Charles Martel a arrêté l'invasion
arabe à Poitiers, le 17 octobre 732
Faux ! D'autant que cette affirmation, en
dépit des idées reçues, contient non pas un mais trois contre-sens
historiques.
Charles Martel, par DEBAY, château de Versailles, Versailles.
Depuis
l'apparition de l'islam dans la péninsule arabique, au début du VII° siècle,
les musulmans s'étaient emparés de nombreux territoires. En effet, ces
derniers avaient réussi, en l'espace d'un siècle, à conquérir l'Arabie, la
Perse, le Proche-Orient, l'Egypte, l'Afrique du nord et l'Hispanie[1]
wisigothique.
Traversant les Pyrénées à compter de 718, les musulmans
avancèrent en direction de la
Septimanie (actuel Languedoc), dernière région sous contrôle des Wisigoths.
S'emparant de Narbonne, les envahisseurs annexèrent finalement cette
province en 720.
Au cours des années qui suivirent, les musulmans lancèrent plusieurs raids
en direction de la Provence et de la vallée du Rhône. Au printemps 732,
Abd al-Rahman, gouverneur d'Espagne, décida de lancer une expédition
contre la Gaule. Eudes, duc d'Aquitaine, menacé par les envahisseur,
décida alors de faire appel à Charles, duc d'Austrasie[2].
Suite à la prise de Bordeaux,
Abd al-Rahman poursuivit sa progression en direction de Tours, où se
trouvait la riche basilique Saint-Martin, principal sanctuaire des Francs
depuis Clovis[3].
Charles, rentré de Germanie, préféra attendre que l'ennemi soit gorgé de
butin (afin de réduire sa mobilité) avant de donner l'assaut.
L'Europe vers 750 (vous
pouvez faire un "clic droit" pour zoomer sur la carte).
Le premier contre-sens
historique provient du qualificatif employé pour désigner l'expédition de
732. Ainsi, il n'y eut pas d’invasion arabe, car la majorité des
participants étaient des
Berbères,
originaires d'Afrique du nord (ce nom provient de l'arabisation du mot
« barbare », désignant à l’origine un peuple n’étant pas de culture grecque
ou romaine). C'est pour cette raison que les historiens préfèrent
aujourd'hui employer le terme d'invasion musulmane.
En outre, les envahisseurs étant mal connus par les Francs,
et furent
donc qualifiés
de Sarrasins par
les chroniqueurs de l'époque (ce terme, hérité du latin Sarracenus,
désignait un peuple nomade d’Arabie du II° siècle après Jésus-Christ). Au
cours du Moyen âge, les musulmans
furent aussi surnommé les infidèles, ces
derniers n’ayant pas épousé (voire renié pour certains) la religion
catholique.
A noter enfin que les mots « musulman » et « islam » ne firent leur apparition dans la langue
française qu’à compter du XVII° siècle.
Une deuxième erreur concerne la date de l'affrontement entre Francs et
musulmans. Traditionnellement, les livres d'Histoire mentionnent que la
bataille de Poitiers aurait été livrée le samedi 17 octobre 732.
Toutefois,
le calendrier julien[4]
ne comporte pas de samedi 17 octobre en 732. Il ne comporte qu'un
samedi 25 octobre 732 ; ainsi qu'un samedi 17 octobre 733.
Les chroniques, quant à elles, sont peu précises,
indiquant
seulement que la bataille avait été livrée un samedi du mois
d’octobre. La bataille de Poitiers se serait donc déroulée non pas
le samedi 17, mais bien le samedi 25 octobre 732[5].
La bataille de
Poitiers, par Charles STEUBEN, XIX° siècle,
château de Versailles, Versailles.
Abd al-Rahman ayant été tué au cours de l'affrontement[6],
les musulmans furent contraints de reculer jusqu'aux Pyrénées.
Charles, quant à lui, recevant le surnom de Martel, profita
de la retraite des envahisseurs pour recevoir la soumission
de l’Aquitaine. Cependant (il s'agit là du troisième contre-sens
historique), si le duc d'Austrasie avait remporté
la bataille de Poitiers, il n'avait pas arrêté l'invasion musulmane, car les
envahisseurs conservaient encore leurs territoires en Septimanie.
En outre, les musulmans lancèrent plusieurs raids contre l'Aquitaine
et la Provence au cours des années qui suivirent, s'emparant d'Arles
et d'Avignon en 735. A cette occasion, les envahisseurs
nouèrent des relations diplomatiques avec Mauronte, duc de
Provence[7].
Après plusieurs expéditions infructueuses, les
musulmans furent chassés de Provence en 739 ; cependant, ce n'est
qu'en 759, sous le règne de
Pépin III, fils de Charles Martel,
que la Septimanie
fut reconquise[8].
A noter que les musulmans ne furent pas en mesure de riposter, car
le califat omeyyade fut agité par une série de crises au
cours du VIII° siècle, ce qui entraina son morcellement[9]
[2]
Au VIII° siècle, la Gaule était divisée en deux principaux Etats :
la Neustrie, à l'ouest, et l'Austrasie, à l'est. Charles Martel, quant à lui,
n'était pas pas roi, mais en avait les pouvoirs. En effet, son père, Pépin de
Herstal, avait pris le pouvoir en 687, imposant son autorité sur le
souverain mérovingien Thierry III.
[3] Pour en savoir plus sur le règne de Clovis,
cliquez ici.
[4]
Le calendrier julien avait été instauré parJules
Césaren 46 avant
Jésus Christ, en remplacement ducalendrier
romain, datant des origines de Rome (ce dernier, très compliqué,
était basé sur le calendrier lunaire grec, et comptait un peu plus
de 300 jours par an). Le calendrier julien, véritable calendrier
solaire, comportait donc 365 jours (366 tous les 4 ans.), et fixait
le début de l'année au 1er janvier.
Au XVI° siècle, le pape Grégoire XIII instaura le
calendrier grégorien, corrigeant ainsi les erreurs du calendrier julien
(c'est ce calendrier que nous utilisons de nos jours).
[5]
Certains historiens avancent toutefois la
date du samedi 17 octobre 733.
[6]
Pour plus de détails sur la bataille de Poitiers, voir le
b), 4, section II, chapitre premier, les Carolingiens.
[7]
Rappelons que l'autorité de Charles Martel sur certaines provinces
n'était que nominale, car de nombreux seigneurs restaient fidèles à
la dynastie mérovingienne.
[8]
Pour en savoir plus sur cette expédition, voir le b), 6, section
III, chapitre premier,
les Carolingiens.
[9]
Le califat omeyyade, s'étendant de l'Arabie à l'Espagne, avait été
instauré en 657 par
Muawiya, gouverneur de Damas.