La guerre d'Irak et l'affaire des armes de destruction massive
Laguerre
d'Irak (parfois baptisée
seconde guerre du Golfe[1])
débuta en mars 2003, suite à plusieurs mois de tension entre les
Etats-Unis et le gouvernement irakien, présidé parSaddam
Hussein. Cette offensive, s'inscrivant dans un contexte
post-11 septembre[2],
répondait à plusieurs impératifs : la lutte contre le terrorisme
(l'Irak étant considéré comme proche du groupe terroriste
Al-Qaïda)
; l'arrestation de Saddam Hussein et l'instauration d'une démocratie
; et enfin, l'élimination des armes de destruction massive que le
régime irakien était censé détenir.
Mais aujourd'hui, si l'on sait que Saddam Hussein n'entretenait
aucun lien avec Al-Qaïda (cette organisation étant même hostile au
régime irakien), qu'en est-il de ces fameuses armes de destruction
massive ? Ont-elles été retrouvées par les forces américaines ?
Ont-elles véritablement existé ? Et dans le cas contraire, pourquoi
le gouvernement américain a-t-il basé sa communication sur une
menace inexistante ?
Statue déboulonnée de Saddam Hussein.
Les Etats-Unis, endeuillés par les
attentats du 11 septembre 2001, s'étaient engagés dans la guerre
d'Afghanistan dès le mois d'octobre. A cette date, le président
américain, George Walker Bush, avait comme objectif de présenter le
gouvernement américain comme un rempart contre le terrorisme.
George W. Bush en conférence de presse, mars 2003.
Ainsi, à compter de l'automne 2001, les
regards se tournèrent vers l'Irak, suspecté d'entretenir des liens avec
Al-Qaïda.
Suite à la guerre du Golfe, les
Etats membres de l'Organisation des Nations Unies avait imposé la
résolution 687 à l'Irak (avril 1991), contraignant le gouvernement de
Saddam Hussein à détruire ses stocks d'armes chimiques et biologiques, mais
aussi tous les missiles balistiques d'une portée supérieure à 150
kilomètres.
C'est à cette occasion que fut créée l'United
Nations Special Commission (ou
« Commission spéciale des nations unies », abrégé en
UNSCOM),
chargée d'inspecter les installations nucléaires, chimiques ou biologiques
installées en Irak.
Les membres de l'UNSCOM furent alors assistés par l'Agence
internationale de l'énergie atomique
(AIEA).
Ces inspections, bon an mal an, furent
émaillées de plusieurs incidents avec l'armée irakienne, peu disposée à
collaborer. Ainsi, en décembre 1998, le gouvernement américain décida de
faire bombarder l'Irak pendant trois jours, dans le cadre de l'opération
Desert Fox (à noter que le pays avait été déjà bombardé à deux reprises,
en 1993 et 1996, mais cela n'avait pas mis fin aux missions d'inspection).
Ainsi, ce n'est qu'à compter de
novembre 2001 que le président Bush demanda la reprise des inspections de
l'ONU en Irak, le pays étant accusé de faire partie de l'axe du mal,
au même titre que la Corée du Nord ou l'Iran.
Ce n'est toutefois qu'après de longs
mois de négociations, en novembre 2002, que l'Irak accepta la résolution
1441 de l'ONU, autorisant le retour des inspecteurs de l'UNSCOM. Mais
ces derniers, visitant de nombreux sites militaires jusqu'en début d'année
2003, furent dans l'incapacité de prouver l'existence d'armes de destruction
massive en Irak.
En début d'année 2003, le gouvernement
américain, convaincu que les inspecteurs de l'ONU étaient victimes de la
duplicité de Saddam Hussein, décida d'intensifier la campagne médiatique.
C'est ainsi que fut publiée la
Lettre des Huit, fin janvier 2003, signée par plusieurs pays européens
(Angleterre, Italie, Espagne, Portugal, Danemark, Pologne, Hongrie,
république tchèque), se déclarant prêts à s'engager dans la lutte contre
l'Irak aux côtés du gouvernement américain : [...] Aujourd'hui, les
Etats-Unis sont plus que jamais menacés. Les attentats du 11 septembre ont
montré jusqu'où les terroristes [...] sont prêts à aller pour les
détruire. [...] Aujourd'hui, plus que jamais, le lien transatlantique
est une garantie de notre liberté. Nous avons, en Europe, une relation avec
les Etats-Unis qui a résisté à l'épreuve du temps. C'est largement grâce au
courage [...] des Américains que l'Europe a été libérée des deux
formes de tyrannie qui ont dévasté notre continent au XX° siècle : le
nazisme et le communisme. [...] Le régime irakien et ses armes de
destruction massive représentent une menace évidente pour la sécurité
mondiale. [...] Nous devons rester unis pour exiger le désarmement.
Puis, début février, ce fut au tour du
Groupe de Vilnius, regroupant plusieurs pays baltes et d'Europe de
l'est (Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie, Slovénie, Bulgarie, Roumanie,
Albanie, Croatie et Macédoine), d'affirmer son soutien au gouvernement
américain.
Ces dissensions au sein de l'Union
européenne (en principe contraires au traité de Maastricht, qui
prévoyait en principe une concertation mutuelle avant toute prise de
décision) empêchèrent cet organisme de peser dans la suite des évènements.
Enfin, toujours en février 2003, le
secrétaire d'Etat (c'est-à-dire l'équivalent du ministre des Affaires
étrangères) Colin Powell présenta une série de
« preuves », au cours d'une réunion à l'ONU : photographies de
camions, présentés comme des laboratoires biologiques mobiles ; des
photographies satellites d'usines d'armes chimiques et de bunkers ; et
enfin, un flacon rempli d'anthrax[3]
(à noter que ces éléments à charge se basaient sur le témoignage de
Curveball,
un ingénieur chimiste irakien dont nous reparlerons plus tard).
Discours de Colin Powell à l'ONU, éprouvette remplie d'anthrax à la
main.
Mais les Etats-Unis, faisant face à
l'hostilité de la France, de la Russie et de la Chine, membres permanents du
Conseil de sécurité des Nations Unies (et disposant donc d'un droit
de veto), décidèrent de passer outre, attaquant l'Irak sans l'aval de l'ONU.
L'offensive, réunissant une
cinquantaine de pays, débuta en mars 2003, et l'armée américaine parvint à
s'emparer de Bagdad, la capitale, dès le mois d'avril. Saddam Hussein, en
fuite, fut quant à lui retrouvé à Tikrit, alors qu'il se cachait dans une
cave (il fut condamné à mort et pendu en décembre 2006).
Offensive américaine en Irak, 2003.
Cependant, l'arrestation du dictateur
n'entraîna pas la fin des combats, de nombreux rebelles continuant la lutte
contre les forces coalisées, émaillant le pays d'une série d'attentats. Par
ailleurs, alors que le règne de Saddam Hussein avait permis une coexistence
pacifique entre chrétiens, sunnites et chiites, la guerre d'Irak entraîna un
vif regain d'affrontements interreligieux, plongeant le pays dans la guerre
civile.
En 2013, une nouvelle entité, l'Etat
islamique en Irak et au Levant (ad-dawla al-islamiyya en arabe,
abrégé en EI ou EIIL), à l'origine proche d'Al-Qaïda, profita
du retrait progressif des troupes américaines (2010) et de la guerre
civile syrienne (2011), pour étendre sa domination sur la moitié
nord-ouest de l'Irak et le nord-est de la Syrie (l'Etat islamique annonça
alors le rétablissement du califat dans les territoires sous son
contrôle).
C'est ainsi qu'en 2014, plusieurs pays
initialement hostiles à la guerre d'Irak (comme la France et la Belgique)
décidèrent de participer à une grande offensive regroupant une quarantaine
d'Etats, destinée à lutter contre l'Etats islamique.
En début d'année 2015, si l'EI a
tendance à perdre du terrain, force est de constater que ce conflit
est loin d'être terminé...
Mais aujourd'hui, plus de dix années
après le déclenchement de la guerre d'Irak, sait-on ce qu'il est
advenu de ces fameuses armes de destruction massive ? Ont-elles été
retrouvées ? Ont-elles au moins existé ? Ou bien le gouvernement
américain a-t-il délibérément menti afin de servir ses intérêts ?
Suite à l'invasion du pays par
l'armée américaine, les membres de la coalition ne parvinrent pas à
trouver la moindre trace de ces fameuses armes de destruction
massive. Ainsi, les soldats américains ne purent mettre la main que
sur une série de missiles Al-Samud (ce
qui signifie « résistance » en arabe), d'une portée de 150
kilomètres (conformément à la résolution 687 de 1991), mais qui
avaient été allégés après 1998 afin de pouvoir atteindre une portée
de 160 à 190 kilomètres. Ils trouvèrent aussi des stocks d'obus et
de roquettes chimiques, datant d'avant 1991.
L'absence flagrante d'armes de destruction massive, qui
constituaient pourtant l'argument principal du gouvernement
américain en faveur de la guerre d'Irak, entraîna une série
d'enquêtes aux Etats-Unis et en Angleterre, afin de déterminer la
provenance de ces fausses informations.
Ainsi, en octobre 2004,
l'Américain Charles Duelfer, responsable de l'UNSCOM, rendit
un rapport public clôturant les investigations de l'ONU en Irak.
Dans ce compte-rendu, l'auteur affirmait que Saddam Hussein ne
possédait pas d'armes de destruction massive, n'en ayant pas
fabriqué depuis 1991, et n'étant d'ailleurs plus en mesure d'en
produire.
Suite à la présentation du
rapport Duelfer, la Central Intelligence Agency (« Agence
centrale de renseignement », abrégé en
CIA) fut
pointée du doigt, n'ayant pas pris suffisamment de recul (que ce
soit par mégarde ou de façon volontaire) avec les informations
divulguées par
Curveball.
Ce dernier, de son vrai nom
Rafid Ahmed Alwan al-Janabi,
est un ingénieur chimiste irakien ayant fui son pays en 1999. Ce
dernier, se réfugiant en Allemagne, fut alors hébergé dans un centre
d'hébergement pour demandeurs d'asile, situé non loin de Nuremberg.
Al-Janabi, sachant qu'il avait peu de chances d'obtenir un titre de
séjour, commença alors à raconter que l'usine de semences agricoles
dans laquelle il travaillait, installée à Djerf al-Nadaf, à 70
kilomètres de Bagdad, abritait en réalité un programme clandestin
d'armes biologiques (ce dernier, sorti premier de sa promotion,
aurait alors été contacté par les services secrets irakiens).
Rafid Ahmed Alwan al-Janabi,
nom de code Curveball.
Suite à ces révélations, le
jeune homme fut alors entendu par le Bundesnachrichtendienst
(« Service
fédéral de renseignement », abrégé en BND), qui lui accorda le
titre de réfugié politique (ainsi qu'un salaire régulier), récoltant
en contrepartie de nombreuses informations, entre 1999 et 2001
(c'est ainsi qu'al-Janabi fut
affublé du nom de code Curveball[4]).
Très rapidement, le BND informa la CIA de la situation , mais al-Janabi
refusa de collaborer avec des agents américains[5].
Cependant, malgré certaines
incohérences dans le discours de Curveball, la CIA reprit à son
compte l'histoire des usines d'armes chimiques et des
laboratoires biologiques mobiles. Ce sont ces informations, non
vérifiées, que le secrétaire Colin Powell présenta lors de son
discours à l'ONU, en février 2003[6].
Reconstitution en images de
synthèse des fameux laboratoires biologiques mobiles.
Courant 2003, suite à la chute
de Saddam Hussein, l'on s'aperçut qu'al-Janabi, loin d'être sorti
premier de sa promotion, fut en réalité bon dernier ; qu'il ne fut
pas chef de projet à Djerf al-Nadaf mais simple assistant ;
enfin, qu'il fut condamné à une peine de prison pour détournement de
fonds, avant de s'envoler pour l'Allemagne.
L'affaire Curveball soulève
donc non pas un, mais deux problèmes : tout d'abord, al-Janabi
avait-il agi seul, dans l'espoir d'obtenir plus rapidement un titre
de séjour, ou bien travaillait-il pour un groupe hostile à Saddam
Hussein ? Par ailleurs, si la CIA savait que les informations de
Curveball n'étaient pas fiables, a-t-elle décidé de les exploiter
malgré tout, dans un souci de malveillance à l'encontre du
gouvernement irakien ?
Aujourd'hui, s'il est
communément admis que Curveball travailla pour son propre compte, il
est difficile de se prononcer sur la culpabilité de la CIA. En
effet, si Tyler Drumheller, ancien responsable de la division
« Europe » de la CIA, affirma à plusieurs reprises que les
informations d'al-Janabi n'étaient pas fiables,
George Tenet,
ancien directeur de cet organisme, annonça au contraire ne jamais
avoir été informé des doutes pesant sur la fiabilité de Curveball.
Néanmoins, il est étonnant de
constater que les deux conflits contre l'Irak furent précédés d'une
importante manipulation médiatique, permettant d'influencer aussi
bien les grandes puissances internationales que l'opinion publique (affaire
des couveuses du Koweït en 1990, affaire des armes
de destruction massive en 2003).
[1]
En référence au conflit de 1990-1991, que nous avons évoqué sur cette page.
A noter toutefois que l'appellation
« seconde guerre du Golfe » est erronée, dans la mesure où
le conflit de 1990-1991 constituait déjà une seconde guerre du Golfe, faisant
suite à la
guerre Iran-Irak
(qui dura de 1980 à 1988).
[2]Rappelons que
des terroristes appartenant à la mouvance Al-Qaïda (ce
qui signifie
« la base ») avait fait sauter les deux tours
jumelles du World Trade Center à New York, le 11 septembre 2001.
[3]L'anthrax est un anglicisme
désignant l'anthracis, c'est-à-dire le bacille du charbon. Il s'agit
d'une bactérie qui peut se transmettre aux herbivores (bien que
certaines espèces animales soient plus résistantes que d'autres)
comme à l'homme, souvent suite à une blessure cutanée. A noter
toutefois que le bacille du charbon commença à être utilisé comme
arme bactériologique suite à la Seconde Guerre mondiale,
la dispersion de spores dans l'air pouvant entrainer le
développement de la maladie du charbon, fatale dans 90
% des cas.
[4] A noter que
l'origine du nom de code Curveball n'est pas clairement établie.
Elle a vraisemblablement un rapport avec le terme
« ball », utilisé pendant la Guerre froide pour désigner les agents
ayant des renseignements concernant le trafic d'armes.
[5]Selon certaines auteurs, Curveball était
pro-américain, mais ce furent les agents du BND qui décidèrent de protéger leur
source.
[6]
A noter que Powell lui-même ignorait vraisemblablement que les
informations révélées par Curveball étaient erronées.