Rome avait purgé la mer Adriatique, mais à l'occident, la
piraterie s'exerçait en pleine liberté et s'était installée comme en un
dangereux repaire dans les îles Baléares.
Ces îles étaient d'une grande fertilité; les habitants
passaient pour des gens pacifiques, mais la présence parmi eux de quelques
scélérats qui avaient fait alliance avec les pirates de la mer intérieure suffit
pour les compromettre tous. Ils avaient acquis, en repoussant les fréquentes
agressions auxquelles les exposaient leurs richesses, la réputation de frondeurs
les plus adroits qu'il y ait au monde. Leur supériorité dans le maniement de la
fronde remontait à l'époque où les Phéniciens et les Carthaginois occupèrent ces
îles. Ils marchaient nus au combat, ne gardant qu'un bouclier passé dans leur
bras gauche, tandis que leur main droite brandissait une javeline durcie au feu
et quelquefois armée d'une petite pointe de fer. Ils portaient en outre, ceintes
autour de la tête, trois frondes faites de mélancranis[1],
de crin ou de boyau, une longue pour atteindre
l'ennemi de loin, une courte pour le frapper de près, et une moyenne pour
l'attaquer quand il était placé à une distance médiocre. Dès l'enfance on les
exerçait à manier la fronde, et, à cet effet, les parents ne donnaient à leurs
enfants le pain dont ils avaient besoin qu'après que ceux-ci avec leurs frondes
l'avaient atteint comme une cible.
A l'époque des désastres de Carthage, les insulaires des
Baléares profitèrent de leur indépendance pour infester la mer de leur piraterie
forcenée. Montés sur de frêles bateaux, ces hommes farouches et sauvages étaient
devenus, par leurs attaques soudaines, la terreur de ceux qui naviguaient près
de leurs îles. Le Sénat résolut de mettre fin à leurs brigandages et envoya
contre eux Métellus.
Dès qu'ils aperçurent la flotte romaine qui, de la haute mer,
cinglait vers eux, les insulaires la regardèrent comme une proie et poussèrent
l'audace jusqu'à l'assaillir. Métellus connaissant leur adresse, fit tendre des
peaux au-dessus du pont de chaque navire pour abriter ses hommes. Cette
précaution garantit les Romains d'une grêle de pierres. Quand on en vint à
combattre de près, et que les insulaires eurent fait l'expérience des éperons et
des javelots romains, ils poussèrent un grand cri et s'enfuirent vers leurs
rivages. Métellus les poursuivit jusque dans les montagnes et les détruisit. Il
peupla les îles de trois mille colons. Dès lors
un commerce actif et prospère se fit avec l'Espagne. Ces îles fertiles, bien
situées et douées d'un climat agréable, furent une heureuse acquisition pour
Rome, une escale précieuse pour elle lorsque ses navires se rendaient en
Espagne. Métellus reçut, en l'honneur de son expédition, le surnom de
Baléarique (123 av. J.-C.)[1].
Vers la même époque les Romains achevèrent de consolider leur
domination dans le bassin occidental de la Méditerranée en fondant, après des
luttes incessantes, des établissements florissants dans l'île d'Elbe, riche en
minerais, dans la Corse et dans la Sardaigne, couvertes de forêts. Cependant un
grand nombre de montagnards de ces îles sauvages conservèrent leur indépendance
et passèrent toujours aux yeux des Romains pour des brigands[2].