, leur
occasionna la plus grande perte; car, aussitôt qu'ils s'aperçurent de la mort de
leur chef, quelques-uns d'entre eux soutinrent la lutte pour défendre son corps;
eux tués, tout le reste plia. Les uns, voulant passer le pont pour s'enfuir dans
leurs foyers, n'y réussirent pas et périrent, arrêtés dans leur route par les
Romains; les autres se réfugièrent près d'Antiochus dans la Commagène. Quant aux
parties hautes de la Syrie qui attendaient l'issue de cette guerre (Pacorus, à
cause de sa justice et de sa douceur, y était entouré d'amour autant que jamais
roi le fut), il les soumit sans peine en faisant porter la tête du roi par les
villes; ensuite il marcha contre Antiochus sous prétexte qu'il n'avait pas livré
ses suppliants, mais, en réalité, à cause de ses grandes richesses.
21.
Il en était là quand Antoine, survenant tout à coup, non seulement, au lieu de
lui témoigner de la satisfaction, laissa voir sa jalousie, parce qu'il semblait
que Ventidius s'était, de son propre chef, bravement comporté, mais encore il
lui retira son commandement et ne l'employa plus ni dans le moment, ni dans la
suite, bien que Ventidius lui eût, par ce double succès, valu des supplications
et les honneurs du triomphe. Les Romains décernèrent ces honneurs à Antoine à
cause de sa supériorité et conformément à la loi, parce que c'était lui qui
avait le commandement; ils les décernèrent également à Ventidius, parce qu'il
avait, suivant l'opinion générale, suffisamment rendu aux Parthes, par la mort
de Pacorus (surtout les deux événements avant eu lieu au même jour de l'année),
le désastre subi par la mort de Crassus. Le cours des choses voulut que
Ventidius triomphât seul, de même que seul il avait vaincu ( Antoine périt
auparavant), et qu'il s'illustrât tant pour ce fait que pour l'étrangeté de sa
fortune; car, après avoir autrefois figuré avec les autres captifs aux pompes du
triomphe de Pompéius Strabon, il fut le premier des Romains qui triompha des
Parthes. Mais ces événements eurent lien plus tard.
Comment Antoine fut défait par les Parthes
22.
Antoine, dans le moment, attaqua Antiochus et l'assiégea dans Samosate où il le
tenait enfermé; mais comme il n'obtenait pas de résultat, et que le temps se
passait inutilement; que d'ailleurs il soupçonnait les soldats de dispositions
malveillantes à son égard à cause du déshonneur infligé à Ventidius, il
parlementa secrètement avec lui, et conclut un traité fictif, afin de se retirer
honorablement. Ainsi il ne reçut ni otages, à l'exception de deux, et encore
étaient-ils des hommes obscurs, ni l'argent qu'il demandait; mais, pour
complaire à Antiochus, il fit mettre à mon un certain Alexandre qui précédemment
était passé d'Antiochus aux Romains. Après cela, il partit pour l'Italie. C.
Sossius, qui avait reçu de lui le gouvernement de la Syrie et de la Cilicie,
réduisit les Aradiens assiégés jusqu'alors et décimés par la famine et par les
maladies, vainquit dans une bataille Antigone, qui avait massacré les garnisons
romaines placées dans ses États, et emporta d'assaut Jérusalem, où ce prince
avait cherché un refuge. Les Juifs, nation cruelle quand elle est irritée,
firent beaucoup de mal aux Romains, mais ils en souffrirent eux-mêmes beaucoup
plus. Les premiers pris furent ceux qui défendaient le temple de leur dieu, les
autres le furent plus tard, le jour appelé même alors jour de Saturne. La
ferveur religieuse était poussée à tel point que les premiers, c'est-à-dire ceux
dont Sossius s'était emparé avec le temple, lui demandèrent la grâce, au retour
du jour de Saturne, de rentrer dans le temple pour y accomplir, avec le reste de
leurs concitoyens, toutes les prescriptions de leur loi. Antoine confia le
gouvernement de ce pays à un certain Hérode ; quant à Antigone, il le fit battre
de verges après l'avoir attaché à un poteau, traitement qui n'avait jamais été
infligé à aucun autre roi par les Romains; puis il le fit mettre à mort. Ces
choses se passèrent de la sorte sous Claudius et Norbanus.
23.
L'année suivante, les Romains ne firent en Syrie rien qui mérite d'être
rapporté. Antoine perdit l'année tout entière à se rendre en Italie et à revenir
en Syrie; Sossius, comme c'était la gloire d'Antoine et non la sienne qu'il
aurait augmentée, et que pour ce motif il redoutait sa jalousie et sa colère,
passa tout son temps à chercher non les moyens de déplaire à son général par des
succès, mais ceux de lui être agréable en ne taisant rien. Chez les Parthes, les
affaires prirent une face toute nouvelle par suite de l'événement que voici.
Orode, leur roi, fatigué par l'âge et la douleur de la perte de Pacorus, abdiqua
son autorité en faveur de Phraate, l'aîné des enfants qui lui restaient.
Celui-ci, devenu maître du pouvoir, se montra le plus impie des hommes : il mit
à mort par ruse ses frères nés de la fille d'Antiochus, parce qu'ils lui étaient
supérieurs en mérite, ainsi qu'en noblesse du côté maternel; il tua aussi de sa
propre main Orode, qui voyait ces meurtres avec douleur, et fit ensuite périr
les plus nobles de ses sujets; il commit aussi beaucoup d'autres crimes qui
décidèrent un grand nombre de gens du premier rang à l'abandonner, pour passer,
les uns autre part , les autres à Antoine ; parmi ces derniers était Monæsès. Ce
fait eut lieu sous le consulat d'Agrippa et de Gallus.
24.
Pendant le reste de l'hiver, sous les consuls Gellius et. Nerva, P. Canidius
Crassus, ayant marché contre les Ibères de ces contrées, défit dans une bataille
leur roi Pharnabaze et l'amena à une alliance; puis, étant entré avec lui dans
l'Albanie, pays limitrophe, il battit les habitants et leur roi Zober, qu'il
attira également à son parti. Enflé de ses succès et surtout fondant de grandes
espérances sur Monaesès (Monaesès lui avait promis de se mettre à la tête d'une
expédition et de soumettre sans coup férir la plus grande partie du pays des
Parthes), Antoine lui donna la conduite de la guerre contre les Parthes, lui
concéda, entre autres faveurs, la possession jusqu'à la fin de la guerre de
trois villes appartenant aux Romains, et, de plus, lui promit le royaume des
Parthes. Pendant qu'ils faisaient ces choses, Phraate, saisi de crainte, surtout
parce que les Parthes étaient irrités de l'exil de Monaesès, traita avec lui en
lui faisant toutes les offres possibles et le persuada de revenir. Antoine,
quand il connut cette défection, s'en irrita, comme il était juste; néanmoins il
ne fit pas mourir Monaesès, bien qu'il fût encore en son pouvoir, car il pensa
que, s'il le faisait, aucun autre parmi les Barbares ne s'attacherait à lui:
mais il tendit un piège au roi et à Monaesês. En conséquence, il le laissa
partir, comme s'il devait lui soumettre les Parthes, et envoya avec lui des
ambassadeurs à Phraate. En apparence, il faisait la paix à la condition que les
enseignes et les captifs pris lors de la déroute de Crassus seraient rendus,
afin de saisir le roi au dépourvu, en lui donnant l'espérance d'un traité,
tandis qu'en réalité il faisait tous ses préparatifs pour la guerre.
25.
Il s'avança ainsi jusqu'à l'Euphrate, qu'il ne croyait pas défendu; mais,
avant trouvé toutes les positions gardées avec soin, il s'en détourna pour
marcher contre Artavasde, roi des Mèdes, à la persuasion du roi de la Grande
Arménie, son homonyme et son ennemi. Là, ayant appris que le Mède était allé
bien loin de chez lui porter secours au Parthe, il laissa en arrière ses bagages
et une partie de son armée sous le commandement d'Oppius Statianus, avec ordre
de le suivre. Lui-même, avec sa cavalerie et l'élite de son infanterie, il
précipita sa marche, dans l'espoir d'emporter d'emblée toutes les possessions
des ennemis ; puis, quand il fut arrivé devant Proaspi, résidence habituelle du
roi, il éleva des retranchements et commença l'attaque. Le Parthe et le Mède,
informés de cette agression, le laissèrent s'épuiser en vain (les remparts de la
ville étaient solides et défendus par une garnison nombreuse), et, fondant à
l'improviste sur Statianus, qui était fatigué par la marche, ils massacrèrent
tout, à l'exception de Polémon, roi de Pont, qui alors combattait dans les rangs
de Statianus; celui-là fut pris vivant, et il obtint la liberté, moyennant
rançon. Or, s'ils purent accomplir cette action, c'est que l'Arménien ne prit
point part au combat; que, bien qu'il eût pu, au rapport de quelques historiens,
secourir les Romains, il n'en fit rien, et qu'au lieu de rejoindre Antoine, il
se retira dans ses États.
26.
Antoine, au premier avis qu'il avait revu de Statianus, s'était hâté d'aller à
son secours ; mais il arriva trop tard, il ne trouva plus que des cadavres. Il
en fut effrayé ; mais, comme il ne rencontra aucun Barbare, il pensa que la
crainte les avait fait déloger, et se rassura. Par suite, dans un engagement
qu'il eut avec eux peu de temps après, il les mit en fuite ; car les frondeurs,
qui étaient en grand nombre, et dont les coups atteignaient plus loin que les
flèches, portèrent le ravage, même parmi les soldats cuirassés, sans cependant
en faire périr une quantité notable, parce que les Barbares, sur leurs chevaux,
s'enfuirent rapidement. Antoine attaqua donc de nouveau Proaspi et en fit le
siège, sans causer grand dommage aux ennemis (ceux qui étaient dans l'intérieur
de la ville le repoussaient vigoureusement, et ceux qui étaient en dehors
n'engageaient que rarement une action avec lui), mais en perdant beaucoup de
soldats, tant pour aller chercher et pour rapporter des vivres, que par les
châtiments qu'il infligeait lui-même à un grand nombre. En effet, dans le
principe, tant qu'ils tirèrent les vivres du pays même, ils purent suffire à la
fois et à faire le siège et à s'approvisionner en sûreté ; mais quand tout le
voisinage fut épuisé et qu'ils furent forcés d'aller au loin, alors il arriva
que, lorsqu'ils étaient en petites troupes, non seulement ils n'apportaient
rien, mais encore ils étaient tués; et que, si leurs troupes étaient plus
considérables, le mur restait dégarni d'assiégeants, circonstance dont les
Barbares profitaient pour exécuter des sorties dans lesquelles ils faisaient
perdre aux Romains beaucoup d'hommes et de machines.
27. Aussi Antoine donna à tous ses soldats de l'orge en place de blé, et
décima plusieurs corps; en un mot, en semblant assiéger la ville, il souffrait
les maux de ceux qui subissent un siège. En effet, ceux qui étaient dans
l'intérieur des murailles observaient avec soin les moments propices pour
effectuer leurs sorties, tandis que ceux du dehors, lorsque les Romains restés
devant la place étaient divisés, les harcelaient cruellement, en les attaquant à
l'improviste et se retirant bientôt après. Quant aux fourrageurs, ils ne les
incommodaient en aucune façon tact qu'ils gagnaient les villages, mais fondaient
inopinément sur eux lorsqu'ils étaient dispersés et qu'ils revenaient. Comme
Antoine, malgré cela, n'en continuait pas moins le siège, Phraate, craignant
qu'avec le temps il ne fit quelque mal à la ville, soit avec ses seules forces,
soit avec quelque allié qu'il se procurerait, le détermina par des émissaires à
proposer la paix, donnant à entendre qu'il obtiendrait aisément un traité. Aussi
répondit-il aux envoyés d'Antoine, assis sur un trône d'or, la main sur la corde
de son arc, et se répandant en reproches contre les Romains; il finit par
promettre de leur accorder la paix, à la condition qu'ils lèveraient le siège
sans retard. Antoine, en entendant cette réponse, effrayé de la hauteur de
Phraate, et se flattant, s'il se retirait, d'obtenir un traité de paix, fit
retraite, sans rien détruire de ce qu'il avait préparé pour le siège, et comme
s'il eût été sur une terre amie.
28.
Après avoir opéré ce mouvement, et tandis qu'il attendait le traité, les Mèdes
brûlèrent les machines et renversèrent les retranchements de fond en comble; les
Parthes, non seulement n'envoyèrent aucun message de paix, mais, fondant sur les
Romains à l'improviste, leur firent beaucoup de mal. Antoine, quand il reconnut
qu'il était trompé, n'osa plus envoyer de députés (il s'attendait à ne pas
obtenir la cessation des hostilités à des conditions modérées, et ne voulait pas
décourager les soldats en échouant dans une négociation); il résolut donc de se
hâter, puisqu'il avait levé son camp, de se rendre en Arménie. Son armée, en
parcourant une nouvelle route (celle par laquelle ils étaient venus étant, ils
le pensaient bien, complètement interceptée), eut à supporter des souffrances
aussi nombreuses qu'étranges. Leur marche dans ces régions inconnues était
pleine de méprises, et, de plus, les Barbares, se saisissant à l'avance des
défilés, creusaient ici un fossé, élevaient là des obstacles, les tourmentaient
partout où ils allaient puiser l'eau, et anéantissaient les pâturages. Si
parfois le hasard devait conduire les Romains à travers des lieux plus
favorables, ils les en détournaient par de faux avis, leur annonçant qu'ils
étaient occupés, et les faisaient marcher par des chemins couverts de leurs
embuscades; de sorte qu'il en périssait un grand nombre par ces tourments et par
la faim.
29.
Aussi y eut-il quelques désertions à l'ennemi. Tous auraient même déserté, si
les Barbares n'eussent percé de flèches sous les yeux des autres ceux qui
avaient osé le faire. Ils s'en abstinrent donc et trouvèrent à leurs maux, par
un effet du hasard, le remède que voici. Un jour qu'ils étaient tombés dans une
embuscade et assaillis d'une grêle de flèches, ils formèrent tout à coup la
tortue avec leurs boucliers réunis, et appuyèrent contre terre leur genou
gauche. Les Barbares, s'imaginant alors (ils n'avaient encore rien vu de pareil)
que les Romains étaient tombés par suite de leurs blessures, et que ce n'était
plus l'affaire que d'un seul coup, jetèrent leurs arcs, sautèrent à bas de leurs
chevaux et s'approchèrent, les cimeterres tirés, comme pour les égorger. A ce
moment, les Romains s'étant relevés déployèrent, à un commandement donné, la
phalange tout entière, et fondant, chacun séparément, droit devant soi sur
l'ennemi le plus proche, gens armés contre gens découverts, gens préparés contre
gens qui ne s'y attendaient pas, soldats légionnaires contre archers, Romains
contre Barbares, ils en firent un si grand carnage que le reste se retira
sur-le-champ et cessa désormais de les poursuivre.
30.
Voici en quoi consiste la tortue et de quelle manière elle se fait. Les bagages,
les soldats légèrement armés et les cavaliers se rangent au milieu; parmi les
soldats pesamment armés, ceux qui portent des boucliers creux et courbés en
forme de croissant se placent aux extrémités, comme dans un ouvrage en brique,
et, les regards dirigés au dehors des rangs, couverts de leurs armes,
enveloppent les autres ; ceux qui ont des boucliers larges se serrent an milieu
et les tiennent élevés au-dessus de leurs têtes et au-dessus de celles de leurs
compagnons; en sorte que, par toute la phalange uniformément, on ne voit rien
que des boucliers, et que tous les soldats, tellement leurs rangs sont serrés,
sont à l'abri des traits. Cette tortue offre une force de résistance tellement
grande que des hommes marchent dessus, et que même des chevaux et des chars y
circulent, toutes les fois qu'on se trouve dans un lieu creux et étroit. Telle
est la figure de cette manœuvre, et c'est pour cela, c'est-à-dire à cause de sa
résistance et de son ensemble compacte, qu'on lui a donné le nom de tortue. Les
Romains l'emploient dans deux cas différents, soit quand ils marchent à
l'attaque d'une forteresse, et souvent même, alors, par son moyen, ils font
monter des soldats jusque sur le mur; soit lorsque, investis d'un cercle
d'archers, ils se baissent tous à la fois (les chevaux mêmes sont dressés à
s'agenouiller et à se coucher), donnant ainsi à croire à l'ennemi qu'ils sont
épuisés, puis se relèvent soudainement à son approche, et le frappent
d'épouvante. Telle est la manière dont se fait la tortue.
31.
Antoine désormais n'eut plus rien à souffrir de la part de l'ennemi; mais le
froid le rendit fort malheureux. On était déjà en hiver, et les montagnes
d'Arménie, qui seules lui livraient à grand-peine un chemin, sont
perpétuellement couvertes de glace. Les blessures, qui étaient nombreuses,
furent surtout funestes. Aussi, comme il périssait beaucoup de soldats et que
beaucoup devenaient incapables de combattre, il ne supporta plus d'en être
informé en détail, et défendit que personne lui annonçât rien de pareil. Quoique
irrité contre le roi d'Arménie, qui l'avait abandonné, et plein du désir d'en
tirer vengeance, il le ménagea cependant et le flatta, afin de tirer de lui des
vivres et de l'argent. Enfin, les soldats se trouvant hors d'état de supporter
un plus long trajet, surtout au milieu de l'hiver, et en même temps leurs
souffrances ne devant amener aucun résultat (son intention était de retourner
bientôt en Arménie), il fit au roi force caresses, force promesses, pour obtenir
la permission de passer l'hiver dans ses États, prétextant qu'il marcherait de
nouveau contre les Parthes au printemps. Il lui vint de l'argent de la part de
Cléopâtre, ce qui lui permit de donner trente-cinq drachmes à chaque soldat
légionnaire, et aux autres la part qui leur revenait. Les sommes envoyées
n'avant pas suffi, il ajouta le reste de ses propres deniers, attribuant à
lui-même la dépense, et à Cléopâtre la gloire du bienfait; car il imposa de
fortes contributions à ses amis et leva de fortes taxes sur les alliés. Cela
fait, il partit pour l'Égypte.
32.
A Rome, on n'ignorait rien de ce qui s'était passé, non qu'Antoine, par ses
rapports, y fit connaître la vérité (il cachait tous ses revers, et même,
parfois, écrivait dans un sens tout opposé, comme s'il eût obtenu des
avantages); mais la renommée annonçait ce qui était vrai, et César et ses
partisans mettaient tous leurs soins à être exactement instruits des événements,
et les divulguaient, bien qu'en public, loin d'accuser Antoine, ils immolassent
des victimes et célébrassent des fêtes; car César étant encore tenu en échec par
Sextus, l'accusation ne pouvait être ni convenable ni opportune. Tels furent les
actes d'Antoine, et, de plus, il donna à Amyntas, un ancien secrétaire de
Déjotarus, la souveraineté de la Galatie, à laquelle il joignit une portion de
la Lycaonie et de la Pamphylie; et à Archélaüs celle d'une partie de la
Cappadoce, d'où il avait chassé Ariarathe. Cet Archélaüs, du côté paternel,
descendait de ces Archélaüs qui avaient fait la guerre contre les Romains, et,
du côté maternel, de la courtisane Glaphyra. Ce fut là cependant (sa munificence
s'exerçait aux dépens des étrangers) ce qui contribua le moins à la mauvaise
réputation d'Antoine près de ses concitoyens; mais Cléopâtre lui attira une
haine violente, parce qu'il élevait des enfants qu'il avait d'elle, les deux
aînés, Alexandre et Cléopâtre (ils étaient jumeaux), et le plus jeune, Ptolémée,
qui fut surnommé Philadelphe; et aussi parce qu'il leur concéda une grande
partie de l'Arabie, tant de celle qui appartenait à Malchus que de celle qui
appartenait aux lturéens (il fit périr, comme ayant favorisé Pacorus, Lysanias,
qu'il avait lui-même établi roi de ce pays), une grande partie de la Phénicie et
de la Palestine, et une portion de la Crète, Cyrène et Chypre. Voilà ce que fit
alors Antoine.
33.
L'année suivante, sous le consulat de Pompée et de Cornificius, il entreprit une
expédition contre le roi d'Arménie, mettant de grandes espérances dans le roi
des Mèdes, parce que ce prince, irrité contre Phraate dont il n'avait reçu ni
une part considérable de dépouilles, ni aucun autre honneur, et animé du désir
de se venger de l'Arménien qui avait amené les Romains, avait envoyé Polémon lui
demander son amitié et son alliance. Antoine conçut de cette circonstance une
joie tellement grande qu'il conclut un traité avec le Mède, et plus tard donna
la Petite Arménie à Polémon, en récompense de cette ambassade. Il commença par
inviter l'Arménien, comme un ami, à le venir trouver en Égypte, où il pensait se
défaire de lui sans peine, en s'emparant de sa personne ; mais celui-ci,
soupçonnant ce dessein et n'avant pas déféré à l'invitation, il imagina une
autre manière de le tromper. Il ne laissa point paraître sa colère contre lui,
de peur d'allumer la guerre, et, feignant de marcher de nouveau contre les
Parthes, afin de le prendre au dépourvu, il quitta l'Égypte; mais ayant, chemin
faisant, appris qu'Octavie arrivait de Rome, il n'alla pas plus loin et revint
sur ses pas, bien qu'il lui eût ordonné de retourner immédiatement chez elle, et
qu'il eût reçu les présents qu'elle lui envoyait, et, entre autres, les soldats
qu'elle avait demandés à son frère pour cette expédition. Il était plus que
jamais dominé par son amour et par les charmes de Cléopâtre.
Comment César soumit les Pannoniens
34.
Quant à César, comme, dans cet intervalle, Sextus était mort et que la Libye
avait besoin d'être pacifiée, il se rendit en Sicile, dans l'intention de passer
de là dans cette contrée; mais, attardé par la tempête, il renonça à effectuer
la traversée. En effet, les Salasses, les Taurisques, les Liburnes et les
lapydes, qui, déjà auparavant, loin de se bien conduire avec les Romains,
refusaient de payer les tributs, et même quelquefois portaient, par des
incursions, le ravage dans le voisinage, profitèrent de son absence pour se
soulever ouvertement. César, rappelé en arrière par cette révolte, fit donc ses
préparatifs pour marcher contre eux; et, quelques-uns des soldats congédiés sans
gratification à la suite de leur soulèvement ayant consenti à reprendre du
service, il en forma une légion à part, afin qu'isolés et réduits à eux seuls,
ils ne corrompissent personne, et que, s'ils tentaient quelque mouvement, on
s'en aperçût aussitôt. Comme ils n'étaient pas plus sages pour cela, il envoya
un petit nombre des plus âgés dans les colonies de la Gaule, pensant donner
ainsi des espérances aux autres et les apaiser. Cette mesure n'ayant pas arrêté
leur audace, il en livra plusieurs au supplice; puis, voyant le reste exaspéré
par cette exécution, il les convoqua comme s'il se fût agi d'autre chose, et,
après les avoir fait cerner par ses troupes, il leur enleva leurs armes et les
licencia. Comprenant alors leur faiblesse et la fermeté de César, ils changèrent
réellement de sentiments et obtinrent de lui, à force de prières, la permission
de reprendre du servie. César, en effet, qui avait besoin de soldats et
craignait qu'Antoine ne se les attachât, déclara qu'il leur pardonnait, et tira
bon parti d'eux en toutes circonstances. Mais cela n'eut lieu que plus tard.
35.
Pour le moment, César confia à des lieutenants le soin de soumettre les autres
peuples, et marcha lui-même contre les lapydes. II vint à bout assez facilement
de ceux qui habitaient en deçà des montagnes, près de la mer ; mais ce ne fut
pas sans peine qu'il dompta les habitants des sommets et des versants.
Retranchés dans Métule, la plus grande de leurs ville, ils repoussèrent
plusieurs assauts des Romains et leur brûlèrent plusieurs machines; César
lui-même fut blessé en essayant de sortir d'une tour de bois pour monter sur le
mur d'enceinte. A la fin, comme, loin de se retirer, César faisait venir des
renforts, ils feignirent de vouloir entrer en accommodement, reçurent dans leur
citadelle une garnison qu'ils égorgèrent tout entière pendant la nuit, et mirent
le feu à leurs maisons; puis, les uns se tuèrent eux-mêmes, les autres
égorgèrent leurs femmes et leurs enfants; de telle sorte qu'il ne resta rien à
César, car non seulement eux, mais encore ceux qui avaient été pris vifs, se
donnèrent volontairement la mort peu de temps après.
36.
Après la destruction de ce peuple et la soumission des autres, qui ne firent
rien de mémorable, il marcha contre les Pannoniens, non qu'il eût quelque grief
à leur reprocher (il n'avait reçu d'eux aucune injure), mais simplement pour
exercer ses soldats et les nourrir aux dépens d'autrui, regardant comme juste, à
l'égard des faibles, tout ce qui plaisait à celui qui avait la supériorité des
armes. Les Pannoniens habitent un pays proche la Dalmatie, le long des bords
mêmes de l'Ister, depuis la Norique jusqu'à la Mysie d'Europe. Leur existence,
la plus misérable qui puisse être au monde (ils ne sont favorisés ni du côté du
sol, ni du côté du climat; ils ne tirent de leur territoire ni huile ni vin,
sinon en petite quantité, et encore du vin détestable, attendu que la plus
grande partie de la vie s'écoule pour eux au milieu d'un hiver très âpre, mais
seulement de l'orge et du millet dont ils font leur nourriture et leur boisson),
leur a valu de passer pour les plus vaillants des peuples que nous connaissions.
Ils sont, en effet, très enclins à la colère et au meurtre, comme gens que rien
n'encourage à vivre avec honneur. Je connais ces détails, non pour en avoir
entendu parler ou seulement pour les avoir lus, mais pour les avoir appris par
expérience, ayant été gouverneur de ce pays; car, à la suite de la préfecture
d'Afrique, je fus chargé de la Dalmatie, dont mon père aussi avait été quelque
temps le gouverneur; ainsi que de la Pannonie appelée Pannonie Supérieure ; ce
qui fait que c'est avec une exacte connaissance de tout ce qui concerne ces
peuples que j'écris ces renseignements. Ils sont nommés Pannoniens, parce que
leurs tuniques à manches sont, suivant une coupe et une dénomination
particulière à leur pays, formées de pans de manteaux cousus ensemble. Enfin,
quelle qu'en soit la raison, leur nom est tel ; quelques historiens grecs,
ignorant la vérité, les ont appelés Pæoniens, appellation antique qui ne
s'applique pas à ces peuples, mais à ceux du Rhodope et des environs de la
Macédoine actuelle jusqu'à la mer. C'est pourquoi j'appellerai les uns Paoniens,
et les autres Pannoniens, conformément au nom qu'ils se donnent eux-mêmes, et
que leur donnent aussi les Romains.
37.
Dans son expédition contre ces peuples, César s'abstint d'abord de rien ravager
et de rien piller, bien qu'ils eussent abandonné les villages situés en plaine,
car il espérait les amener à se soumettre volontairement ; mais quand ils en
vinrent à gêner sa marche contre Siscia, il s'irrita, brûla le pays et fit le
plus de butin qu'il put. Quand if fut arrivé près de la ville, les habitants, à
la persuasion des principaux d'entre eux, traitèrent avec lui et lui donnèrent
des otages ; mais ensuite ils lui fermèrent leurs portes et furent mis en état
de siège. Ils avaient de fortes murailles, et, en somme, ils mettaient leur
confiance dans deux fleuves navigables. En effet, le Colops, qui baigne
l'enceinte, se jette dans le Save qui est peu éloigné et entoure aujourd'hui la
ville tout entière, Tibère l'y ayant conduit au moyen d'un grand fossé par
lequel il retourne dans son ancien lit. Mais, à cette époque, le Colops, d'un
côté, passant au pied même des remparts, et, d'un autre, le Save coulant à peu
de distance, laissaient dans le milieu un espace vide qui avait été fortifié
avec des palissades et des fossés. César, prenant des barques construites aux
environs par ses alliés, et les faisant passer par l'Ister dans le Save, et par
celui-ci dans le Colops, attaqua la ville à la fois avec ses troupes de terre et
avec ses vaisseaux, et livra plusieurs batailles navales sous ses murs. Les
Barbares, en effet, ayant à leur tour fabriqué des barques d'une seule pièce,
soutinrent la lutte, tuèrent, entre autres, sur le fleuve, Ménas, l'affranchi de
Sextus, et sur terre repoussèrent vigoureusement César, jusqu'au moment où ils
apprirent que quelques-uns de leurs alliés étaient tombés dans des embuscades et
avaient péri. Alors ils cédèrent par découragement. Leur soumission amena celle
du reste de la Pannonie.
38.
A la suite de ces événements, César laissa dans ces lieux Fucus Gérninus avec un
corps de troupes, et retourna lui-même à Rome : il différa le triomphe qui lui
avait été décerné, et accorda à Octavie ainsi qu'à Livie l'honneur de statues,
le droit d'administrer leurs biens sans tuteurs, et le privilège d'être
inviolables à l'égal des tribuns du peuple. Comme il se préparait à une
expédition contre la Bretagne, à l'exemple de son père, et comme il s'était même
déjà avancé jusqu'en Gaule, après l'hiver où Antoine fut consul pour la seconde
fois et L. Libon pour la première, quelques-uns des peuples nouvellement soumis,
et les Dalmates avec eux, se soulevèrent. Géminus, bien qu'ayant été chassé de
Siscia, recouvra la Pannonie à force de combattre, et Valérius Messala dompta
les Salasses et les autres peuples qui s'étaient révoltés avec eux. Quant aux
Dalmates, Agrippa d'abord, puis César, marchèrent contre eux. Après des
souffrances si nombreuses et si dures que César fut blessé, que quelques soldats
reçurent de l'orge en place de blé, enfin que d'autres furent décimés pour avoir
abandonné leur poste, les Romains vinrent à bout de subjuguer la plupart de ces
Barbares, et Statilius Taurus fit la guerre au reste.
Comment Antoine prit le roi d'Arménie par trahison
39.
Sur ces entrefaites, Antoine abdiqua le consulat le jour même de sa prise de
possession, après s'être substitué L. Sempronius Atratinus, ce qui fait que
quelques historiens, dans l'énumération des consuls, citent Atratinus, et non
Antoine. Or, pour arriver à se venger de l'Arménien avec le moins de peine
possible, il lui fit demander sa fille, comme pour la marier à son fils
Alexandre, par un certain Q. Dellius, qui avait été autrefois son mignon, et lui
fit mainte promesse. Enfin, au commencement du printemps, il arriva tout à coup
à la Nicopolis de Pompée, et là il envoya quérir le roi d'Arménie, sous prétexte
d'employer ses conseils et son aide contre les Parthes. Celui–ci, soupçonnant le
piège et n'étant pas venu, il envoya de nouveau Dellius lui parler, et ne mit
pas moins d'empressement à pousser lui-même jusqu'à Artaxate. De cette manière,
moitié persuasion de ses amis, moitié crainte de ses soldats, en lui écrivant et
en agissant en tout avec lui comme avec un ami, il le décida enfin à se rendre
dans son camp. Là, s'étant saisi de sa personne, il le fit garder, sans chaînes
d'abord, et le conduisit devant les places où étaient ses trésors, afin, s'il
était possible, de s'en emparer sans combat, prétextant ne s'être saisi du roi
qu'afin de lever un tribut sur les Arméniens pour le rachat de sa vie et de son
trône. Mais ceux qui gardaient l'or ne lui ayant pas obéi, et ceux qui avaient
les armes à la main ayant élu roi à sa place Artaxe, l'aîné de ses fils, il
chargea Artavasde de chaînes d'argent, car, apparemment, c'était une honte de
charger de chaînes de fer un homme qui avait été roi.
40.
A la suite de cela, s'assurant les uns de gré, les autres de force, il se rendit
maître de l'Arménie tout entière; car Artaxe, vaincu dans un engagement, se
retira chez les Parthes. Après avoir accompli ces choses et fiancé son fils à la
fille du Mède, afin de se l'attacher davantage, Antoine retourna en Égypte,
emmenant, outre un butin considérable, l'Arménien avec sa femme et ses enfants.
Il les fit marcher devant lui avec les autres captifs, dans une sorte de
triomphe à Alexandrie, où il entra lui-même sur un char; et, outre toutes les
autres faveurs accordées à Cléopâtre, il lui amena l'Arménien, avec les siens,
chargé de chaînes d'or. Elle était assise, au milieu du peuple, sur une tribune
ornée d'argent et sur un trône d'or. Les Barbares ne lui adressèrent aucune
prière et ne se prosternèrent pas devant elle, malgré la contrainte qu'on
employa et les espérances qu'on leur faisait concevoir; ils s'acquirent même,
pour l'avoir appelée par son nom, une réputation de grandeur d'âme; mais ils
furent, pour ce même motif, durement traités.
41.
A la suite de ce triomphe, Antoine donna un banquet aux Alexandrins, et, au
milieu du peuple assemblé, il fit asseoir près de lui Cléopâtre et ses enfants;
puis, après avoir prononcé quelques paroles, il ordonna d'appeler Cléopâtre
reine des rois, et Ptolémée, surnommé Césarion, roi des rois. Il leur donna, par
un nouveau partage, l'Égypte et Chypre : il répétait que Cléopâtre avait été la
femme du premier César et que Ptolémée était véritablement son fils, et feignait
d'agir ainsi par amitié pour l'ancien dictateur, afin de rendre odieux César
Octavien, qui n'était son fils que par adoption et non par la nature. Telle fut
la part qu'il leur assigna ; quant aux enfants qu'il avait eus lui-même de
Cléopâtre, il promit de donner, à Ptolémée, la Syrie et tout le pays en deçà de
l'Euphrate jusqu'à l'Hellespont; à Cléopâtre, la Libye qui avoisine Cyrène: et à
leur frère Alexandre l'Arménie et les régions au-delà de l'Euphrate jusqu'aux
Indes; car il disposait de ces contrées comme s'il les avait déjà en son
pouvoir. Ce ne fut pas seulement à Alexandrie qu'il tint ce langage; il écrivit
à Rome pour y mentionner ces dispositions. Cependant aucune de ses lettres ne
fut lue en public; les consuls Domitius et Sossius, qui alors étaient déjà en
charge, et qui lui étaient fort attachés, ne le voulurent pas, de quelques
instances que César usât auprès d'eux. Les consuls l'avant emporté sur ce point,
César, à son tour, obtint qu'on ne publierait rien de ce qu'il avait écrit
touchant l'Arménien; car il avait compassion de ce roi avec qui il traitait
secrètement contre Antoine, et il était jaloux du triomphe de ce dernier.
Antoine, cependant, malgré une telle conduite, osa écrire au sénat qu'il voulait
renoncer à son commandement et lui remettre toutes les affaires, à lui et au
peuple. Son intention n'était pas d'en rien faire ; mais, en leur donnant ces
espérances, il voulait seulement forcer César, attendu qu'il était sur les
lieux, à quitter les armes le premier, ou, s'il s'y refusait, le perdre dans
l'opinion des Romains.
Comment fut dédié le portique de Paulus
42.
Voilà ce qui se passait alors, et, de plus, les jeux consacrés à Vénus Génitrix
furent célébrés par les consuls. Durant les Féries Latines, des enfants
impubères choisis par César parmi les chevaliers, et non parmi les sénateurs,
furent investis de la charge de préfets urbains. Paulus Émilius Lépidus bâtit à
ses propres frais le portique appelé portique de Paulus, et le dédia pendant son
consulat, car il fut consul pendant une partie de cette année. Agrippa fit, de
ses deniers, les dépenses nécessaires pour le rétablissement de l'aqueduc de
l'eau Marcia, qui avait cessé de couler à cause de la dégradation des conduits,
et il l'amena dans plusieurs quartiers de Rome. Ces deux citoyens, malgré ces
largesses faites sur leur fortune privée, se montrèrent simples et modestes,
tandis que d'autres, bien que n'ayant exercé qu'un commandement sans importance,
se firent, néanmoins, ceux-ci par Antoine, ceux-là par César, décerner le
triomphe, et, sous ce prétexte, exigèrent des peuples de fortes sommes à titre
d'or coronaire.
Comment la Mauritanie qui avoisine Césarée tomba au pouvoir des Romains
43.
L'année d'ensuite, Agrippa exerça volontairement l'édilité et répara tous les
édifices publics et toutes les routes, sans rien recevoir du trésor; il cura
aussi les cloaques et descendit par elles jusqu'au Tibre. Voyant que dans les
jeux du cirque on se trompait sur le nombre des courses, il établit les dauphins
et les signaux de forme ovale, destinés à montrer le nombre des tours courus. Il
fit, en outre, une distribution d'huile et de sel à tous les citoyens; rendit
gratuits, toute l'année, les bains où les hommes et les femmes venaient se laver
; dans les jeux qu'il donna , et ils furent si nombreux et si variés que les
enfants des sénateurs représentèrent la cavalcade troyenne, il loua des
barbiers, afin que personne n'eût rien à dépenser pour la fête. Enfin, au
théâtre, il jeta par-dessus la tête des spectateurs des tessères attribuant, à
celui-ci de l'argent, à celui-là une toge, à un autre un autre cadeau ; il fit
aussi déposer au milieu de l'enceinte quantité de marchandises qu'il leur permit
de piller. Agrippa, au milieu de ces occupations, chassa de Rome les astrologues
et les magiciens. Vers ces mêmes jours parut un décret interdisant de citer en
justice pour brigandage aucun des membres du sénat, en sorte que ceux qui
étaient sous le coup d'une pareille accusation furent absous, et quelques-uns
reçurent, pour l'avenir, le privilège de faire le mal impunément. Quant à César,
il abdiqua dès le premier jour, à l'exemple d'Antoine, le consulat qu'il
exerçait pour la seconde fois, avec L. Tullus pour collègue, et il éleva
quelques plébéiens au rang de patriciens, d'après une décision du sénat. L.
Asellius, qui était préteur, ayant, à cause d'une longue maladie, voulu se
démettre de sa charge, César substitua le fils d'Asellius à son père. Un second
préteur étant mort le dernier jour de sa magistrature, il en élut un autre pour
les heures qui restaient. Bocchus ayant cessé de vivre, César ne lui donna pas
de successeur et mit son royaume au nombre des provinces romaines. En outre,
comme il avait complètement dompté les Dalmates, il construisit, sur le produit
de leurs dépouilles, le portique et la bibliothèque appelés Octaviens du nom de
sa sœur.
44.
Antoine, pendant ce temps, poussa jusqu'à l'Araxe, dans l'intention de marcher
contre les Parthes; mais il se contenta de faire avec le Mède un traité par
lequel ils convinrent de se prêter mutuellement secours, l'un contre les
Parthes, l'autre contre César, et, dans cette vue, échangèrent entre eux
quelques soldats. L'un reçut une portion de l'Arménie récemment conquise,
l'autre Jotape, fille du roi, pour l'unir à son fils Alexandre, ainsi que les
enseignes prises dans le combat livré à Statianus. Antoine donna ensuite, comme
je l'ai dit, la Petite Arménie à Polémon, et partit, après avoir créé consul et
destitué aussitôt L. Flavius (c'était un de ses familiers), pour aller en Ionie
et en Grèce faire la guerre à César. Le Mède, avec l'aide des Romains ses
alliés, vainquit les Parthes et Artaxès, qui l'avaient attaqué; mais Antoine
avant rappelé ses soldats, tout en gardant ceux du roi, ce prince fut vaincu à
son tour et fait prisonnier, et l'Arménie fut perdue avec la Médie.
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