Mais ce texte, souvent présenté comme un édit de tolérance, mettait-il les
deux religions sur un pied d'égalité ? Reconnaissait-il vraiment le
protestantisme ? Et surtout, comment fut-il accueilli par les principaux
belligérants ?
Voici la définition que nous donne le
Petit Robert (édition 1990) au mot
« tolérance »
: nom féminin (1361 ; 1561 ; du latin tolerantia). 1.
Le fait de tolérer, de ne pas interdire ou exiger, alors qu'on le pourrait ;
liberté qui résulte de cette abstention. 2. Attitude qui consiste à
admettre chez autrui une manière de penser ou d'agir différente de celle
qu'on adopte soi-même. Voir compréhension, indulgence. 3.
Histoire religieuse (fin XVI°). Tolérance théologique,
ecclésiastique, religieuse, indulgence à l'égard de l'opinion d'autrui
sur les points de dogme que l'Eglise ne considère pas comme essentiels.
Courant. (1681). Le fait de respecter la liberté d'autrui en matière de
religion, d'opinions philosophiques, politiques.
Ainsi, force est de constater que le
terme de tolérance est à connotation variable au fil des époques, d'autant
qu'il existe d'autres sens au mot
« tolérer » :
2. Supporter avec patience (ce que l'on trouve désagréable, injuste).
Voir endurer, supporter. 3. (1689). Tolérer quelqu'un,
Admettre sa présence à contrecœur. Supporter (quelqu'un) malgré ses défauts.
L'édit de Nantes fut promulgué à une
époque où la France était troublée par les guerres de religion
depuis près d'un demi-siècle.
A la mort d'Henri III, dernier
membre de la dynastie des Valois, la couronne fut cédée à son cousin
Henri de Bourbon (le défunt n'avait pas eu d'enfants). Le nouveau
souverain, protestant, avait eu une jeunesse turbulente ; cependant, il
s'était finalement rapproché d'Henri III, qui souhaitait bénéficier de son
aide pour lutter contre la Sainte Ligue.
C'est ainsi que les deux hommes assiégèrent Paris, alors entre les mains des
catholiques, à l'été 1589.
Procession de la ligue dans l'île de la
Cité, par François II BUNEL, fin du XVI° siècle, musée Carnavalet, Paris.
A l'annonce de la mort du roi, Henri IV
refusa d'abjurer, mais annonça qu'il protégerait la religion catholique et
que le protestantisme serait toléré. Cependant, ce discours ne satisfit pas
les différents belligérants, et les ligueurs enfermés dans Paris
décidèrent de céder la couronne de France à Charles I°, duc de
Bourbon (il s'agissait de l'oncle d'Henri IV).
Charles I°, duc de Bourbon, école française, fin du XVI°
siècle, musée Carnavalet, Paris.
Cependant, ce dernier mourut en 1590,
laissant la Sainte Ligue au dépourvu. Henri IV décida alors de profiter de
la situation, assiégeant à nouveau Paris à l'été 1590. Cependant, le roi de
France ne possédant pas de machines de siège, il fut contraint d'organiser
un blocus, qui fut finalement percé par les catholiques à l'automne.
Henri IV décida alors de lever le
siège, préférant assiéger Chartres (qui ouvrit ses portes en avril 1591),
puis Rouen, en novembre de la même année. Cependant, les catholiques
parvinrent une fois encore à percer le blocus, en début d'année 1592.
En janvier 1593, les ligueurs
décidèrent de réunir les Etats Généraux à Paris, afin de trouver un
successeur à Charles X, décédé en 1590. A cette date, Henri IV se retrouvait
dans une situation précaire, car si
un nouveau souverain était élu, il risquait d'être reconnu par le pape, par
l’Espagne catholique, et par les cités encore entre les mains de la Sainte
Ligue. C'est ainsi que le roi de France, pressé par ses proches,
décida de se convertir au catholicisme, abjurant définitivement le
protestantisme en juillet 1593.
L'abjuration d'Henri IV, gravure issue de l'ouvrage
Histoire de France, par François GUIZOT, France, 1875.
En
France, l’annonce de la conversion du roi ne fut pas suffisante pour mettre
fin à la guerre, mais de nombreuses cités autrefois proches de la Sainte
Ligue décidèrent de faire défection (Aix en Provence,
Lyon, Meaux, etc.), considérant qu'il n'y avait plus lieu de se battre,
maintenant qu'Henri IV était officiellement catholique.
En mars 1594, le roi de France se dirigea vers Paris une troisième fois,
mais fut surpris par le bon accueil que lui réservait la population, lassée
de l'intransigeance de la ligue. D'ici
l'été, de nombreuses villes se rallièrent à Henri IV, comme Agen, Amiens,
Beauvais, Poitiers, Rouen, Sens, Troyes, etc.
Entrée de Henri IV dans Paris, par
François GERARD, XIX° siècle, château de Versailles, Versailles.
La Bretagne, dernière région hostile au roi de France, ne fit cependant
soumission que quatre années plus tard, en mars 1598.
C'est à cette occasion que Henri IV se rendit à Nantes, au mois d'avril,
date à laquelle il promulgua un édit de pacification, intitulé Edit de
Nantes en faveur de ceux de la religion prétendue réformée.
L'édit de Nantes, 1598.
Le
texte accordait la liberté de conscience à tous
les Français, cassant tous les décrets promulgués depuis le règne d'Henri
II. Dans la plupart des villes de France, catholiques et protestants
étaient à nouveau libres de pratiquer leur culte, mais un seul culte fut
autorisé dans certaines cités : le catholicisme à Paris, Rouen, Lyon, Dijon,
Toulouse, etc. ; et le protestantisme à La Rochelle, Montpellier, Montauban,
Sedan, etc.
Par ailleurs, afin de garantir l’application de ces
libertés, Henri IV accorda aux protestants 150 lieux de refuges environ,
dont 51 places de
sûreté (La Rochelle, Montpellier, Nîmes, Alès, etc.), chacune pouvant être
défendue par une armée de 30 000 soldats (ce qui entraina immanquablement la
constitution d'un véritable Etat dans l'Etat)
.
De
nos jours, l’on considère l’édit de Nantes comme un texte ayant fait
l’unanimité de par sa grande tolérance. Cependant, s'il accordait de
nombreuses places fortes aux protestants et autorisait le libre
exercice du culte, le protestantisme était toujours considérée comme
une
« religion
prétendue réformée. »
Ainsi,
les seigneurs convertis au protestantisme pouvaient exercer leur
culte dans leurs domaine (articles VII), mais si les protestants
étaient partout tolérés, il ne pouvaient faire exercice de leur
religion que dans certaines villes (article IX). Cependant, outre
les villes exclusivement catholiques que nous avons énoncées plus
haut, l'exercice du protestantisme était interdit à la Cour et dans
les armées du roi (articles XIV et XV). La publication d'ouvrages
protestants dans les villes catholiques était donc interdit (article
XXI). Par ailleurs, les protestants étaient tenus de respecter les
jours de fête catholiques (article XX), mais aussi de s'acquitter de
la dîme, qui était un impôt versé à l'Eglise, correspondant à
un dixième des récoltes (article XXV). A noter enfin qu'aucune
clause ne concernait le judaïsme ou l'islam, religions alors
considérées comme mineures.
En raison de ces
clauses restrictives, qui répondaient à un impératif politique en
cette fin de XVI° siècle, mais totalement désuètes aujourd'hui, l'on
ne peut décemment pas parler de
« modèle de tolérance »
à propos de l'édit de Nantes.
D'autant que ce
texte n'était pas particulièrement différents des précédents accords
de paix précaires signés lors des précédentes guerres de religion,
qui prévoyaient déjà à l'époque la liberté religieuse et la
concession de places fortes aux protestants.
Ainsi, tout comme les précédents traités entre catholiques et
protestants, l'édit de Nantes rencontra une fois encore l'opposition
des deux camps.
Cependant, il
convient de préciser qu'en 1598, après 50 années de guerres,
le nombre de
protestants avait particulièrement chuté. Par ailleurs, autant les seigneurs
convertis au protestantisme profitèrent de la minorité des enfants
de Catherine de Médicis
pour fomenter des troubles ; autant en 1598, le nouveau roi n'avait
rien d'un faible.