Mais cette image d'Epinal, véhiculée par le cinéma et la télévision,
est-elle conforme à la réalité ? Ou bien se pourrait-il que la nature de ces
animaux du passé soit plus complexe qu'on ne pourrait le croire ?
De prime abord, il convient de préciser
que le terme
« dinosaure »
provient du grec, formé par les mots deinos (« terrible »)
et
sauros
(« lézard »),
et fut proposé par le paléontologue anglais Richard Owens dès 1842.
A cette date, peu de fossiles avaient été découverts, et jusqu'aux années
1960, les dinosaures furent considérés comme des lézards géants à sang
froid, patauds, et de surcroît peu intelligents.
Ainsi, pendant plus d'un siècle, les
paléontologues furent contraints d'extrapoler afin d'imaginer l'apparence
des dinosaures, n'ayant retrouvé que leurs os. Ainsi, se basant sur l'image
des reptiles contemporains, les chercheurs imaginèrent des dinosaures à peau
épaisse et de couleur sombre : des tons bruns et verts (comme les crocodiles
et les varans), ou bien gris (comme les éléphants).
Représentation ancienne d'un Tyrannosaure.
Cependant, les scientifiques de
l'époque n'avaient aucun moyen de savoir si les dinosaures avaient une peau
de couleur sombre, afin de bénéficier d'un meilleur camouflage ; si elle
était vive et bariolée, pour impressionner les femelles ou les prédateurs ;
ni même si les dinosaures arboraient une peau nue, ou bien des plumes, des
écailles, des poils, etc.
En effet, il est très difficile de
s'imaginer à quoi peut ressembler un animal en ne regardant que son
squelette (surtout avec les moyens scientifiques limités du XIX° siècle).
Imaginons à quoi ressemblerait un canard ou un cygne sans plumes et sans bec
? Un chat ou un lapin, sans pelage, sans oreilles ni museau ? Dans un même
ordre d'idée, comment imaginer la couche de graisse recouvrant certains
animaux, comme les hippopotames ou les baleines ? Ou bien la crête des coqs
et des dindons ? Ou bien la trompe des éléphants ?
Quel est donc ce crâne d'apparence monstrueuse ? S'agirait-il d'un
dragon démoniaque ?
Vérification faite, il s'agirait d'un hippopotame à l'apparence
débonnaire...
Tous ces éléments physiques, dont
bénéficiaient sans doute certaines espèces de dinosaures, sont
malheureusement périssables, et ne sont pas aussi bien conservés que les os.
Puis, à la fin des années 1960, l'on
assista à une révolution scientifique dans le monde de la paléontologie, qui
fut baptisée
« renaissance des dinosaures. » A cette date, les
chercheurs commencèrent à remettre en cause les schémas
« classiques », à l'aune de nouvelles découvertes. Cela
entraîna de profonds changements sur la représentation que l'on avait des
dinosaures : parmi ceux-ci, leurs comportements sociaux (nidification,
interactions avec d'autres espèces), leur évolution, leur physiologie
(théorie des dinosaures à sang chaud), leur extinction finale (due non à
leur stupidité mais à un astéroïde entré en collision avec la Terre) ; etc.
C'est ainsi que les dinosaures, considérés jusqu'alors comme des
lézards géants et patauds, furent présentés de façon plus moderne, avec des
couleurs plus variées, prenant mieux en compte leur intellect et leur
agilité.
C'est cette représentation
« deuxième vague » que l'on retrouve dans de nombreux
films célèbres (tels que
Jurassic Park
ou
L'Age de glace 3),
ainsi que dans plusieurs jeux vidéos (Chuck
Rock,
Dino Crisis,
Turok,
etc.) des années 1990 et 2000.
Représentation
« classique » d'un Tyrannosaure.
Cependant, la découverte de nombreux
« dinosaures à plumes »,
en Chine, à compter des années 2000, provoqua une
« deuxième révolution », entraînant une
nouvelle remise en question de nos connaissances sur ces créatures
disparues.
Parmi ces nouveaux dinosaures à plumes
découverts récemment, l'on peut citer l'Anchiornis (découvert en
2009), le Caudipteryx (1998), le Changyuraptor (2014), le
Microraptor (2003), etc. A noter que toutes ces créatures font partie de
la famille des théropodes, à laquelle appartenaient d'autres
dinosaures plus célèbres, dont le Tyrannosaurus rex et le
Vélociraptor.
De gauche à droite : le Microraptor, l'Austroraptor, le Vélociraptor, et l'Utahraptor.
Ainsi, s'il semble que le Tyrannosaure
ne portait de plumes que dans les régions froides, il est clairement établi
que son cousin le Vélociraptor était recouvert d'un imposant plumage, ce qui
égratigne considérablement son image de prédateur, véhiculée par le cinéma,
le rapprochant plus d'un poulet carnivore
(parmi les cousins du Vélociraptor, eux aussi adeptes des plumes, l'on
pourrait citer l'Austroraptor et l'Utahraptor, de taille plus
conséquente).
Deux représentations modernes du Tyrannosaure, l'un recouvert d'un plumage
intégral (en haut) ; l'autre d'un pelage partiel (en bas).
Par ailleurs, alors qu'autrefois il
était impossible de connaître la couleur de la peau des dinosaures (la
pigmentation ne se conservant pas à l'état fossile), de nouveaux procédés
scientifiques furent expérimentés sur les restes des dinosaures à plumes
retrouvés en Chine, restés dans un bon état de conservation. Ainsi, le
résultat de ces analyses a permis de découvrir des cellules pigmentées,
révélant au grand jour le motif du plumage de ces créatures disparues
: un plumage grisé pour l'Anchiornis, avec des bandes blanches et noires sur
les ailes ; un plumage noir iridescent (c'est-à-dire qui change de couleur
selon l'angle de vue) pour le Microraptor.
En outre, la présence de pelage est
avérée chez plusieurs espèces de dinosaures, tels que le Sciuruminus
(qui possédait une queue touffue), le Sinosauropteryx (un pelage
brun-rouge, avec une alternance de bandes de couleurs claires et foncées sur
la queue), le Beipiasaurus (au corps recouvert de longs poils,
peut-être des proto-plumes), etc.
Représentations modernes du Sciuruminus (à gauche), et du
Sinosauropteryx (à droite).
En parallèle de ces découvertes, de
nouvelles critiques apparurent à compter des années 2010 contre les
représentations des dinosaures issue de la
« deuxième vague », que nous avons évoqué plus tôt.
Ainsi, si la révolution des années 1960
avait permis de donner une apparence moins reptilienne et plus physique aux
dinosaures, de nombreux chercheurs commencèrent à critiquer ces
représentations classiques, dénonçant le shrink-wrapped dinosaur syndrom
(ou
« syndrome du
dinosaure à la peau serrée »
en français).
Schéma expliquant le syndrome "shrink-wrapped" et les solutions pour
aboutir à une représentation moderne.
En effet, comme nous l'avons évoqué
précédemment, comment imaginer la graisse d'une baleine, la trompe d'un
éléphant, ou le museau d'un chat, plusieurs millions d'années après leur
disparition ? Ainsi, depuis les années 2010, les paléontologues s'attaquent
à ces représentation où les dinosaures semblent avoir la peau collée sur les
os (d'où l'appellation de shrink-wrapped).
Représentations "shrink-wrapped" terrifiantes d'un couple de cygnes
(à gauche) et d'un babouin (à droite).
C'est ainsi que de nouvelles
représentations apparaissent peu à peu, depuis quelques années, mais il
faudra sans doute du temps pour effacer les images de la
« deuxième vague », largement diffusées dans l'inconscient
populaire.
Représentation moderne du Girafatitan.
Aujourd'hui, si nous en savons bien
plus sur les dinosaures qu'il y a trente ans, il n'en reste pas moins que la
paléontologie est une science qui évolue à la découverte de chaque nouveau
fossile. Ainsi, si de nombreux dinosaures parviennent encore à conserver une
aura de mystère, peut-être que de nouvelles fouilles, dans un avenir proche,
nous permettrons d'en savoir plus sur ces géants du passé..
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