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Mythologie
 
 

 

 

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Les mensonges de l'Histoire


S'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche !

Nous connaissons tous cette célèbre citation, attribuée à Marie-Antoinette, qui aurait été prononcée pendant la disette de 1789 : s'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche ! (ou : ils n'ont pas de pain ? Qu'ils mangent de la brioche !).

Cependant, cette phrase fut-elle réellement prononcée par la reine, ou bien n'est-elle qu'apocryphe[1] ? Et si cette citation n'est qu'une invention, d'où et quand provient-elle ?

 

Marie-Antoinette, née à Vienne en novembre 1755, était la fille de François I° et de Marie-Thérèse, impératrice d'Autriche[2]. Quinzième enfant du couple impérial, la jeune femme reçut une éducation sommaire : langues (allemand, français, italien), danse, musique et maintien. En 1770, à l'âge de quatorze ans, elle fut mariée au dauphin Louis Auguste, petit-fils de Louis XV, et partit s'installer à Versailles.

Les deux époux étant encore jeunes, le mariage mit sept ans à être consommé, ce qui fit naître bien des rumeurs dans la capitale. « L'Autrichienne », comme on l'appelait déjà, fut alors l'objet de pamphlets virulents, dans lesquels elle était accusée d'être lesbienne, nymphomane, frivole, dépensière, de collectionner les amants, de faire le jeu de l'Autriche, ou encore de souffrir de stérilité.

Marie Antoinette d'Autriche, reine de France, par Elisabeth Louise VIGEE-LE BRUN, 1784, château de Versailles, Versailles.

A noter cependant que ces attaques furent vraisemblablement plus le fruit du rejet de l'alliance autrichienne que du rejet de Marie-Antoinette en elle-même. En effet, Louis XV avait bousculé le jeu des alliances au milieu du XVII° siècle, décidant de s'allier avec l'Autriche, alors considérée comme l'ennemi héréditaire de la France. Ce rapprochement, opéré au détriment de Frédéric II, roi de Prusse, fit grand bruit, d'autant que ce souverain jouissait d'une grande popularité en France.  

 

En 1774, à la mort de Louis XV, le dauphin Louis Auguste hérita de la couronne de France, adoptant le nom de Louis XVI[3]. Le nouveau souverain, n'étant à l'origine pas destiné à régner[4], et se sachant trop jeune (il n'avait que vingt ans), confia la charge de premier ministre à Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas (ce dernier avait été secrétaire d’Etat à la marine sous le règne de Louis XV).

Louis XVI en costume de sacre, par Joseph Siffrède DUPLESSIS, 1777, musée Carnavalet, Paris.

Sachant s’entourer de ministres compétents, Louis XVI fit toutefois l’erreur de reconstituer le Parlement de Paris, qui avait été dissous en 1771 par son prédécesseur. En effet, les parlementaires, loin d’être reconnaissants envers le nouveau souverain, ne tardèrent pas à s’opposer au roi et aux nouvelles réformes portant atteinte aux privilèges de la noblesse.

Cependant, alors que l'implication française dans la guerre d'indépendance américaine[5] contribuait à creuser un déficit déjà important, les différents ministres se succédant aux poste de contrôleur général des finances tentèrent de réduire les dépenses de la Cour, mais firent face à l'hostilité quasi-unanime de la noblesse : Anne Robert Jacques Turgot, baron de l’Aulne, fut renvoyé en 1776 ; Jacques Necker, un banquier originaire de Genève, fut poussé à la démission en 1781 ; Charles Alexandre de Calonne, qui proposa d'abolir les douanes, d'imposer le clergé, et de réduire les impôts, fut renvoyé en 1787 ; Etienne Charles Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, accusé de vouloir lever de nouvelles taxes, provoqua une révolte du Parlement de Paris.

De haut en bas et de droite à gauche : Anne Robert Jacques Turgot, baron de l'Aulne, par Antoine GRAINCOURT, 1782, château de Versailles, Versailles ; Jacques Necker ; Charles Alexandre de Calonne ; Etienne Charles Loménie de Brienne.

C'est dans ce contexte de crise que s'ouvrirent les Etats Généraux, le 1er mai 1789.

Ouverture des Etats Généraux à Versailles, le 5 mai 1789, par Isidore HELMAN, salle du jeu de paume, Versailles.

 

A cette date, Marie-Antoinette était jugée responsable du renvoi des « bons » ministres de Louis XVI, qui avaient aboli les corvées[6] et le servage (Turgot et Necker), mais aussi tenté de remettre en cause les privilèges de la noblesse (Calonne). La reine reçut à cette occasion le surnom de « Madame Déficit. »

C'est aussi vers 1789, alors qu'une disette frappait la capitale, que lui fut attribuée la célèbre boutade, symbolisant le mépris de la reine pour son peuple. Ainsi, alors qu'on lui annonçait que les Parisiens ne pouvaient s'acheter du pain à cause de la hausse des prix, cette dernière aurait répondu : ils n'ont pas de pain ? Qu'ils mangent de la brioche !

L'on retrouve cette même citation dans Les Confessions, autobiographie du philosophe Jean-Jacques Rousseau, publiée entre 1782 et 1789 : Environné de petites choses volables que je ne regardais même pas, je m’avisai de convoiter un certain petit vin blanc d’Arbois très joli, dont quelques verres que par-ci, par-là je buvais à table m’avaient fort affriandé. [...] Il resta toujours agréable à boire, et l’occasion fit que je m’en accommodai de temps en temps de quelques bouteilles pour boire à mon aise en mon petit particulier. Malheureusement je n’ai jamais pu boire sans manger. Comment faire pour avoir du pain ? Il m’était impossible d’en mettre en réserve. En faire acheter par les laquais, c’était me déceler, et presque insulter le maître de la maison. En acheter moi-même, je n’osai jamais. Un beau monsieur l’épée au côté aller chez un boulanger acheter un morceau de pain, cela se pouvait-il ? Enfin je me rappelai le pis-aller d’une grande princesse à qui l’on disait que les paysans n’avaient pas de pain, et qui répondit : Qu’ils mangent de la brioche. J’achetai de la brioche. Encore que de façons pour en venir là ! Sorti seul à ce dessein, je parcourais quelquefois toute la ville, et passais devant trente pâtissiers avant d’entrer chez aucun. Il fallait qu’il n’y eût qu’une seule personne dans la boutique, et que sa physionomie m’attirât beaucoup, pour que j’osasse franchir le pas. Mais aussi quand j’avais une fois ma chère petite brioche, et que, bien enfermé dans ma chambre, j’allais trouver ma bouteille au fond d’une armoire, quelles bonnes petites buvettes je faisais là tout seul en lisant quelques pages de roman ! Car lire en mangeant fut toujours ma fantaisie, au défaut d’un tête-à-tête : c’est le supplément de la société qui me manque. Je dévore alternativement une page et un morceau : c’est comme si mon livre dînait avec moi.

Ainsi, Marie-Antoinette fut rapidement assimilée à cette « grande princesse », suite à la publication de ce livre, en 1789. Cependant, il convient de préciser que Les Confessions fut publié à titre posthume[7], l'ouvrage ayant été rédigé entre 1765 à 1770 (date à laquelle la future reine avait une dizaine d'années et n'était pas encore mariée). Par ailleurs, il n'existe aucun autre document d'époque indiquant que Marie-Antoinette aurait tenu de tels propos.

 

Le premier texte reliant Marie-Antoinette à la fameuse citation fut l'œuvre du journaliste Alphonse Karr, qui publia l'article suivant en 1843, dans la revue satirique Les Guêpes : On se rappelle quelle indignation on excita, dans le temps, contre la malheureuse reine Marie-Antoinette, - en faisant courir le bruit - que, entendant dire que le peuple était malheureux et qu'il n'avait pas de pain, - elle avait répondu : « eh bien ! qu'il mange de la brioche. »

Jusqu'au début du XX° siècle, les récits reprenant l'anecdote de Karr restèrent rares, jusqu'à la publication de Petit Point et ses amis (Pünktchen und Anton en allemand), publié en 1931 par l'écrivain Erich Kästner. Dans cet ouvrage destiné aux enfants, l'auteur revient sur les journées d'octobre 1789[8] : Il y a environ cent cinquante ans, les plus pauvres parmi le peuple de Paris marchèrent sur Versailles où habitaient le roi de France et sa femme. [...] Les pauvres gens se rangèrent devant le château et crièrent : « Nous n'avons pas de pain, nous n'avons pas de pain ! » tant ils étaient miséreux. La reine Marie-Antoinette regardait par la fenêtre et demanda à un officier : - Que veulent ces gens-là ? - Majesté, répondit l'officier, ils veulent du pain [...]. La reine secoua la tête avec étonnement : - Ils n'ont pas assez de pain ? demanda-t-elle. Mais alors, qu'ils mangent de la brioche !

Le roman de Kästner, très populaire, fut traduit dans 25 langues et est encore réédité de nos jours. Il contribua donc grandement à la diffusion de cette anecdote, d'abord en Allemagne, mais aussi dans toute l'Europe.

 

Cependant, s'il est désormais établi que la fameuse citation ne provient pas de Marie-Antoinette, elle ne provient pas non plus de Rousseau. Car en effet, l'on retrouve de nombreuses phrases de ce type dans des récits antérieurs à la Révolution française.

Ainsi, l'on pourrait citer Das Ander theyl der Garten gessellschafft, un recueil de plaisanteries rédigé par l'Allemand Martin Montanus vers 1560. Dans cette version de l'histoire, des gens affamés implorent une princesse, lorsque celle-ci se demande pourquoi ils ne mangent pas du pain ou du fromage.  

Dans d'autres textes, l'on retrouve d'autres formules, encore plus méprisantes, telles que : qu'ils mangent du foin ! Qu'ils mangent de l'herbe ! Ou qu'ils mangent de la merde !

Ces formules trouvent vraisemblablement leur origine dans de vieux proverbes allemands, hérités du Moyen Age. Parmi ceux-ci, l'on peut citer : certains mangent des gâteaux parce que le pain est trop cher ; mangez des gâteaux tant qu'il n'y a pas de pain ; des gâteaux rassis valent mieux que pas de pain du tout ; etc.

A noter enfin que l'on trouve aussi des formules similaires dans d'autres cultures, comme au Maghreb, en Inde et en Chine. Ainsi, l'Empereur Jin Huidi, au III° siècle après Jésus-Christ, aurait répondu à un conseiller qui lui expliquait que ses sujets souffraient de la famine : si ces affamés n'ont pas de céréales, ils devraient manger de la viande

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[1] C'est-à-dire inventée après sa mort. A noter que dans le domaine de l'art (littérature, peinture, sculpture, etc.), on qualifie d'apocryphe les œuvres dont l'authenticité n'est pas établie.

[2] En effet, Marie-Thérèse était héritière de l'Empire autrichien, qui lui avait été légué par son père Charles VI, décédé sans héritier mâle. Cependant, si François I° fut le monarque officiel de l'Empire autrichien, son épouse fut une souveraine de facto.

[3] La couronne de France passa de Louis XV à son petit-fils car le père de Louis XVI, Louis Ferdinand, était décédé en 1765.

[4] En effet, Louis XVI n'était pas le premier enfant de Louis Ferdinand. Ce dernier avait eu deux fils, Louis et Xavier, respectivement décédés en 1761 et 1754.

[5] Pour en savoir plus sur ce conflit, cliquez ici

[6] Au Moyen âge, le seigneur pouvait réquisitionner ses sujets afin de les faire travailler sans les rémunérer. En règle générale, la corvée ne concernait qu’une ou deux journées par an, exception faites des serfs, qui restaient taillables et corvéables à merci. La corvée royale, par contre, ne fut instaurée que sous le règne de Louis XV. L’objectif était de réquisitionner des travailleurs pendant quelques jours par an, afin de leur faire construire ou restaurer des routes. Dans certaines régions de France, il était possible de racheter ces jours de corvées contre une petite somme d’argent.

[7] Rousseau, né à Genève en juin 1712, mourut à Ermenonville en 1778. Il est considéré aujourd'hui comme l'un des pères de la philosophie des Lumières.

[8] Pour en savoir plus sur cet évènement, qui entraîna le retour du roi à Paris, cliquez ici.

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