Faux !
Car même s'il est vrai que les "rois fainéants" ne laissèrent guère leur
empreinte dans l'Histoire, il convient de nuancer l'idée reçue selon
laquelle ces souverains auraient été d'incorrigibles paresseux.
Dans
l'historiographie traditionnelle, l'on a coutume de baptiser "rois
fainéants" les souverains s'étant succédés de la mort de Dagobert[1]
jusqu'à la chute de la dynastie mérovingienne (c'est à dire de 638 à
751, soit un peu plus d'un siècle).
Dagobert, par DUSEIGNEUR, château de Versailles, Versailles.
Toutefois, il
convient de préciser que cette appellation n'est pas contemporaine
du règne de ces souverains. Ainsi, elle n'apparut que sous la plume
d'Eginhard, biographe (voire hagiographe[2])
de Charlemagne[3].
A noter cependant
que ce dernier acheva la rédaction de son ouvrage,
Vie de Charlemagne, vers 830,
soit une quinzaine d’années après la mort de ce souverain.
A cette date, l'Empire franc était en proie aux troubles, en raison
des conflits ayant éclaté entre les petits-fils de Charlemagne.
L'objectif d'Eginhard était donc de rappeler aux descendants du
défunt la grandeur du règne de leur aïeul[4].
Afin de légitimer la p
rise
de pouvoir des
Carolingiens, mais aussi d'exalter le règne de Charlemagne, Eginhard entreprit
donc de "noircir" le règne des derniers Mérovingiens. Voici donc ce qu'il
écrivit dans le premier paragraphe de sa chronique :
depuis longtemps déjà [la famille des Mérovingiens] ne faisait preuve d’aucune
vigueur et ne montrait en elle-même rien d’illustre, si ce n’est le vain titre
de roi. [...] Le prince était réduit à se contenter de porter le nom de roi,
d’avoir les cheveux flottants et la barbe longue, de s’asseoir sur le trône, et
de représenter l’image du monarque. [...] S’il fallait qu’il allât quelque part,
il voyageait monté sur un chariot traîné par des bœufs et qu’un bouvier
conduisait à la manière des paysans ; [...] c’est encore ainsi qu’il retournait
d’ordinaire chez lui.
La première chose à
noter est qu'Eginhard ne précise pas la période à laquelle les
Mérovingiens furent dépossédés de leur autorité par les maires du
palais. Il n'est donc pas fait mention de la bataille de Testry (687), affrontement
suite auquel
Pépin de
Herstal, aïeul
de Charlemagne, s'empara du roi mérovingien
Thierry III,
ne lui conférant plus qu'une fonction symbolique[5].
Ainsi, les derniers Mérovingiens n'abandonnèrent pas le pouvoir de
façon spontanée, mais en furent dépossédés par les maires du palais.
Par ailleurs,
Eginhard explique que les "rois fainéants" se déplaçaient dans un
chariot tiré par des bœufs, "à la manière des paysans". Toutefois,
il convient de préciser que ce mode de locomotion, à l'époque,
n'avait rien d'indigne ; au contraire, l'usage voulait que les
Mérovingiens se déplacent de cette manière.
Un roi fainéant en voyage, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.
A noter enfin que le
biographe de Charlemagne indique que les "rois fainéants" arboraient
une "barbe longue", ce qui peut sembler bizarre sachant que
l'espérance de vie des derniers Mérovingiens ne dépassait pas la
trentaine, dans le meilleur des cas.
L'entreprise de
dénigrement des derniers Mérovingiens, portant ses fruits, fut
reprise des siècles plus tard par les historiens de la troisième
république. Ces derniers, reprenant à leur compte les propos
d'Eginhard, condamnèrent les "rois fainéants" autant qu'ils
exaltèrent le règne de Charlemagne, présenté comme un des plus
grands souverains que la France aie jamais connu.
Toutefois, il
convient de modérer de tels propos, car Charlemagne était en réalité
bien moins puissant que la plupart des rois Mérovingiens. Ainsi,
autant Clovis nommait duc et comtes, et percevait les impôts
; autant Charlemagne faisait face à une noblesse qui avait obtenu
l'hérédité de ses charges, et les impôts ne rentraient plus, en
raison du demi-siècle de troubles ayant agité le pays[6].
Par ailleurs,
Eginhard raconte dans son récit que Charlemagne menait une vie de
Cour modeste. Toutefois, cette simplicité ne fut
vraisemblablement pas un choix mais une contrainte, ce souverain
étant contraint de faire face à la turbulence de la noblesse.
Au final, si l'on ne
peut nier que les derniers Mérovingiens furent des souverains
effacés, il convient de préciser qu'ils n'abandonnèrent pas le
pouvoir de leur plein gré. Au contraire, il fut accaparé par les
maires du palais, qui profitèrent de la turbulence des nobles pour
accroitre leur autorité. Cette indépendance de l'aristocratie causa
d'ailleurs bien des problèmes à Charlemagne quelques décennies plus
tard.
[1]
Pour en savoir plus sur le règne de Dagobert,
cliquez ici.
[2]
L’on appelle ainsi les récits consacrés à la vie des saints,
généralement écrits sans grande objectivité.
[3] Pour en savoir plus sur le règne de Charlemagne,
cliquez ici.
[4]
A noter que le récit
d’Eginhard, revenant sur une période s’étalant
sur près d’un siècle (c'est à dire des premiers Carolingiens
jusqu'au règne de Charlemagne), reste particulièrement sommaire. La
chronique de
Saint Grégoire de Tours, consacrée aux Mérovingiens, étaient au
contraire bien plus exhaustive.
[5]
Pour en savoir plus sur la bataille de Testry et la prise de pouvoir
de Pépin de Herstal, voir le c), 3, section II, chapitre sixième, les
Mérovingiens.
[6]
Les impôts étaient généralement accaparés par les nobles.
A noter par ailleurs qu'à l'époque de Charlemagne, l'or, devenu trop
rare, ne circulait plus, ce qui n'était pas le cas à l'époque
mérovingienne.