Rome avait détruit par les expéditions dont je viens de
parler la piraterie dans l'Adriatique septentrionale, mais dans les eaux de la
Grèce et de la Mauritanie, les corsaires ne sentent point directement son bras
et se livrent librement au pillage et à la dévastation.
Parmi les peuples de la Grèce, les Étoliens avaient seuls
gardé des mœurs sauvages et des habitudes de brigandage. Ils faisaient de
fréquentes incursions, et pirataient sur terre comme sur mer. C'étaient des
bêtes féroces plutôt que des hommes, dit Polybe[1],
sans distinction pour personne, rien n'était exempt de leurs hostilités.
Cependant, tant qu'Antigone vécut, la crainte qu'ils avaient des Macédoniens les
retint. Mais dès qu'il fut mort, ne laissant pour successeur
qu'un enfant, ils
levèrent le masque et ne cherchèrent plus que quelque prétexte spécieux pour se
jeter sur le Péloponèse. Un certain Dorimaque, Étolien, fut envoyé (222 avant
J.-C.) à Phigalée, ville du Péloponèse, située sur les frontières de la Messénie
et placée sous la dépendance de la république étolienne, pour examiner ce qui se
passait dans la contrée. C'était un jeune homme audacieux et avide du bien
d'autrui. Il établit à Phigalée le siège de ses brigandages. Il réunit autour de
lui une quantité de pirates, de Klephtes ou brigands, et leur permit de
butiner dans les environs et d'enlever les troupeaux des Messéniens bien que
ceux-ci fussent amis et alliés de l'Étolie. Ces Klephtes n'exercèrent d'abord
leurs pillages qu'aux extrémités de la province, mais leur audace ne s'en tint
point là, ils entrèrent dans le pays, attaquèrent les habitations pendant la
nuit et les forcèrent. Les Messéniens adressèrent des plaintes à Dorimaque, mais
celui-ci qui partageait le butin, n'eut aucun égard à leurs réclamations. Il fit
plus, il se rendit à Messène et répondit par des railleries, des insultes et des
menaces à ceux qui avaient été maltraités par les siens. Une nuit même qu'il
était encore à Messène, les brigands pillèrent les abords de la ville,
égorgèrent ceux qui leur résistaient, chargèrent les autres de chaînes et
emmenèrent tous les bestiaux. Jusque-là les Éphores avaient supporté les
pillages des Klephtes et la présence de leur chef, mais enfin
se voyant encore
insultés, ils donnèrent l'ordre à Dorimaque de comparaître devant l'assemblée
des magistrats. Sciron, homme de mérite et de considération, était alors Éphore
à Messène; son avis fut de ne pas laisser Dorimaque sortir de la ville qu'il
n'eut rendu tout ce qui avait été pris aux Messéniens, et qu'il n'eut livré à la
vindicte publique les auteurs de tant de meurtres commis. Tout le conseil
trouvant cet avis fort juste, Dorimaque se mit en colère et dit que l'on n'était
guère habile si l'on s'imaginait insulter sa personne; que ce n'était pas lui,
mais la république étolienne que l'on atteignait, que cette indignité allait
attirer sur les Messéniens une tempête épouvantable et qu'un tel attentat ne
resterait pas impuni. Il se trouvait à cette époque, à Messène, un certain
Barbytas, dévoué à Dorimaque et qui avait la voix et le reste du corps si
semblables à lui, que s'il eut eu sa coiffure et ses vêtements, on l'aurait pris
pour lui-même, et Dorimaque savait bien cela. Celui-ci donc s'échauffant et
traitant avec hauteur les Messéniens, Sciron ne put se contenir: «Tu crois donc,
Barbytas, lui dit-il d'un ton de colère, que nous nous soucions fort de toi et
de tes menaces!» Ce mot ferma la bouche à Dorimaque qui partit pour l'Étolie où
il fit déclarer la guerre aux Messéniens.
Les pirates se mirent aussitôt à la mer, et, dans leur
audace, ils capturèrent un vaisseau macédonien qu'ils vendirent, cargaison et
équipage, dans l'île de
Cythère. Montés sur les vaisseaux des Céphalléniens, ils ravagèrent les
côtes de l'Épire, firent des tentatives sur Tyrée, ville de l'Arcananie,
envoyèrent des partis dans le Péloponèse et prirent, au milieu des terres des
Mégapolitains, la forteresse de Clarion dont ils se servirent pour y vendre à
l'encan leur butin et y garder celui qu'ils faisaient. D'un autre côté, une
troupe de Klephtes, sous la conduite de Dorimaque, pilla les Achéens en se
rendant à Phigalée d'où elle se jeta sur la Messénie. Les Achéens résolurent
alors de secourir les Messéniens et appelèrent à leur aide les Macédoniens.
Comme on le voit, ce furent les brigands Étoliens qui donnèrent naissance à la
grande guerre qui éclata alors en Grèce et qui est restée célèbre dans
l'histoire par les actions d'Aratus et de Philippe, roi de Macédoine.
Pendant le cours de cette lutte entre les Grecs, une alliance
fut conclue entre Philippe et Annibal d'une part, et entre les Étoliens et Rome
d'autre part. Les Romains intervinrent ainsi dans les affaires de la Grèce.
Après différents combats, Philippe fut complètement vaincu à Cynocéphales (196
avant J.-C.). Les Étoliens contribuèrent puissamment à la victoire, mais ils
eurent l'insolence de se l'attribuer tout entière. Flamininus, déjà mécontent de
leur rapacité, les dédaigna et affecta, en toute occasion, d'humilier leur
orgueil. Ces Étoliens inspiraient du dégoût aux Romains; quand on leur demandait
de renoncer à leur
coutume sauvage de pillage, ils répondaient: «Nous ôterions plutôt l'Étolie de
l'Étolie que d'empêcher nos guerriers d'enlever les dépouilles des dépouilles[1].»
L'histoire nous apprend que les Étoliens, après avoir rompu
avec les Romains, devinrent leurs ennemis acharnés et s'allièrent contre eux
avec Antiochus le Grand, qu'ils entraînèrent dans leur ruine (198 avant J.-C.).