Faux !
Car même si le concept de nationalité n'a pas le même sens aujourd'hui
qu'autrefois, il serait toutefois erroné de présenter Charlemagne
comme un souverain allemand.
Les Francs,
originaires de Germanie, firent leur apparition lors du III° siècle
après Jésus Christ, alors que l'Empire romain était en proie à une
dangereuse anarchie militaire[1]
.
S'établissant en Toxandrie, derrière le limes[2],
les Francs reçurent un statut de fédérés[3]en 358. Puis, sous
la conduite de Clodion le Chevelu, ils profitèrent de la
déliquescence de l'Empire romain pour s'avancer en direction de la
Gaule, s'installant à Tournai (428).
En 450, Clodion céda la couronne à son fils, Mérovée, qui donna son nom à la
dynastie des Mérovingiens. Cette dernière régna officiellement
jusqu'en 751, date de la déposition de Childéric III[4]
; mais dans les faits, les
Mérovingiens furent dépossédés de leur autorité par les
Carolingiens suite à la bataille de Testry, en
687[5].
A la mort de Pépin III, en 768
(c'est lui qui avait déposé Childéric III), le royaume du défunt fut
partagé entre ses deux fils, Charles et Carloman, qui
furent respectivement proclamés rois à Noyons et Soissons ;
toutefois, le cadet ne tarda pas à mourir (771), et Charles récupéra la totalité du royaume des Francs
(ce dernier fut plus tard surnommé
Charles le Grand, en latin
Karolus Magnus, qui fut finalement francisé en Charlemagne).
A noter qu'en raison de sources
lacunaires, nous manquons d'informations sur ce souverain. Ainsi, nous ne connaissons pas
sa date de naissance (les sources évoquent le 2 avril de l'année 742, 747 ou
748) ; ni le lieu où il vit le jour (une chronique du XII° siècle mentionne Ingelheim, mais les historiens penchent en faveur d'une naissance à
Herstal, un des lieux de résidence de Pépin III).
Quant à la langue maternelle de
Charlemagne, il s'agissait vraisemblablement du tudesque[6],
dialecte pratiqué dans la région du Rhin, d'où il était originaire.
Charlemagne, roi d'un peuple originaire de Germanie, s'exprimant en
tudesque, et installant sa capitale à Aix-la-Chapelle, était-t-il
donc un souverain allemand ?
Charlemagne portant la couronne impériale, par Albrecht DURER, vers 1514, Deutsches historisches museum, Berlin.
De prime abord, si les Francs étaient bien originaires de Germanie,
ils étaient installés en Gaule depuis plus de 400 ans à l'époque de
Charlemagne. Ainsi, alors que les souverains mérovingiens,
s'exprimaient à l'origine à langue francisque, ils avaient
pris l'habitude, au fil des années, de pratiquer le latin vulgaire,
dérivé du latin qui donna naissance aux langues romanes[7].
Ces derniers, établissant leurs capitales
dans des villes françaises (Paris, Orléans, Reims, Soissons, Metz,
etc.), livrèrent d'importants combats contre les peuples de
Germanie, afin d'agrandir leur royaume : guerre contre la Souabe
(504), guerre contre la Thuringe (534), guerre contre la Saxe (555),
etc. Charlemagne, quant à lui, livra une longue guerre contre les
Saxons, particulièrement violente, qui dura près de trente
années.
Par ailleurs, de nombreux Mérovingiens et
Carolingiens se firent inhumer à Paris, dans la basilique Saint
Denis (Dagobert, Clovis III, Charles Martel,
Pépin III, Carloman) ou dans l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés (Childebert,
Clotaire II).
La basilique Saint Denis, Paris.
En ce qui concerne la langue de
Charlemagne, les sources indiquent qu'il
parlait latin, comprenait le grec, et
avait des notions de syriaque. Si sa langue maternelle était le
tudesque, il pratiquait aussi la langue romane, utilisée en Gaule.
Faisant face à la multiplication des dialectes au sein de son
royaume, Charlemagne fit du latin la langue officielle de
l'administration ; en outre, le
concile de Tours (813) consacra la fin des homélies en latin,
afin que les fidèles puissent comprendre ce que disait le prêche. Ces dernières devaient être
prononcées soit en langue romane,
en Gaule, soit en langue tudesque, en Germanie.
Enfin, si Charlemagne installa son palais
à Aix-la-Chapelle, il convient de préciser que cette cité n'était
pas une vieille capitale mérovingienne. Pépin III fut le premier à
s'installer sur le site, connu pour ses sources thermales,
y faisant bâtir un château vers 760.
A noter que Charlemagne fit placer un
menaçant aigle de bronze au sommet de son palais, tourné vers l'est
(dans le contexte des guerres saxonnes).
En 978, Lothaire, roi de France,
marcha en direction d'Aix-la-Chapelle, désireux d'en découdre avec
son homologue Othon II, souverain germanique. Ce dernier
parvint à s'enfuir, mais Lothaire s'empara d'Aix-la-Chapelle,
laissant ses troupes piller le palais et ses environs pendant trois
jours. A cette occasion, il tourna l'aigle de bronze vers l'est,
alors qu'Othon II, originaire de Saxe, l'avait tourné vers l'ouest.
Suite au morcellement de l'Empire
carolingien, la récupération de l'héritage de Charlemagne fut
l'objet d'une importante lutte d'influence entre la France et
l'Allemagne. Ainsi, même si les Carolingiens étaient historiquement
tournés vers la Gaule, l'étendue du royaume de Charlemagne contribua
à donner une aura européenne à ce souverain. Ainsi, ce dernier est
donc parfois considéré comme le père de l'Europe.
Statue dite de Charlemagne (le cavalier pourrait être en fait Louis le Pieux,
fils de Charlemagne.), IX° siècle, musée du Louvre, Paris.
[1]
Pour en savoir plus sur cette période troublée,
cliquez ici.
[2]
Le limes, frontière de l'Empire
romain, formait un ensemble de fortifications et de retranchements, s’étendant
du Rhin au Danube.
[3]
Le foedus permettait aux signataires de conserver ses propres
lois et ses propres dirigeants ; les fédérés n’étaient pas soumis à
l’impôt de Rome ; enfin, Rome pouvait faire appel à des soldats
fédérés, cependant, ces derniers conservaient leurs armes et leur
hiérarchie militaire.
[4]
Pour en savoir plus sur la
déposition de Childéric III, voir le a), 4, section III, chapitre
premier, les Carolingiens.
[5]
A cette occasion, les Carolingiens présentèrent les derniers
Mérovingiens comme des
rois fainéants afin de justifier leur prise
de pouvoir.
[6]
Le mot "tudesque" est employé pour désigner les langues d'origines
germanique.
[7]
Les langues romanes dérivent du
latin. Au fil des siècles, elles ont donné naissance aux langues
qualifiées aujourd’hui de latines : français, italien, espagnol,
portugais, etc.