Le rugby fut
créé par un joueur de football qui prit le ballon à la main
Tous les amateurs de rugby connaissent la
légende suivante : lors d'un match de football organisé en 1823, le jeune
William Webb Ellis, en dépit du règlement, prit la balle à la
main, donnant naissance au rugby moderne.
Cependant, l'Histoire n'étant jamais simpliste, l'on peut donc se demander
si cette légende est basée ou non sur des faits réels.
Le « geste » d'Ellis lors du match de 1823.
William Webb Ellis, né en Angleterre en novembre 1806, était le
fils d'un officier britannique, décédé en 1811, pendant la campagne
d'Espagne[1].
Suite à cet évènement, Ellis et sa mère s'installèrent à Rugby, ville du
comté Warwickshire, le jeune homme faisant son entrée à la Rugby school
(il y fit ses études jusqu'en 1825).
C'est à cette époque qu'Ellis aurait, lors d'un
match, prit le ballon entre ses mains, au mépris des règles du jeu.
Cependant, il convient de préciser que le jeu
auquel jouaient les étudiants de la Rugby school n'était pas du football,
mais du folk football, un dérivé de la soule.
Jeu de la soule.
Les jeux de balle étaient déjà pratiqués au cours de l'Antiquité, que ce
soit en Grèce (l'aporraxis, qui se jouait avec une balle faite de
bandes de cuir enroulées), à Rome (l'harpastum, dont l'objectif était
d'envoyer la balle au-delà de la ligne adverse), en Chine (le cuju,
où les joueurs devaient se passer la balle pour marquer des points), en
Amérique centrale
(l'ullamaliztli,
dans lequel une balle en caoutchouc devait traverser un anneau situé contre
un mur), etc.
Jeu d'ullamaliztli,
pratiqué par les Aztèques.
La soule (dérivé du mot germanique keula,
qui signifie
« objet rond »)
quant à elle, fit son apparition en Normandie au Moyen-âge, étant mentionnée
pour la première fois à l'écrit au milieu du XII° siècle. Ce jeu, considéré comme
l'ancêtre du football et du rugby, particulièrement violent, avait pour
objectif d'envoyer la balle[2]
au-delà de la ligne adverse.
Ne comptant guère de règles (le jeu pouvant se
faire à la main, au pied, ou avec une crosse) et pouvant réunir
plusieurs centaines de personnes, ce sport, très populaire parmi le petit
peuple, s'exporta rapidement de l'autre côté de la Manche (à cette occasion
rebaptisé football, puis folk football par les historiens britanniques pour
le différencier du football moderne).
Souffrant de plusieurs interdictions au cours de l'Histoire, la soule
continua néanmoins à être pratiquée jusqu'au XIX° siècle.
A cette date, le folk football était pratiqué dans de nombreuses écoles
anglaises, telles que
Cambridge,
Rugby, Westminster, Winchester, etc. C'est à cette époque que
commencèrent à être rédigées les règles du folk football, donnant peu à peu
naissance au football moderne. A noter cependant que chaque école possédait
ses propres règlements, ce qui provoquait de nombreux imbroglios lors des
matchs entres équipes rivales : le rugby, plus physique, prévoyait un jeu à
la main et la formation de mêlées, alors que le football interdisait tout
contact.
Afin d'uniformiser les règles, et de différencier le football du rugby,
plusieurs écoles et associations donnèrent naissance à la Football
Association (ou Fédération anglaise de football) en 1863. Cette
dernière fut suivie, moins d'une décennie plus tard, par la Rugby Football Union
(ou Fédération anglaise de rugby), fondée en 1871[3].
A noter cependant que dans la deuxième moitié du XIX° siècle, alors que les règles du
rugby n'avaient pas encore été établies, ce sport s'était exporté dans de nombreux
pays anglo-saxons, s'adaptant aux coutumes locales. C'est ainsi
qu'apparurent plusieurs sports dérivés du rugby, possédant leurs propres
règles : le football américain, le football canadien, le
football australien, le football gaélique (pratiqué en Irlande),
etc.
Match de football américain.
Mais si le rugby fut le fruit, comme nous venons le voir, d'une lente
évolution, quid de la légende de William Ellis ? Le rugby et le football ne
s'étant distingués l'un de l'autre qu'à la fin du XIX° siècle, quelle fut
donc la portée du geste du jeune homme ?
En réalité, la seule source mentionnant la légende d'Ellis provient de
Matthew Bloxam, antiquaire et ancien étudiant de la Rugby school, qui
publia deux articles dans le
journal The Meteor en octobre 1876 et décembre 1880. A
cette occasion, il affirma :
un garçon nommé Ellis
[...] alors
qu'il jouait au football en 1823, prit la balle dans ses bras. Selon le
règlement, il aurait du reculer tout en gardant la balle,
[...]
afin que ses adversaires puissent avancer jusqu'à l'endroit où il avait
attrapé la balle, ces dernier devant s'arrêter en attendant qu'il renvoie la
balle d'un coup de pied, à l'époque, la plupart des buts étant des tirs au
pied
[...].
Ellis, pour la première fois, ne tint par compte de cette règle, et ayant
attrapé la balle, plutôt que de reculer, courut vers l'avant avec la balle
dans ses mains en direction du but opposé, pour un résultat que je ne
connais pas, pas plus que je ne sais si cette violation d'une règle connue
fut suivie, ou quand elle devint une règle en vigueur.
Suite à la
déclaration de Bloxam, des spécialistes du rugby interrogèrent des anciens
de la Rugby school, mais personne ne fut en mesure de se souvenir du geste
d'Ellis[4], même si à l'époque les règles prohibaient effectivement de prendre
la balle à la main (quoique d'autres écoles autorisaient déjà ce geste).
Comme nous
l'avons vu plus tôt, la RFU fit scission en 1895, et c'est à cette date que
se fit l'enquête sur le geste d'Ellis. Ainsi, même si aucune source tangible
ne fut en mesure de confirmer les dires de Bloxam, cette
légende fut largement diffusée par la Rugby school, à une époque où cette
dernière commençait à perdre son autorité dans le monde du rugby.
A cette date,
une plaque fut posée sur un des murs de l'établissement, portant
l'inscription suivante : cette pierre commémore l'exploit de William Webb
Ellis, qui avec un beau mépris envers les règles du football tel qu'il était
joué à l'époque, fut le premier à prendre le ballon dans ses bras et à
courir avec, donnant naissance à cette spécificité distinctive du rugby.
1823.
Le geste d'Ellis eut-il donc lieu ? Peut-être. Le jeune homme fut-il le
premier à prendre la balle à la main ? Non. Donna t'il naissance au rugby
moderne ? Certainement pas.
Malgré tout, même si aujourd'hui la légende d'Ellis n'est plus retenue par les historiens pour expliquer la naissance du rugby,
cette dernière reste très présente dans l'inconscient populaire : ainsi, le
trophée remis au vainqueur de la coupe du monde de rugby est baptisé le
William Webb Ellis Trophy ; depuis 2006, Ellis (à l'instar de la Rugby
school) est mentionné dans le Temple de la renommée, classement
instauré par l'International Rugby Board (ou Conseil international
du rugby) afin d'honorer les personnes et institutions ayant contribué
au rugby ; enfin, le Royal Sporting Club d'Anderlecht, une équipe de
rugby belge, fut baptisée William Ellis Rugby Club, entre 1931 et
1933
[1]
Ce conflit opposa la France à l'Espagne, de 1808 à 1814. Napoléon,
considérant que la monarchie espagnole était usée et incapable, décida de
renforcer la présence française dans cette région, souhaitant mettre un terme à
l'Inquisition et introduire les acquis de la Révolution dans le pays. Cependant,
les Espagnols, protestant contre l'arrestation de leur souverain, décidèrent de
prendre les armes contre les Français. Pour plus de renseignements sur la
campagne d'Espagne,
cliquez ici.
[2] A noter que la soule
ne se jouait pas toujours avec une balle, le ballon de cuir ne
commençant à se répandre en France qu'à compter du XVI° siècle.
Ainsi, les joueurs utilisaient des matériaux très divers : sacs
remplis de graines, panses de brebis, boules de bois, vessies de porc recouvertes de cuir, etc.
[3]
A noter qu'en 1895 s'opéra une scission au sein de la RFU. A cette
date, vingt clubs décidèrent donc de fonder une fédération autonome,
la Rugby Football League (ou Ligue anglaise de rugby),
prévoyant des matchs à treize joueurs et non plus à quinze.
[4] D'autant
qu'Ellis était mort depuis longtemps, étant décédé à Menton en 1872.