Faux ! Car contrairement à ce que l'on
pourrait croire, le "petit caporal" ne souffrait pas d'un grave retard de
croissance.
Le général Bonaparte, par Louis DAVID, vers 1798, musée du
Louvre, Paris (cette esquisse inachevée, peinte pendant la campagne
d'Italie, devait faire partie d'une composition historique, jamais exécutée,
représentant le général vainqueur tenant le traité de paix avec l'Autriche).
Napoléon fit l'objet de plusieurs
mesures, depuis son accession au pouvoir jusqu'à sa mort en 1821. Ainsi,
selon les mémoires de Louis Joseph Narcisse Marchand,
valet de chambre de l'Empereur, le Corse mesurait cinq pieds, deux pouces et
quatre lignes (soit 1 mètre 686.) ; le général Gaspard Gourgaud[1]
,
mesurant Napoléon en 1815 lors de leur voyage vers Sainte Hélène, rapporta
dans son journal une taille de cinq pieds, deux pouces et demi (soit 1 mètre
692.) ; un tapissier anglais chargé de prendre des mesures à Longwood nota
que le général captif mesurait cinq pieds, sept pouces[2]
(soit 1 mètre 70.) ; enfin, le médecin
François Antommarchi , procédant à
l'autopsie de Bonaparte en 1821, nota une taille similaire à celle de
Marchand, soit 1 mètre 686.
Ainsi, à l'aune des résultats indiqués
par les différents contemporains de Napoléon, l'on peut retenir une taille
avoisinant les 1 mètre 69. Si aujourd'hui, cette mesure semble faire de
l'Empereur un souverain de petite taille, il faut cependant noter que les
Français ont énormément grandi entre 1810 et 2010.
En effet, la taille moyenne en France, en 2009, était de 1 mètre 75 pour les
hommes, et 1 mètre 63 pour les femmes. Mais en 1900, la taille moyenne
était seulement de 1 mètre 66 pour les hommes, et 1 mètre 54 pour les femmes !
Cependant, nous n'avons pas d'élément de mesure précis pour l'année 1800.
Jetons donc un coup d'œil sur la taille minimale exigée pour le service
militaire à la fin du XVIII° siècle : en 1776, cinq pieds, un pouce (soit 1
mètre 651.) ; en 1792, cinq pieds (soit 1 mètre 625.).
Ces mesures nous laissent penser que la taille moyenne à l'aube du XIX°
siècle se situait autour des 1 mètre 65 : ce qui faisait de Napoléon ni un
nabot, ni un géant, mais un citoyen plus grand que la moyenne.
Mais pourquoi avons nous donc en tête
l'image d'un Napoléon minuscule, soucieux de s'affirmer afin de faire fi de
son handicap ?
De prime abord, l'on constate que
l'Empereur, sur le champ de bataille, était constamment entourés de la
Garde impériale. Il s'agissait d'un corps d'élite, composé de soldats
ayant au moins dix ans d'expérience, et mesurant au minimum 1 mètre 83 (soit
20 centimètres de plus que la taille moyenne de l'époque !). Par ailleurs,
les grenadiers arboraient en permanence l'ourson, un bonnet à
poils mesurant plus d'une trentaine de centimètres.
Bataille d'Iéna, gagnée par
l'Empereur Napoléon, 14 octobre 1806, par Horace VERNET, 1836,
château de Versailles, Versailles.
Une autre explication proviendrait de la différence des mesures entre le
pied français et le pied anglais. En effet, alors qu'en France cinq pieds et
deux pouces (la taille de Napoléon.) équivalent à 1 mètre 69, en Angleterre,
cinq pieds et deux pouces ne valent qu'1 mètre 58.
Au final, il semblerait que la légende
noire concernant la petite taille de Bonaparte fut véhiculée par la presse
anglaise, suite à la rupture de la paix d'Amiens[3].
Ainsi, se basant sur une taille erronée (les fameux cinq pieds et deux
pouces français.), les Britanniques ne se privèrent pas de caricaturer
"l'ogre Corse" en Lilliputien, faisant face à l'imposant John Bull[4].
John Bull se moquant de Napoléon. L'Anglais somme l'Empereur de traverser la
Manche, ce à quoi ce dernier lui répond, d'un ton mal assuré : "J'arrive !
J'arrive !!!"
Ainsi, suite à l'abdication de Napoléon en 1815, les monarchistes puis les
républicains ne se privèrent pas de reprendre à leur compte cette image
erronée, qui parvint à survivre jusqu'à nos jours.
Ce problème de taille frappa aussi Louis Napoléon Bonaparte, neveu de
l'exilé de Saint Hélène, qui fut surnommé Napoléon le Petit par
Victor Hugo. Mais ceci est une autre histoire...
[1]
Gourgaud, né en 1783, avait participé à de nombreuses batailles de
l’épopée napoléonienne : Austerlitz, Iéna, Friedland, etc. Il avait
aussi combattu lors de la guerre d’Espagne, lors de la campagne de
Russie, et avait prit part aux batailles de Leipzig et de Waterloo.
[2]
A noter que les mesures françaises et anglaises, fonctionnant en
pieds et en pouces, n'étaient pas équivalentes. Nous reviendrons sur cette
différence plus tard.
[3] Pour en
savoir plus sur la paix d'Amiens, voir le a), 7, section 3, chapitre
premier, l'épopée napoléonienne.
[4] John Bull est
le nom d'un personnage symbolisant l'Angleterre, à l'instar de Marianne pour la France ou de l'oncle Sam
pour les Etats Unis.