Le règne d'Antonin
le Pieux
1. Il faut
savoir que le règne d'Antonin le Pieux ne se trouve pas dans les exemplaires de
Dion, vraisemblablement par suite d'un accident arrivé à cette partie de son
ouvrage, en sorte qu'on ignore à peu près tout ce qui se rapporte à ce prince,
si ce n'est que L. Commode, qu'Adrien avait adopté, étant mort avant Adrien,
Antonin fut adopté à son tour et devint empereur ; que le sénat ne voulant pas,
lorsqu'Adrien fut mort, lui décerner les honneurs des héros parce qu'il avait
fait mourir plusieurs personnages illustres, Antonin leur tint un long discours
entremêlé de pleurs et de gémissements et finit par s'écrier : «Eh bien, moi non
plus, je ne vous gouvernerai pas, puisqu'Adrien a été mauvais prince, qu'il a
encouru votre haine et qu'il a été votre ennemi ; car il est certain que vous
casserez tous ses actes, actes au nombre desquels est mon adoption». A ces mots,
le sénat, touché de respect pour Antonin, et aussi craignant les soldats, rendit
les honneurs d'usage à Adrien.
2. Voilà ce qui s'est
conservé de Dion au sujet d'Antonin ; on sait aussi que le sénat le surnomma
Auguste et Pieux pour cette conduite. Plusieurs personnes, au commencement de
son règne, ayant été mises en accusation et le supplice de quelques unes
nommément ayant été réclamé, il ne punit personne, disant : «Ce n'est pas par de
telles oeuvres que je dois commencer mon règne». On n'a pas conservé non plus
les premiers événements de l'histoire de M. Vérus, sucesseur d'Antonin,
c'est-à-dire la façon dont il se conduisit à l'égard de Lucius, fils de Commode,
que Marcus avait pris pour son gendre, ni les exploits de ce Lucius dans la
guerre contre Vologèse, où il avait été envoyé par son beau-père. Ainsi donc, je
ne donnerai de ces événements qu'une brève relation, extraite d'autres auteurs,
puis, je reprendrai la suite de Dion.
3. Tout le monde demeure d'accord qu'Antonin fut un
prince vertueux, n'opprimant aucun de ses autres sujets et ne persécutant pas
les Chrétiens, leur accordant, au contraire, un grand respect, et enchérissant
sur les marques d'estime dont Adrien les honorait. Eusèbe Pamphile cite, dans
son Histoire Ecclésiastique, une lettre d'Adrien, dans laquelle il montre ce
prince menaçant durement ceux qui maltraitent les chrétiens ou qui les
traduisent en justice, et jurant par Hercule de les punir. On dit qu'Antonin
apportait un soin très grand à tout examiner, et qu'il ne reculait pas même
devant un détail mince et vulgaire, ce qui le fit appeler par dérision
coupe-cumin. Quadratus dit que ce prince mourut vieux, que sa mort fut très
douce et semblable au sommeil le plus paisible.
4. Sous le règne d'Antonin, il arriva, dit-on, en
Bithynie et en Hellespont, un furieux tremblement de terre, dont souffrirent
beaucoup et furent complètement ruinées plusieurs autres villes, et, par-dessus
toutes, Cyzique, dont le temple, le plus grand et le plus beau de tous les
temples, s'écroula ; les colonnes avaient quatre orgyes d'épaisseur et quatre
coudées de haut, chacune faite d'un seul bloc, et les ornements intérieurs sont
plus à admirer qu'à décrire. On dit aussi que le sommet d'une montagne, au
milieu des terres, s'étant ouvert à sa partie supérieure, l'eau de la mer sortit
à flots par cette ouverture et lança loin dans cette contrée l'écume d'une mer
pure et limpide. Voilà ce que j'ai à dire pour le moment sur Antonin ; il régna
vingt quatre ans.