Cependant, cette phrase fut-elle réellement prononcée par la reine, ou bien
n'est-elle qu'apocryphe
? Et si cette citation n'est qu'une invention, d'où et quand provient-elle ?
Marie-Antoinette, née à Vienne en
novembre 1755, était la fille de François I° et de Marie-Thérèse,
impératrice d'Autriche.
Quinzième enfant du couple impérial, la jeune femme reçut une éducation
sommaire : langues (allemand, français, italien), danse, musique et
maintien. En 1770, à l'âge de quatorze ans, elle fut mariée au dauphin
Louis Auguste, petit-fils de Louis XV, et partit s'installer à
Versailles.
Les deux époux étant encore jeunes, le
mariage mit sept ans à être consommé, ce qui fit naître bien des rumeurs
dans la capitale.
« L'Autrichienne
», comme on
l'appelait déjà, fut alors l'objet de pamphlets virulents, dans lesquels
elle était accusée d'être lesbienne, nymphomane, frivole, dépensière, de
collectionner les amants, de faire le jeu de l'Autriche, ou encore de
souffrir de stérilité.
Marie Antoinette d'Autriche, reine de France, par Elisabeth
Louise VIGEE-LE BRUN, 1784, château de Versailles, Versailles.
A noter cependant que ces attaques
furent vraisemblablement plus le fruit du rejet de l'alliance autrichienne
que du rejet de Marie-Antoinette en elle-même. En effet, Louis XV avait
bousculé le jeu des alliances au milieu du XVII° siècle, décidant de
s'allier avec l'Autriche, alors considérée comme l'ennemi héréditaire de la
France. Ce rapprochement, opéré au détriment de
Frédéric II,
roi de Prusse, fit grand bruit, d'autant que ce souverain jouissait d'une
grande popularité en France.
En 1774, à la mort de Louis XV, le
dauphin Louis Auguste hérita de la couronne de France, adoptant le nom de
Louis XVI.
Le nouveau souverain, n'étant à l'origine pas destiné à régner,
et se sachant trop jeune (il n'avait que vingt ans),
confia la charge de premier ministre à Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas (ce dernier
avait été secrétaire d’Etat à la marine sous le règne de Louis XV).
Louis XVI en costume de sacre, par Joseph Siffrède DUPLESSIS,
1777, musée Carnavalet, Paris.
Sachant s’entourer de ministres compétents, Louis XVI fit toutefois l’erreur de
reconstituer le Parlement de Paris, qui avait été dissous en 1771 par
son prédécesseur. En effet,
les parlementaires, loin d’être reconnaissants envers le nouveau souverain,
ne tardèrent pas à s’opposer au roi et aux nouvelles réformes portant atteinte aux
privilèges de la noblesse.
Cependant, alors que l'implication française dans la guerre
d'indépendance américaine
contribuait à creuser un déficit déjà important, les différents ministres se
succédant aux poste de contrôleur général des finances tentèrent de
réduire les dépenses de la Cour, mais firent face à l'hostilité
quasi-unanime de la noblesse :
Anne Robert Jacques Turgot, baron de l’Aulne, fut renvoyé en
1776 ;
Jacques Necker, un banquier originaire de Genève, fut poussé à
la démission en 1781 ;
Charles Alexandre de Calonne,
qui proposa d'abolir les douanes, d'imposer le clergé, et de réduire les
impôts, fut renvoyé en 1787 ;
Etienne Charles Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, accusé de
vouloir lever de nouvelles taxes, provoqua une révolte du Parlement de
Paris.
De haut en bas et de droite à gauche :
Anne Robert Jacques Turgot, baron de l'Aulne, par Antoine
GRAINCOURT, 1782, château de Versailles, Versailles ; Jacques Necker ; Charles
Alexandre de Calonne ; Etienne Charles Loménie de Brienne.
C'est dans ce contexte de crise que s'ouvrirent les Etats Généraux,
le 1er mai 1789.
Ouverture des Etats Généraux à Versailles, le 5 mai 1789, par Isidore HELMAN,
salle du jeu de paume, Versailles.
A cette date, Marie-Antoinette était jugée responsable du renvoi des
« bons » ministres de Louis XVI, qui avaient aboli les
corvées
et le
servage
(Turgot et Necker), mais aussi tenté de remettre en cause les privilèges de
la noblesse (Calonne). La reine reçut à cette occasion le surnom de
« Madame Déficit. »
C'est aussi vers 1789, alors qu'une
disette frappait la capitale, que lui fut attribuée la célèbre boutade,
symbolisant le mépris de la reine pour son peuple. Ainsi, alors qu'on lui
annonçait que les Parisiens ne pouvaient s'acheter du pain à cause de la
hausse des prix, cette dernière aurait répondu :
ils n'ont pas de pain ? Qu'ils mangent
de la brioche !
L'on retrouve cette même citation dans
Les Confessions, autobiographie
du philosophe Jean-Jacques Rousseau, publiée entre 1782 et 1789 :
Environné de petites
choses volables que je ne regardais même pas, je m’avisai de convoiter un
certain petit vin blanc d’Arbois très joli, dont quelques verres que par-ci,
par-là je buvais à table m’avaient fort affriandé. [...] Il resta toujours
agréable à boire, et l’occasion fit que je m’en accommodai de temps en temps
de quelques bouteilles pour boire à mon aise en mon petit particulier.
Malheureusement je n’ai jamais pu boire sans manger. Comment faire pour
avoir du pain ? Il m’était impossible d’en mettre en réserve. En faire
acheter par les laquais, c’était me déceler, et presque insulter le maître
de la maison. En acheter moi-même, je n’osai jamais. Un beau monsieur l’épée
au côté aller chez un boulanger acheter un morceau de pain, cela se
pouvait-il ? Enfin je me rappelai le pis-aller d’une grande princesse à qui
l’on disait que les paysans n’avaient pas de pain, et qui répondit : Qu’ils
mangent de la brioche. J’achetai de la brioche. Encore que de façons pour en
venir là ! Sorti seul à ce dessein, je parcourais quelquefois toute la
ville, et passais devant trente pâtissiers avant d’entrer chez aucun. Il
fallait qu’il n’y eût qu’une seule personne dans la boutique, et que sa
physionomie m’attirât beaucoup, pour que j’osasse franchir le pas. Mais
aussi quand j’avais une fois ma chère petite brioche, et que, bien enfermé
dans ma chambre, j’allais trouver ma bouteille au fond d’une armoire,
quelles bonnes petites buvettes je faisais là tout seul en lisant quelques
pages de roman ! Car lire en mangeant fut toujours ma fantaisie, au défaut
d’un tête-à-tête : c’est le supplément de la société qui me manque. Je
dévore alternativement une page et un morceau : c’est comme si mon livre
dînait avec moi.
Ainsi, Marie-Antoinette fut rapidement assimilée à cette « grande princesse »,
suite à la publication de ce livre, en 1789. Cependant, il convient de
préciser que Les Confessions fut publié à titre posthume,
l'ouvrage ayant été rédigé entre 1765 à 1770 (date à laquelle la future
reine avait une dizaine d'années et n'était pas encore mariée). Par
ailleurs, il n'existe aucun autre document d'époque indiquant que
Marie-Antoinette aurait tenu de tels propos.
Le premier texte reliant Marie-Antoinette à la
fameuse citation fut l'œuvre du journaliste Alphonse Karr,
qui publia l'article suivant en 1843, dans la revue satirique Les
Guêpes : On se rappelle quelle indignation on excita, dans le
temps, contre la malheureuse reine Marie-Antoinette, - en faisant
courir le bruit - que, entendant dire que le peuple était malheureux
et qu'il n'avait pas de pain, - elle avait répondu :
« eh bien ! qu'il mange de la brioche. »
Jusqu'au début du XX° siècle, les récits
reprenant l'anecdote de Karr restèrent rares, jusqu'à la publication
de Petit Point et ses amis (Pünktchen und Anton en
allemand), publié en 1931 par l'écrivain Erich Kästner. Dans
cet ouvrage destiné aux enfants, l'auteur revient sur les journées
d'octobre 1789
: Il y a environ cent cinquante ans, les plus pauvres parmi le
peuple de Paris marchèrent sur Versailles où habitaient le roi de
France et sa femme. [...] Les pauvres gens se rangèrent devant le
château et crièrent : « Nous
n'avons pas de pain, nous n'avons pas de pain ! » tant ils étaient
miséreux. La reine Marie-Antoinette regardait par la fenêtre et
demanda à un officier : - Que veulent ces gens-là ? - Majesté,
répondit l'officier, ils veulent du pain [...]. La reine
secoua la tête avec étonnement : - Ils n'ont pas assez de pain ?
demanda-t-elle. Mais alors, qu'ils mangent de la brioche !
Le roman de Kästner, très populaire, fut traduit
dans 25 langues et est encore réédité de nos jours. Il contribua
donc grandement à la diffusion de cette anecdote, d'abord en
Allemagne, mais aussi dans toute l'Europe.
Cependant, s'il est désormais établi que la
fameuse citation ne provient pas de Marie-Antoinette, elle ne
provient pas non plus de Rousseau. Car en effet, l'on retrouve de
nombreuses phrases de ce type dans des récits antérieurs à la
Révolution française.
Dans d'autres textes, l'on retrouve d'autres
formules, encore plus méprisantes, telles que :
qu'ils mangent du foin ! Qu'ils mangent de l'herbe !
Ou qu'ils mangent de la merde !