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Les mensonges de l'Histoire


Martin Luther et l'affaire des placards

La célèbre affaire des placards, qui s'est déroulée à Paris et dans plusieurs villes de province, au début du XVI° siècle, laissa d'importantes traces au sein de l'inconscient collectif. Ainsi, c'est à cette date que Martin Luther, fondateur du luthérianisme[1], aurait placardé ses thèses sur plusieurs églises de la capitale, mais aussi sur les portes du château d'Amboise, où résidait François I°.

Cependant, la réalité est-elle aussi simpliste ? Quel fut le rôle de Luther dans l'affaire des placards ? Afficha-t-il ses thèses au vu et au su de ses compatriotes ? Ou bien ses protestations contre le clergé eurent-elles un caractère plus confidentiel ?

Portrait de Martin Luther.

 

L'Eglise catholique, au début du XVI° siècle, était bien différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. A Rome régnait la corruption, le népotisme[2] et la simonie[3] ; le clergé faisait commerce des indulgences (les croyants pouvaient « effacer » leurs pêchés en échange d'une certaine somme d'argent) ; enfin, la seule Bible utilisée par le clergé, la Vulgate (ce qui signifie « rendue publique, rendue accessible »), était rédigée en latin, les traductions étant interdites.

Un exemplaire de la Vulgate.

Quant à la papauté, le tableau était tout aussi peu reluisant : Alexandre VI (pape de 1492 à 1503), qui  avait eut des enfants avec une maîtresse après son ordination en tant que prêtre, organisait des orgies au sein du palais papal ; Jules II (pape de 1503 à 1513, surnommé ironiquement Jules César II) s'attaqua à la noblesse romaine afin d'étendre son autorité sur la péninsule italique ; quant à Léon X (pape de 1513 à 1521), contemporain de Luther, il ne s'interessait guère à la théologie, dilapidant d'importantes sommes d'argent dans le mécénat.

De gauche à droite : les papes Alexandre VI, Jules II et Léon X.

 

A noter que la corruption du clergé avait été condamnée à plusieurs reprises par les croyants au cours de l'Histoire. Ainsi, parmi les exemples les plus célèbres, l'on pourrait citer le mouvement des cathares, ayant fait son apparition dans le Languedoc du XII° siècle. Ces derniers étaient les héritiers du manichéisme[4], une doctrine qui reconnaissait deux dieux de puissance égale, l’un représentant le bien (associé à l’âme) et l’autre représentant le mal (associé au corps).

Les adeptes de ce culte se divisaient en deux catégories : les fidèles de base et les parfaits. Ces derniers, contrairement au reste de la population, menaient une vie ascétique et chaste, mortifiant leur corps (assimilé au mal[5]). En outre, les cathares ne reconnaissaient pas les sacrements de l’Eglise, et niaient la nature humaine du Christ.

Le pape Innocent III, ne pouvant accepter le développement de cette hérésie, décida de prêcher une croisade contre les cathares, qui ensanglanta le Languedoc pendant près d'un demi-siècle[6].

Les croisés et la prise de Béziers, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.

Un autre exemple de la lutte contre la corruption du clergé se déroula en Bohême au début du XV° siècle, date à laquelle Jan Hus, prédicateur et professeur à l'université de Prague, s'attaqua au commerce des indulgences (ce dernier s'inspira des écrits du théologien anglais John Wyclif, qui considérait que le pouvoir ne pouvait être détenu que par un homme en état de grâce, papes et évêques corrompus n'étant donc pas légitimes à ses yeux).

A cette date, l'antipape Jean XXIII souhaitait organiser une croisade contre Ladislas I°, roi de Naples, qui avait envahi Rome en 1408, souhaitant profiter de l'anarchie causée par le Grand Schisme d'Occident[7] afin d'annexer les Etats d'Italie centrale. Cependant, afin de lever les fonds nécessaires à cette expédition, Jean XXIII décida de faire appel au commerce des indulgence, ce que Jan Hus critiqua vivement. Ce dernier ajouta par ailleurs qu'aucun prêtre ni aucun évêque ne pouvait prendre les armes au nom du Christ.

Hus, participant en 1415 au concile de Constance, qui parvint à mettre un terme au Grand Schisme, grâce à l'élection de Martin V (à cette occasion, Jean XXIII décida d'abdiquer[8]), fut rapidement emprisonné et condamné à être brûlé vif en juillet 1415.

Jan Hus condamné au bûcher, XV° siècle, Deutsches historisches museum, Berlin.

 

Luther, quant à lui, naquit à Eisleben en novembre 1483, au sein de l'électorat de Saxe[9]. Issu d'une famille bourgeoise, il reçut une bonne éducation, obtenant son diplôme de maîtrise au sein de l'université d'Erfurt en 1505. Cependant, alors qu'il devait ensuite s'orienter vers des études de droit, Luther, s'intéressant à la théologie, décida de devenir moine. C'est ainsi qu'il rejoignit le couvent des Augustins d'Erfurt au cours de l'été.

Ordonné prêtre en 1507, Luther devint docteur en théologie en 1512, recevant une chaire au sein de l'université de Wittemberg. Le conflit contre la papauté éclata quelques années plus tard, à l'automne 1517, lorsqu'un envoyé du pape Léon X se rendit en Allemagne afin de vendre des indulgences, l'argent récolté devant servir à la construction de la basilique Saint-Pierre (dont les travaux avaient débuté en 1506[10]).

Indigné, le jeune homme aurait alors décidé de placader les pages de son ouvrage, Dispute de Martin Luther sur la puissance des indulgences (connu sous le nom de 95 thèses) sur les portes de l'église de la Toussaint de Wittemberg, le 31 octobre 1517.  Ce texte condamnait le commerce des indulgence, l'idée selon laquelle l'argent pouvait acheter le salut des âmes, mais prônait aussi un retour au sources du christianisme, c'est-à-dire la Bible.

Mais en réalité, le récit de l'affichage public des 95 thèses semble ne pas avoir de réelle historicité, n'étant mentionné que dans un seul récit, rédigé par Philippe Mélanchthon, un professeur de l'université de Wittemberg (mais qui n'était sans doute pas présent lors des évènements).

Ainsi, Luther  se contenta vraisemblablement de faire parvenir ses 95 thèses à Albert de Brandebourg, archevêque de Mayence[11], afin de protester contre le commerce des indulgences. Cependant, ce dernier était un partisan de cette pratique, ayant conclu un accord avec des banquiers rhénans qui leur accordait la moitié des revenus de la vente des indulgences. L'archevêque de Mayence, pourtant proche du mouvement humaniste, décida donc de condamner les écrits de Luther, soucieux de conserver son autorité. 

En juin 1520, le pape Léon X publia alors la bulle pontificale Exsurge Domine, qui ne condamnait pas Luther mais lui demandait de se retracter sur un certain nombre de points. Cependant, à l'issue du temps imparti, en décembre 1520, Luther décida de brûler en public son exemplaire de la bulle pontificale, rompant définitivement avec l'Eglise catholique. Il fut alors excommunié peu de temps après, en janvier 1521, suite à la publication de la bulle Decet Romanum Pontificem (ce qui signifie « il sied au pontife romain »).

Cependant, si dès lors Luther se retrouvait mis au ban, privé de tout soutien politique, ses idées ne tardèrent pas à se répandre dans toute l'Allemagne en l'espace de quelques années. La traduction en langue allemande de la Vulgate, baptisée Bible de Luther, fut publiée à compter de 1522, et connut un succès rapide, bénéficiant des progrès de l'imprimerie. Désormais, chaque chrétien pouvait se référer à la source faisant autorité, court-circuitant de fait les autorités ecclésiastiques (les 95 thèses, à l'origine rédigées en latin, furent quant à elles publiées dans une version en allemand).

Une Bible de Luther, XVI° siècle.

 

Le mouvement protestant, favorable à la Réforme, se diffusant le long des voies commerciales, ne tarda donc pas à faire son apparition en France.

François I°, qui contribua à la diffusion des idéaux de la Renaissance au sein du royaume, était à l'origine favorable à une réforme de l'Eglise catholique, mais sans rupture avec Rome. En effet, ce dernier protégeait les membres du cénacle de Meaux, un cercle d'érudits travaillant à une réforme évangélique, favorable à la traduction de la Vulgate en langue française (entre 1520 et 1525).

Portrait de François I°, roi de France, par Jean CLOUET, vers 1530, musée du Louvre, Paris.

Cependant, alors que les protestants se faisaient de plus en plus véhéments, François I° décida de répliquer fermement contre tout acte de vandalisme perpétré contre des églises ou des objets de culte.

C'est dans ce contexte tendu qu'éclata l'affaire des placards, dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534.

Au petit matin, l'on découvrit de nombreux écrits séditieux affichés dans les rues de Paris, mais aussi dans plusieurs villes de province (Blois, Orléans, Rouen, Tours, etc.), intitulés Articles véritables sur les horribles, grands et importables abus de la messe papale, inventée directement contre la Sainte Cène de notre seigneur, seul médiateur et seul sauveur Jésus-Christ.

Par ailleurs, l'on retrouva ces affiches au sein même du château d'Amboise, où résidait François I°, ce qu'il n'apprécia guère. En effet, ce dernier considérait que l'affichage de ces écrits au sein de son propre palais s'apparentait à un crime de lèse-majesté.

François I°, confessant publiquement sa foi catholique, décida alors de s'attaquer aux protestants qui avaient participé à cette affaire. Rapidement, l'on accusa Guillaume Farel, un réformateur protestant installé à Neuchâtel, en Suisse, d'être l'auteur du « crime » (ce dernier, né dans le sud de la France, avait fait partie du cénacle de Meaux, avant de choisir la voie de l'exil).  

Portrait de Guillaume Farel.

Mais si la paternité de l'affaire des placards est traditionnellement accordée à Farel, en réalité l'auteur de ces écrits était un dénommé Antoine Marcourt, pasteur à Neuchâtel. Ce dernier, d'origine picarde, s'était installé en Suisse en 1530, où il avait rencontré l'imprimeur Pierre de Vingle, avec lequel il avait publié plusieurs ouvrages.

Les « placards », sortis de presse en fin d'année 1534, avait été ensuite diffusés en France.

Cependant, comme les principaux instigateurs de l'affaire se trouvaient en Suisse, la justice décida de s'attaquer à plusieurs partisans de la Réforme, et six protestants furent ainsi condamnés au bûcher en janvier 1535.

Suite à cet évènement, plusieurs protestants ou simples partisans d'une réforme de l'Eglise décidèrent de quitter le pays, tels que Jean Calvin (qui préfaça la même année la Bible d'Olivétan, première traduction en français à partir d'originaux en hébreu et en grec) et le poète Clément Marot.

 

Aujourd'hui, il semblerait que ces deux évènements distincts, l'affichage des 95 thèses de Luther (1517) et l'affaire des placards (1534), furent « fusionnés » au sein de l'inconscient collectif pour ne faire plus qu'un.

Cependant, force est de constater que Luther n'afficha vraisemblablement pas ses 95 thèses en 1517, se contentant d'une correspondance d'ordre privée avec l'archevêque de Mayence ; pas plus qu'il ne participa à l'affaire des placards, étant déjà âgé en 1534 et atteint de la maladie de la pierre (formation calculs dans les reins et les voies urinaires)

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[1] Le Luthérianisme est une branche du protestantisme, qui est lui-même une branche du christianisme. En fondant sa propre théologie, Luther souhaitait un « retour aux sources », s'appuyant avant tout sur la Bible plutôt que sur 1 500 ans de dogmes.

[2] Le népotisme était une pratique utilisée par le haut clergé, qui consistait à confier à des proches (famille ou amis) des postes importants au sein de l’Eglise.

[3] On appelle simonie le fait de vendre des biens appartenant à l’Eglise (charges, indulgences, domaines, objets de culte, etc.).

[4] Manès, fondateur du manichéisme, vécut en Perse au III° siècle avant Jésus-Christ.

[5] C'est pour cette raison que les personnes pratiquant cette religion furent désignées comme « cathares » par l'Eglise, un terme provenant du perse katharos, qui signifie « pur » (les adeptes du catharisme, au contraire, utilisaient les termes de bons hommes ou bons chrétiens).

[6] Pour en savoir plus à ce sujet, cliquez ici.

[7] Depuis 1305, les papes avaient quitté Rome pour s'installer à Avignon, soucieux de préserver l'alliance française. Mais en 1377, à la mort de Grégoire XI, les cardinaux romains élurent Urbain VI, pape à Rome, alors que les cardinaux français élurent Clément VII, pape en Avignon. Ainsi, pendant plusieurs années, deux papes coexistèrent, l’un résidant en Italie, l’autre en France. Cependant, afin de sortir de la crise, les cardinaux se réunirent au cours du concile de Pise, en 1408, déposant les deux papes et en élisant un nouveau, Alexandre V (auquel lui succéda Jean XXIII). Cependant, Grégoire XII, à Rome, et Benoît XIII, en Avignon, excommunièrent les conclavistes et ne reconnurent pas leur décision. Dès lors, il n’y avait plus deux, mais trois papes à la tête de l’Eglise.  

[8] Grégoire XII, pape à Rome, accepta d'abdiquer lui aussi, mais pas Benoît XIII, pape en Avignon. Ce dernier, contraint de se réfugier en Aragon, y mourut en 1423. Son successeur, Clément VIII, préféra abdiquer en 1429.  

[9] L'électorat de Saxe faisait partie d'une assemblée composée de sept princes allemands ayant le pouvoir d'élire le souverain du Saint-Empire romain germanique. Les princes-électeurs étaient au nombre de sept : trois religieux (l'archevêque de Mayence, l'archevêque de Trèves, et l'archevêque de Cologne) et quatre laïcs (le roi de Bohême, le comte palatin, le duc de Saxe, et le margrave de Brandebourg). A noter que d'autres électeurs firent leur apparition au fil des siècles.

[10] A noter que les travaux d'érection de la basilique ne s'achevèrent que 120 ans plus tard, en 1626.

[11] A noter qu'à cette date, Luther résidait à Wittemberg, en Saxe (sous la juridiction du prince-électeur de Saxe). Cependant, l'archevêque de Mayence avait autorité sur toute la Germanie pour les questions religieuses (l'archevêque de Trèves avait autorité sur la Gaule, celui de Cologne avait autorité sur l'Italie).

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