Quand j'entends le mot
« culture
»,
je sors mon revolver !
Ce trait d'humour nazi assez célèbre est
aujourd'hui imputé à diverses personnalités du troisième Reich[1]
: Hermann Goering[2],
Joseph Goebbels[3],
Baldur von Schirach[4],
etc. Par ailleurs, la citation en elle-même est elle aussi quelquefois
différente : Quand j'entends le mot "culture", je sors mon revolver !
Ou je sors mon pistolet !
Ou encore
je sors mon Lüger
!
Mais à qui peut-on attribuer la paternité de cette citation ? Et quelle est
sa forme exacte ?
Baldur von Schirach dégainant son arme lors d'un meeting.
En avril 1933, à l'occasion de l'anniversaire d'Adolf Hitler[5],
fut jouée une pièce de théâtre intitulée Schlageter. Ce drame, rédigé
par l'auteur nazi Hanns Johst, était consacré à Albert Leo
Schageter. Né en août 1894 et vétéran de la première guerre mondiale, le
jeune homme milita activement contre l'occupation française de la Ruhr[6].
Se livrant à plusieurs opérations de sabotage et accusé d'avoir tué un
espion français, Schlageter fut arrêté en avril 1923, puis condamné à mort
et exécuté le mois suivant.
La pièce débute au
lendemain de la Grande guerre, alors que Schlageter prépare un examen
universitaire avec son ami Friedrich Thiemann (ce dernier étant un
personnage imaginaire). Les deux hommes se demandent s'il est utile
d'étudier alors que leur patrie est privée de liberté. Thiemann, plus engagé
dans la lutte active, préfère se battre plutôt que d'étudier, affirmant
:
Wenn ich Kultur höre... entsichere ich meinen Browning !
(que l'on peut traduire en français par : Quand j'entends le mot
culture... j'arme mon Browning ! Ou j'enlève le cran de sûreté de mon
Browning !).
A noter qu'à la mort de Schlageter, l'image du défunt fut récupérée tour à
tour par la république de Weimar, par le parti communiste allemand,
puis enfin par le parti nazi. Le mythe de Schlageter, héros martyr et figure
héroïque de la résistance allemande, fut particulièrement populaire à
l'époque du troisième Reich. C'est ainsi que furent baptisés en son nom
plusieurs unités de la Luftwaffe (l'armée de l'air allemande), un
navire, deux groupes SA[7],
une île de Basse-Saxe, ainsi que de nombreuses écoles et confréries
étudiantes.
Par ailleurs, la pièce de Hanns Johst ayant connu
un grand succès au sein des élites nazies, la réplique du personnage de
Thiemann fut reprise (et adaptée) par plusieurs dignitaires du troisième
Reich.
[1]
A noter que le troisième Reich faisait suite à l’Empire allemand, ou
deuxième Reich, proclamé à Versailles le 18 janvier
1871. Ce dernier faisant implicitement référence au premier Reich,
c'est-à-dire le Saint Empire romain germanique, qui exista pendant
plus de mille ans, de 800 à 1806.
[2]
Goering, né en janvier 1893, participa à la première guerre mondiale
en tant que jeune officier. Luttant dans les tranchées humides, sa
santé déclina rapidement et il fut hospitalisé quelques semaines.
Rejoignant l’armée de l’air suite à sa convalescence, il rejoignit
le parti nazi quelques années après la fin du conflit. Elu député en
1928, il fut nommé président du Reichstag en 1932, ministre de
l’Air en 1933, et commandant en chef de la Luftwaffe en 1935.
Capturé suite à la chute de Berlin, en 1945, il se suicida dans sa
cellule afin d'éviter la pendaison.
[3]
Goebbels, né en octobre 1897, rejoignit le parti nazi en 1924. Nommé
ministre de la propagande du troisième Reich en 1933, il se donna la
mort peu de temps après le suicide d'Hitler, en avril 1945.
[4] Né en mai
1907, von Schirach rejoignit le parti nazi en 1925. En raison de son
jeune âge, il fut nommé chef de l'Union des étudiants hitlériens
(1928), chef des Jeunesses hitlériennes (1931), puis
secrétaire d'Etat à la jeunesse (1936). En 1940, en raison de son
opposition à la guerre, il fut contraint de quitter la direction des
Jeunesses hitlériennes et fut nommé gouverneur de Vienne. A l'issue
du procès de Nuremberg, en 1945, il fut condamné à vingt années de
prison.
[5]
Ce dernier, à la tête de la première formation politique à l'assemblée, avait
été nommé chancelier du Reich par le président Paul von Hidenburg en
janvier 1933. Au mois de mars, bien que ne disposant pas de la majorité absolue,
il demanda aux députés de voter en faveur de la loi allemande des pleins
pouvoirs, première étape vers la dictature nazie. Pour en savoir plus à ce
sujet, voir le d), 10, section II, chapitre cinquième, La troisième
république.
[6]
En janvier 1923, le président du conseil (ancien titre donné au premier
ministre)
Raymond Poincaré,
constatant que l'Allemagne tardait à rembourser ses dettes de guerre, décida
d’envahir la Ruhr, la plus riche région industrielle du pays.
Pour en savoir plus à ce sujet, voir le 8, section I, chapitre cinquième,
La troisième république.
[7]
La
SA(Sturmabteilungen
allemand, ou « bataillon d’assaut ») était un service d'ordre du parti nazi
créé en 1921.