Aujourd'hui, nous avons tous en mémoire le
personnage de Berthe, épouse de Pépin III le Bref, qui donna
naissance à Charlemagne et son frère Carloman. Mais cette reine est surtout
connue pour ses grands pieds, ce qui fit l'objet de plusieurs poèmes au
cours du Moyen-âge.
Cependant, la reine avait-elle des grands pieds ou bien une malformation sur
un seul d'entre eux ? C'est ce que nous allons découvrir dans cet article...
Berthe (communément appelée Bertrade),
née vers 720, était la fille de Caribert, comte de Laon[1].
La jeune femme épousa Pépin à une date aujourd'hui méconnue, entre 743 et
749. A cette date, Pépin était encore maire du palais, et ne fut
couronné roi qu'en 751[2]
(Charlemagne et Carloman naquirent au cours de cette période, l'aîné en 742
ou 747, le cadet en 751).
Pépin
III et son épouse Bertrade, école
française du XIII° siècle, château de Versailles, Versailles.
Certaines sources mentionnent toutefois une certaine Leutburgie,
première épouse de Pépin III, avec qui elle aurait eu cinq enfants.
A noter que si les Francs étaient chrétiens, ils n'avaient pas abandonné la
polygamie pour autant (Charles Martel[3],
père de Pépin III, avait eu quatre épouses).
Les chroniques de l'époque, souvent écrites par
des religieux, expliquent donc que les rois de France n'avaient une seule épouse,
les autres étant considérées comme des maîtresses ; où alors que les
souverains répudiaient leur précédente épouse à chaque nouveau mariage.
Le poème le plus connu concernant Berthe, intitulé
Li Romans de Berte aus grans piés, fut
rédigé en 1273 par Adenet le Roi. Ce dernier était un ménestrel au
service du roi de France Philippe III, qui rédigea plusieurs chansons
au cours de sa carrière.
Dans cette œuvre, Berthe aus grans piés
("aux grands pieds" en français moderne) est la fille du roi Floire
de Hongrie et de la reine Blanchefleur. Emmenée à Paris afin d'y
épouser Pépin III, la jeune fille est trahie par sa servante, Margiste.
Cette dernière, arrivée à la Cour, présente au roi de France sa fille
Aliste, la faisant passer pour la princesse (les deux filles se
ressemblant trait pour trait, à l'exception des pieds).
Pendant
ce temps, la vraie Berthe, contrainte de fuir dans la forêt, est recueillie
dans la maison de Simon le voyer[4].
Cette dernière passe neuf années à "filer la quenouille", jusqu'au jour où
Blanchefleur, s'étonnant de ne pas avoir de nouvelles de sa fille, décide de
se rendre à la Cour de Pépin III. Aliste, prenant peur, décida alors de se
faire porter pâle et de garder le lit. Toutefois, Blanchefleur découvre la
supercherie, car si la jeune femme ressemblait trait pour trait à Berthe,
elle avait des petits pieds. Pépin III, outré, se rend alors dans la forêt
afin de chercher sa véritable épouse, qu'il trouve dans la maison du voyer.
Suite à ces évènements, Margiste est exécutée, et Aliste conduite dans un
couvent.
Le surnom de la reine Bertrade date t'il donc du XIII° siècle, ou fut il
inspiré de textes encore plus anciens ? Si aujourd'hui, aucune source ne
nous permet d'affirmer qu'Adenet ne fit qu'adapter une légende antérieure,
force est de constater les nombreuses similarités entre le personnage de
Berthe et la déesse germanique Perchta[5]
(appelée aussi Percht ou Berchta).
Cette divinité dotée d'un grand pied (parfois un pied d'oie ou de cygne),
est souvent présentée comme très belle et
en train de filer la laine, autant d'attributs que partage la
reine Berthe.
Par ailleurs, rappelons que les Carolingiens étaient de
tradition germanique[6]
(la langue
maternelle de Charlemagne était le tudesque,
dialecte pratiqué dans la région du Rhin), il n'est donc pas
étonnant qu'ils aient été influencés par les anciens mythes, donc
celui de la déesse Perchta.
Ainsi, s'il est communément admis que Berthe fut surnommée au
grand pied à cause d'un pied-bot, elle reçut vraisemblablement
ce surnom non à cause d'un handicap physique, mais en référence à
l'ancienne déesse (à noter qu'une autre Berthe, vivant au X°
siècle et épouse du roi de Bourgogne, reçut le surnom de reine
fileuse, peut être une autre association avec Perchta).
A noter enfin qu'il existe à Toulouse la légende
de la reine Pédauque, présentée comme une jeune femme
affublée d'un pied d'oie (pè d'auca en occitan) et
possédant une quenouille ne s'épuisant jamais. Pendant longtemps,
l'on crut que Pédauque était une reine de l'époque wisigothe, mais
une fois encore, cette légende est à rapprocher de la déesse Perchta.
[1]
Certains historiens pensent que Bertrade descendait des
Mérovingiens par sa mère. Cependant, le manque de sources ne nous permet pas
de confirmer cette hypothèse (pour en savoir plus sur cette dynastie, cliquez ici).
[2]
A l'origine, le maire du palais avait une fonction de domestique,
gérant les repas et l'entretien du bâtiment. Cependant, au fil des
siècles, cette fonction prit de l'importance, devenant équivalente à
celle d'un premier ministre aujourd'hui. En 687, suite à la
bataille de Testry,
Pépin de
Herstal, aïeul
de Pépin III, s'empara du roi mérovingien
Thierry III,
ne lui conférant plus qu'une fonction symbolique.
En 751, le dernier souverain mérovingien, Childéric III, fut déposé
par Pépin III, qui s'empara de la couronne de France (Pour en savoir plus sur la bataille de Testry, voir le c), 3, section II, chapitre sixième, les
Mérovingiens ; pour le règne de Pépin III,
cliquez ici).
[3]
Pour en savoir plus sur le règne de Charles Martel,
cliquez ici.
[4] Le voyer
était chargé de la gestion des routes.
[5]
Perchta, divinité mineure du panthéon germanique, est parfois associée aux
déesses Frigga et Freya (pour en savoir plus à ce sujet,
cliquez ici).
[6]
Contrairement aux Mérovingiens qui avaient pris l'habitude de pratiquer le latin
vulgaire (il s'agissait d'un dérivé du latin qui donna naissance aux langues
romanes :
français, italien, espagnol,
portugais, etc.).