Cependant, qu'en est-il de la véracité de ce témoignage qui eut un
retentissement important dans la sphère internationale ? L'armée irakienne
avait-elle commis des crimes de guerre pendant l'invasion du Koweït ? Ou
bien le récit de la jeune Nayirah n'obéissait-il qu'à une simple opération
de propagande ?
L'invasion du Koweït, première phase de
la guerre du Golfe, débuta le 2 août 1990, et s'acheva en l'espace de
quelques jours. En effet, l'armée irakienne parvint à s'emparer rapidement
de la capitale, Koweït-city, et Saddam Hussein put y installer un régime
fantoche, baptisé Gouvernement provisoire du Koweït libre.
L'invasion du Koweït, août 1990.
Cette invasion, qui provoqua l'exil de
400 000 Koweïtiens (soit la moitié de la population du pays), fut rapidement
condamnée par l'ONU et les grandes puissances internationales (y compris la
France et l'Inde, traditionnellement alliées à l'Irak).
A noter que les relations avec le
gouvernement irakien étaient d'autant plus tendues que Saddam Hussein avait
réussi à prendre en otage plusieurs centaines de ressortissants occidentaux,
installés en Irak ou au Koweït.
Néanmoins, plusieurs tentatives furent
mises en œuvre à compter de septembre, afin de trouver une issue
diplomatique à la crise (et ce jusqu'en janvier 1991), mais en vain.
C'est dans ce contexte difficile que la
jeune Nayirah (il s'agissait d'un faux nom afin de préserver son identité) témoigna
en octobre 1990 devant le Congrès américain, décrivant les atrocités
commises par les Irakiens au Koweït : [...] Je m'appelle Nayirah et je reviens du Koweït. Ma mère et moi étions au Koweït le 2 août
pour passer de paisibles vacances. Ma sœur aînée avait accouché le 29
juillet et nous voulions passer quelque temps au Koweït auprès d'elle. […]
Pendant que j'étais là, j'ai vu les soldats irakiens entrer dans l'hôpital
avec leurs armes. Ils ont tiré sur les bébés des couveuses, ils ont pris les
couveuses et ont laissé mourir les bébés sur le sol froid. J'étais
horrifiée. Je ne pouvais rien faire et je pensais à mon neveu qui était né
prématuré et aurait pu mourir ce jour-là lui aussi. […] Les Irakiens ont
tout détruit au Koweït. Ils ont vidé les supermarchés de nourriture, les
pharmacies de médicaments, les usines de matériel médical, ils ont cambriolé
les maisons et torturé des voisins et des amis. J'ai vu un de mes amis après
qu'il a été torturé par les Irakiens. Il a 22 ans mais on aurait dit un
vieillard. Les Irakiens lui avaient plongé la tête dans un bassin, jusqu'à
ce qu'il soit presque noyé. Ils lui ont arraché les ongles. Ils lui ont fait
subir des chocs électriques sur les parties sensibles de son corps. Il a
beaucoup de chance d'avoir survécu.
Ce
témoignage bouleversant, largement diffusé dans les médias à travers
le monde, contribua à influencer les grandes puissances en faveur
d'un conflit contre l'Irak.
Ainsi,
malgré la libération progressive des otages occidentaux détenus par
Saddam Hussein, à compter de fin octobre 1990, les coalisés
décidèrent de mettre en place une large offensive contre l'Irak,
baptisée opération Desert Storm (ou
« tempête du désert »
en français).
L'opération
Desert Storm.
Cette offensive, réunissant une quarantaine d'Etats (Etats-Unis,
France, Angleterre, Arabie Saoudite, Turquie, Egypte, Syrie, Koweït,
etc.) débuta en janvier 1991, parvenant à rassembler près de 500 000
soldats (soit la plus grosse coalition depuis la
Deuxième guerre mondiale).
L'armée
irakienne, rapidement vaincue, fut contraint de déposer les armes
dès février 1991, mais après s'être assurée du sabotage des puits de
pétrole du Koweït.
La destruction
des champs de pétrole koweïtiens.
Cependant,
dès mars 1991, plusieurs journalistes américains s'aperçurent que le
témoignage de Nayirah ne correspondait pas à la réalité. Ainsi, si
de nombreux patients et nouveau-nés étaient morts lors de l'invasion
du Koweït, c'était avant tout parce que le personnel médical s'était
enfui, et non à cause des exactions irakiennes.
Pire, l'on
découvrit que la jeune femme, loin d'être une infirmière
« lambda »,
était en réalité la fille de
Saud Bin Nasir Al-Sabah,
ambassadeur du Koweït à Washington (et membre de la famille royale
koweïtienne).
Photographie
de famille sur laquelle l'on retrouve la jeune
« Nayirah »
(à gauche) et l'ambassadeur
Saud Bin Nasir Al-Sabah.
En réalité,
cette campagne en faveur d'une intervention internationale en Irak
avait été commandé par l'association Citizen for a free Kuwait
(organisée par des membres du gouvernement koweïtien en exil) à la
compagnie de relations publiques Hill & Knowlton (ces
derniers auraient alors reçu 14 millions de la part du gouvernement
américain en guise de remerciement).
Ces
nombreuses révélation, donnant naissance à l'affaire des
couveuses du Koweït, firent grand bruit dans la presse (malgré
les protestations du directeur de
Hill & Knowlton
ainsi que de l'ambassadeur Al-Sabah).
Ce scandale,
véritable cas d'école, démontre aujourd'hui à quel point il est
facile de manipuler l'opinion publique afin de la pousser à défendre
les idées du gouvernement. Cependant, malgré la révélation de cette
supercherie, les Etats-Unis utilisèrent un prétexte similaire en
2003, dans le contexte de la guerre d'Irak, à savoir
l'affaire des armes de destruction massive
.