Aujourd'hui, il semblerait que nul n'ignore la
légende des crânes de cristal. Ces artefacts vieux de 3 600 ans, façonnés
par les Mayas[1],
seraient destinés à protéger l'humanité de la fin du monde. Par ailleurs,
les crânes auraient des pouvoirs surnaturels, comme celui de guérir les
malades, ou de réfléchir la lumière en la projetant par les orbites.
Par ailleurs, plusieurs faits troublants continue d'alimenter l'aura
« surnaturelle » de ces crânes. En effet, si ces artefacts
sont d'origine précolombienne, comment ont-ils été conçus ? Les Mayas ne
disposant pas à l'époque de la technologie nécessaire, ils auraient donc
poli les crânes de cristal avec une solution de sable et d'eau, un processus
nécessitant 300 années de travail !
Enfin, une légende raconte que le jour où les treize crânes seront
réunis, les
Atlantes[2]
(d'autres parlent d'extra-terrestres) feraient leur retour, faisant
don de leur savoir à l'humanité.
Mais qu'en est-il réellement de la légende des crânes de cristal ?
Ces artefacts sont-ils d'époque ? Les Mayas étaient-ils en mesure de
concevoir de tels objets ? Ou bien tout cela n'est-il que le résultat d'une
gigantesque supercherie ?
Sculpture maya, vers 815, musée du Louvre, Paris.
L'histoire des crânes de cristal
commence avec l'explorateur britannique Frederick Mitchell-Hedges,
qui commença à faire parler de lui en 1944, présentant un crâne de cristal
qu'il aurait découvert lors de fouilles. Il fit un récit plus détaillé de son
histoire dans son autobiographie, publiée dix ans plus tard, en 1954,
intitulée Danger, my ally (ou
« le danger, mon allié »).
Frederick Mitchell-Edges et sa fille lors de fouilles en Amérique centrale,
vers 1927.
L'auteur racontait avoir
trouvé un crâne de cristal lors de fouilles organisées en 1927 à Lubaantun,
un site archéologique maya situé dans le Honduras britannique[3].
Selon Mitchell-Edges, le crâne datait d'au moins 3 600 ans, et avait nécessité plus de
150 années de polissage pour obtenir un tel résultat. Par ailleurs, ce
« crâne de la destruction » aurait été utilisé lors de
cérémonies religieuses, accompagnées de sacrifices humains. En effet,
l'artefact étant chargé d'une aura maléfique, les victimes mourraient en
étant « dévorées » par les ténèbres.
Crâne de Mitchell-Edges.
Au fil des années, plusieurs crânes (de taille et de forme différente) firent peu à peu leur apparition,
faisant écho aux écrits de Mitchell-Edges. Parmi les plus célèbres, l'on peut
citer le
« crâne de Paris », propriété du
musée de l'Homme
[4]
; le
« crâne de Londres », conservé au
British Museum
;
le
« crâne de la
Smithsonian Institution
», à Washington, exposé à compter de 1992 ; etc.
De gauche à droite : les crânes de Paris, Londres, et du Smithsonian.
Outre ces quatre crânes, huit autres firent leur apparition dans des
collections privées d'ici la fin du XX° siècle, dans des conditions plus
opaques : le
« crâne de Sha-na-ra », qui aurait été
découvert lors de fouilles au Mexique, à la fin des années 1990 ; le
« crâne de cristal synergie », acquis par un homme d'affaires
européen lors d'un voyage dans la cordillère des Andes (aujourd'hui
propriété de l'Américaine
Sherry Whitfield)
; le
« crâne du Texas » (baptisé aussi
« Max »), qui aurait été volé dans une tombe du Guatemala, en
1924 (aujourd'hui propriété de l'Américaine
Joann Parks)
; le
« crâne maya », qui aurait été découvert au Guatemala au début
du XX° siècle, puis ramené aux Etats-Unis par un prêtre américain ; le
« crâne E.T. » (surnommé ainsi en raison de sa forme
inhabituelle), qui aurait été découvert en Amérique centrale au début du XX°
siècle (aujourd'hui propriété de la Néerlandaise
Joky van Dieten Maasland,
qui aurait été guérie d'une tumeur au cerveau par le crâne E.T.) ; le
« crâne d'Améthyste » (ou
« Ami »), découvert au Guatemala au début du XX° siècle et
vraisemblablement ramené aux Etats-Unis en même temps que le crâne maya ; le
« crâne à la croix reliquaire », qui aurait
été retouché par les conquistadors espagnols afin de pouvoir placer une
petite croix à son sommet (aujourd'hui propriété du Mexicain
Norma Redo)
; et le « crâne de cristal rose », très méconnu.
De gauche à droite et de haut en bas : les crânes de Sha-Na-Ra, Max,
Maya, E.T., Ami, croix reliquaire, rose (à noter que l'image du crâne de
cristal rose n'est pas contractuelle).
La légende des crânes de cristal, très populaire au sein de la communauté
New Age, parvint à acquérir une grande réputation d'ici la fin du XX°
siècle. Ainsi, nombreux furent ceux qui tentèrent de trouver le treizième et
dernier artefact, le
« crâne dansant », qui selon la légende doit être placé au centre d'un cercle
constitué par les douze autres. La réunion des treize crânes provoquerait
alors la renaissance l'Empire maya (ou aztèque), permettant d'empêcher la
fin du monde (prévue pour le 21 décembre 2012).
Représentation imaginaire de la réunion des treize crânes de cristal.
Cependant, force est de constater que plusieurs zones d'ombres planent sur
la légende des crânes de cristal.
De prime abord, alors que Mitchell-Edges affirme avoir découvert le
« crâne de la destruction » en 1927, il ne présenta son
artefact qu'à compter des années 1950 ; deuxièmement, force est de constater
qu'aucun des quatre principaux crânes n'a été découvert lors de fouilles
officielles (à noter qu'ils ne ressemblent en rien aux masques
funéraires mayas) ; enfin, alors que les crânes sont censés dater de
plusieurs millénaires, les traces d'usage d'instrument rotatif ont été
trouvées sur le crâne du
British Museum
dès 1950.
Masques funéraires mayas.
Ainsi, parallèlement à la diffusion de la légende des crânes de
cristal dans l'inconscient populaire, des études furent organisées sur les
artefacts de Paris (en 2007 et 2009), Londres (en 1996 et 2004) et
Washington (en 2008).
Au final, le résultat des recherches démontra que les deux premiers
crânes avaient été taillés dans du quartz brésilien, entre 1770 et 1920,
confirmant ainsi l'hypothèses d'une escroquerie au XIX° siècle (celui du
Smithsonian, de conception plus tardive, aurait été sculpté au Mexique dans
les années 1950).
Par ailleurs, Jane MacLaren Walsh, chercheur de la
Smithsonian Institution,
parvint en 2008 à retracer l'historique des crânes de Paris et Londres,
intiment liés à un antiquaire français du nom d'Eugène
Boban.
Ce dernier, qui partit s'installer à Mexico pendant la
guerre du Mexique[5],
se spécialisa dans
les antiquités précolombiennes. En 1875, il vendit près de 2 000
pièces à l'explorateur
Alphonse Pinart,
qui les céda trois ans plus tard au
musée d'Ethnographie du Trocadéro
(aujourd'hui
musée de l'Homme[6]).
Parmi ces antiquités se trouvaient le
« crâne de Paris
» (qui
avait été
vraisemblablement fabriqué en Allemagne quelques années auparavant). A noter
que Boban fut contraint de quitter le Mexique en 1886, suite au scandale
causé par une tentative de vente d'un autre crâne de cristal au Musée
national de Mexico (cet artefact fut ensuite acheté par la joaillerie
Tiffany de New York, qui le revendit en 1898 au British Museum).
Photographie d'Eugène Boban (à gauche) ; son magasin d'antiquités
mexicaines à Paris (à droite).
Cependant, il est difficile de se prononcer aujourd'hui sur
l'honnêteté d'Eugène Boban. Ce dernier n'étant ni archéologue, ni
explorateur, et ne faisait que recueillir ses pièces de collection par
l'intermédiaire de tierces personnes (autochtones, Français de passage,
amateurs d'Histoire, etc.). Par ailleurs, l'archéologie était encore à cette
époque dans l'enfance de l'art, les antiquités précolombiennes encore
mal connues, et il n'était pas rare que des contrefaçons puissent se glisser dans des
pièces recueillies
« à la va-vite » (c'est ainsi que d'autres pièces acquises par
Pinart se révélèrent être des faux, dont le
masque de Xipe Totec,
aujourd'hui conservé au
musée du Louvre).
Masque dit de Xipe Totec.
Quant au crâne de cristal de Frederick Mitchell-Edges, qui était décédé en 1959, il fut
transmis à sa fille, Anna. Cette dernière continua à défendre les
récits de son père, présentant l'artefact comme magique, étant capable de
provoquer des visions, de tuer ou de guérir le cancer.
Suite à la mort d'Anna, au printemps 2007, son conjoint, Bill
Homann, décida de présenter le crâne à Jane MacLaren Walsh,
de la
Smithsonian Institution.
Cette dernière, qui travaillait déjà sur les artefacts de Paris et Londres,
ne tarda guère à organiser une étude poussée de ce crâne de cristal.
Ainsi, non seulement il fut prouvé que
Frederick Mitchell-Hedges avait acquis son crâne lors d'une vente
aux enchères, organisée par Sotheby's en octobre 1943 (soit quelques
années avant sa fameuse apparition dans les médias) ; mais en outre,
les chercheurs démontrèrent que l'objet avait été taillé avec des outils
modernes, au cours des années 1930 (s'inspirant probablement du
« crâne
de Londres
», d'apparence similaire, qui était exposé en permanence au British
Museum depuis 1898).
Enfin, une récente reconstruction faciale de l'artefact de
Mitchell-Edges démontra que ce dernier était certes identique à un crâne
humain, mais un humain de souche européenne (ce qui aurait été impossible à
réaliser pour un ouvrier Maya de l'époque précolombienne).
Quant au reste des crânes de cristal, il n'est pas possible
aujourd'hui de prouver leur conception récente, dans la mesure où ils n'ont
fait l'objet d'aucune étude sérieuse (ces artefacts appartenant à des
collectionneurs privés, ils sont donc d'accès difficile).
Cependant, ces crânes subissent de facto les mêmes critiques
que ceux de Paris, de Londres, du Smithsonian et de Mitchell-Edges :
découverts en dehors de toute fouille officielle ; très différents des
masques mortuaires précolombiens ; apparus
« subitement »
à la fin du XX° siècle, alors que la légende des crânes de cristal
battait son plein ; etc. Enfin, force est de constater qu'aujourd'hui, de
nombreux crânes de cristal peuvent être achetés sur Internet, à un prix plus
ou moins élevé, en fonction de la taille et de la qualité de conception de
l'objet. Il suffit alors de prétendre qu'il s'agit d'un crâne
maya
« authentique », et le tour est joué !
Crâne rouge et crâne bleu, les 13° et 14° crânes de cristal ?
[1]
La civilisation maya, implantée en Amérique centrale, est l'une
des plus anciennes d'Amérique du Sud (et aujourd'hui l'une des plus étudiées,
derrière les Aztèques et les Incas). La civilisation maya, réputée
pour ses avancées dans le domaine de l' écriture, de l'architecture, des
mathématiques et de l'astronomie, fut aussi l'une des plus durables, ayant une
durée de vie s'étendant du III° millénaire avant Jésus-Christ jusqu'en 1521.
[2] Les Atlantes sont
les habitants de la légendaire Atlantide, une île qui aurait
été engloutie sous les eaux pendant l'Antiquité. Cette civilisation
fut présentée par le philosophe grec Platon, au IV° siècle
avant Jésus-Christ. Cependant, si l'idée d'une Atlantide peuplée
d'hommes-poissons est à exclure, l'on ne sait pas aujourd'hui
si le récit de Platon ne constitue qu'une vue de l'esprit, ou bien
s'il s'inspire d'une véritable catastrophe historique.
[4] Le musée de
l'Homme, installé depuis 1937 dans le Palais de Chaillot à Paris,
fut fermé en 2009 pour rénovation.
Le
« crâne de Paris
», quant à lui, fait aujourd'hui partie
des collection du musée du quai Branly.
[5]La guerre du Mexique opposa la France aux
rebelles mexicains, de 1861 à 1867. Le conflit, déclaré pour des raisons
économiques (le gouvernement mexicain refusait de payer ses dettes à la France),
fut pensé comme une véritable opération de colonisation par Napoléon III,
qui souhaitait faire du Mexique un pays moderne et stable, capable de rivaliser
avec la puissance commerciale des Etats-Unis. Pour en savoir plus à ce sujet, cliquez ici.
[6]
A noter que l'ancien Palais du Trocadéro, où siégeait le musée
d'Ethnographie, fut détruit en 1935, afin d'être remplacé par l'ensemble
architectural que nous connaissons aujourd'hui. Pour en savoir plus sur l'ancien
Palais du Trocadéro, voir le d), 8, section I, chapitre deuxième, la troisième république.