Tous ces anachronismes, volontaires ou non, sont néanmoins difficiles à
discerner par le grand public. Ainsi, alors que l'on retrouve dans (presque)
tous les albums de la série l'image du chef gaulois Abraracourcix
élevé sur le pavois, l'on peut donc se demander s'il s'agit encore d'un
anachronisme ou pas.
Cette tradition était-elle donc d'origine gauloise ou non ? Et quand
fit-elle son apparition ?
Abraracourcix porté sur le pavois.
Voici ce qu'indique le Petit Robert
(édition 1990) au mot
« pavois »
: (Pavays,
1337 ; de l'italien
pavese
« de
Pavie
», ville d'Italie).
1.
Archéologie. Grand bouclier long, en usage surtout au XIV° et XV°
siècles. (de l'usage des Francs consistant à faire monter le nouveau roi sur
un bouclier)
Elever, hisser quelqu'un sur le pavois
: lui donner le pouvoir, le glorifier.
Cette définition nous indique, de prime
abord, que cette coutume n'était pas gauloise. En effet, nous ne possédons
aujourd'hui aucune source indiquant qu'un chef gaulois eut recours à ce
rituel au cours de son règne. Au contraire, il semblerait que ce rituel soit
plutôt d'origine franque.
Effectivement, cette pratique est
attestée chez plusieurs souverains francs : Clovis, en 481, lors de
son accession au trône ; Mérovée, devenu roi vers 450 et grand-père
du précédent ; Pharamond, chef franc mythologique et ancêtre de
Clovis.
Pharamon porté sur le pavois par les
guerriers francs, par Pierre Henri REVOIL, 1845, musée
national du château et des Trianons de Versailles.
A noter que dans les textes du VI°
siècle, le terme employé est celui de
« bouclier »,
le pavois étant une invention du bas Moyen Age.
L'élévation sur le pavois équivalait à
un sacre, à une époque où cette cérémonie n'existait pas encore. En effet,
les Francs étaient encore fidèles aux vieux mythes scandinaves, vénérant les
dieux d'Asgard
(la cérémonie du sacre accompagné du rituel d'onction ne fut adoptée qu'en
751, lors du règne de Pépin le Bref).
Cependant, il ne s'agissait pas d'un geste de fidélité envers une dynastie
(à une époque où la filiation par primogéniture mâle
n'était pas encore la norme), mais plutôt un symbole de force guerrière et
d'autorité.
Pendant longtemps, les historiens
pensèrent que la cérémonie de l'élévation sur le pavois, sans être une
coutume exclusive aux Francs, était du moins d'origine germanique.
Cependant, il semblerait que
l'élévation soit en réalité une tradition romaine, présente au sein des
légions dès le IV° siècle (puis transmise indirectement aux auxiliaires
germains). Ainsi, ce rite
fut utilisé par de nombreux Empereurs, comme Julien l’Apostat
à Lutèce (Paris),
en 360.
Julien l'Apostat, fin du IV° siècle,
musée de Cluny, Paris.
Ce dernier, élevé non sur un
pavois mais sur un scutum (le bouclier romain), fut alors acclamé par
les légions romaines. Ce rituel, effectué sur un bouclier ovale, renvoyait
directement aux cieux et au soleil, représentant l'élévation du chef vers la sphère divine.
A noter que la tradition du
pavois subsista à Constantinople, capitale de l’Empire romain d’Orient,
jusqu’au début du VII° siècle. A cette date, alors que les pouvoirs de
l'Eglise étaient croissants (à l'est comme à l'ouest), la papauté ne
pouvait plus accepter la cérémonie de l'élévation, d'ordre militaire
et populaire, lui substituant celle du sacre, d'ordre religieux
.