Mais qu'en est-il en réalité ? La paléontologie étant une science qui évolue
à chaque découverte, de nouveaux éléments nous permettent-ils de confirmer
la place attribuée à Lucy ? Et si ce n'est pas le cas, où doit-on placer les
Australopithèques sur l'échelle humaine ?
La première chose à prendre en compte,
lorsque l'on s'intéresse à la Préhistoire, c'est que l'évolution
« linéaire », telle qu'elle a été enseignée dans les
écoles jusqu'aux années 1980, est erronée. Ainsi, l'idée reçue selon
laquelle les êtres pré-humains se seraient succédés en ligne droite
(c'est-à-dire Australopithèque,
Homo habilis,
Homo erectus,
Homo neanderthalensis,
Homo sapiens) a été progressivement remise en question au profit d'un
schéma d'évolution
« buissonnant. »
Schéma
linéaire de l'évolution de l'humanité, faisant apparaître un
« chainon manquant »,
hypothétique liaison entre l'Homme et le singe.
En effet, alors que des fossiles
d'animaux disparus avaient été mis à jour dès l'époque moderne,
ce n'est qu'à partir du XIX° siècle qu'apparurent les premiers squelettes
pré-humains : l'Australopithèque (apparu il y a 4.5 millions d'années),
fut découvert en 1924
; l'Homo habilis (2.5 millions d'années) en 1964 ; l'Homo
erectus (1.3 millions d'années) en 1894 ; et l'Homo neanderthalensis
(200 000 ans) en 1856.
En 1974, une équipe internationale
organisant des fouilles dans la vallée de l'Awash, en Ethiopie, fit la
découverte d'un squelette pré-humain relativement complet. Ce fossile reçut
alors le surnom de Lucy, l'équipe écoutant régulièrement la célèbre chanson
des Beatles : Lucy in the Sky with Diamonds (à noter que ce
fossile est parfois nommé Dinqnesh, ce qui signifie
« tu es merveilleuse » dans un dialecte éthiopien).
Lucy, sujet féminin
de 25 ans, mesurait environ 1 mètre 10 pour une trentaine de kilos. L'étude
de ses os nous indique aussi qu'elle était capable de bipédie, bien qu'étant
encore accoutumée à un mode de vie arboricole (c'est-à-dire vivant dans les
arbres). A noter que le squelette de Lucy, retrouvé dans un état assez
complet, semble indiquer qu'il fut enfoui rapidement, peut-être suite à une
noyade.
La découverte de ce squelette,
appartenant à l'espèce des Australopithecus afarensis (qui vécut
entre 4 et 3 millions d'années), fut d'une importance capitale, car il
s'agissait à cette époque du plus ancien fossile pré-humain exhumé lors de
fouilles.
Squelette de Lucy.
La découverte de Lucy, vieille de 3
millions d'années, fut rapidement annoncée dans les médias. Ce spécimen
d'Australopithèque reçut alors le titre de
« mère de l'espèce humaine », restant pendant plus de trente
ans le plus ancien fossile pré-humain à avoir été découvert.
Cependant, la découverte de nombreux
fossiles pré-humains, à compter des années 1990, commença a entraîner une
remise en question du schéma d'évolution« linéaire »,
comme nous l'avons vu plus tôt, au profit d'un schéma
« buissonnant » ; en outre, des travaux furent mis en
place pour déterminer la place des différentes espèces d'Australopithèques
dans l'échelle de l'évolution humaine.
Ainsi, selon les sources dont nous disposons
aujourd'hui, la séparation entre les pré-humains et les grands
singes se fit entre 10 et 8 millions d'années (aujourd'hui, certains
paléontologues estiment que le Pierolapithecus catalaunicus,
qui vécut vers 13 millions d'années, serait l'ancêtre commun de ces
deux espèces, ou du moins le proche parent d'une espèce éteinte
n'ayant pas encore été découverte).
Par ailleurs, alors qu'autrefois
l'Australopithèque était considérée comme l'espèce la plus ancienne,
de nouveaux fossiles, au début des années 2000, remirent cette
théorie en cause :
Ainsi, Lucy fut détrônée en
1994 par Ardi
(ce qui signifie « racine » en langue éthiopienne), un
Ardipithecus ramidus qui vécut il y a 4.5 millions d'années. Il
s'agissait d'un contemporain de l'Australopithecus afarensis,
mais vraisemblablement plus évolué (c'est-à-dire pleinement bipède).
A noter toutefois que le résultat de ces travaux ne fut publié qu'en
2009.
Squelette d'Ardi.
En 1999, fut découvert en Ethiopie
des ossements de l'Ardipithecus kadabba, âgé de 5.8 à 5.2
millions d'années (peut-être l'ancêtre du précédent) ; puis, en
2000, l'on découvrit au Kenya les ossements de l'Orrorin
tugenensis (ou « homme originel » selon un dialecte local),
datés de 6 millions d'années.
Enfin, le plus vieux fossile
pré-humain découvert lors de fouilles fut exhumé en 2001 au Tchad.
Baptisé Toumaï (ou « espoir de la vie » dans un dialecte
local tchadien), il s'agit du représentant de l'espèce des
Sahelanthropus tchadensis, vieille de 7 millions d'années.
Toumaï est aujourd'hui considéré comme l'une des premières espèces
de la lignée humaine, assez proche de la divergence entre les grands
singes et les pré-humains.
Crâne de Toumaï.
Ainsi, l'espèce de Lucy, l'Australopithecus
Afarensis, n'est plus considérée comme un ancêtre de l'espèce
humaine, mais comme une branche « cousine. » Cependant, l'on ne sait
pas aujourd'hui de quelle espèce d'Australopithèque est issu l'Homo
habilis
(apparu vers 2.5 millions d'années).
Ainsi, certains paléontologues
évoquent l'Australopithecus africanus (qui vécut de 3.5 à 2.5
millions d'années), possédant un crâne plus volumineux que celui de
Lucy ; d'autres l'Australopithecus garhi (ce qui signifie
« surprise »), découvert en Ethiopie en 1997 (ce dernier sachant se
servir d'outils de pierre).
Tribu d'Australopithecus africanus.
A noter cependant que la lignée des
Australopithèques ne prit pas fin avec l'arrivée du genre Homo
; en effet, plusieurs espèces ont évolué en parallèle pendant
plusieurs milliers d'année (à l'instar des hommes de Néandertal qui
cohabitèrent avec les Homo sapiens). Parmi ces
Australopithèques (dits « tardifs »), l'on retrouve l'Australopithecus
boisei (2.4 à 1.2 millions d'années) et l'Australopithecus
robustus (2.2 à 1 million d'années), qui furent contemporains de
l'Homo erectus (1.3 millions d'années à 400 000 ans avant
notre ère).
crânes d'Australopithecus boisei (à gauche) et d'Australopithecus
robustus (à droite).