Ce dernier, passé à la postérité pour son combat contre l'esclavage,
parvint-il finalement à ses fins ? Quant à son hostilité envers
l'esclavagisme, était-elle spontanée, ou bien motivée par des motifs moins
reluisants ?
Les origines de Toussaint sont
aujourd'hui assez méconnues. Ce dernier serait né à Saint-Domingue
vers 1740, esclave au sein de l'habitation Bréda, gérée par un grand
propriétaire terrien nommé Bayon de Libertat.
Toussaint, bénéficiant de conditions de
vie assez
« souples », fut affranchi à une date incertaine, entre la
fin des années 1760 et 1776. A cette occasion, il adopta le patronyme de
Toussaint de Bréda,
s'alphabétisant sur le tard.
En 1779, ce dernier était propriétaire d'une habitation produisant du café,
qui comportait treize esclaves noirs.
Lorsque commença la Révolution
française, Toussaint se trouvait dans une position plutôt confortable,
pour un noir des colonies, ayant bénéficié d'une importante ascension
sociale.
En 1789, Saint-Domingue était un
endroit
prospère, première producteur mondial de sucre, et important exportateur de
café. Cependant, la société était très inégalitaire : ainsi, face aux 450
000 esclaves présents sur l'île à cette époque, l'on ne comptait que 30 000 blancs
(divisés en deux catégories, d'un côté les
« grands blancs », riches propriétaires terriens, de l'autre les « petits
blancs », représentant la classe moyenne) et 30 000 mulâtres et
esclaves affranchis.
A ce contexte social s'ajoutaient des
rivalités régionales, entre le nord, plus riche, et les autres régions de
Saint-Domingue.
Le climat
insurrectionnel ne tarda donc
guère à s'étendre à l'île à compter de l'été 1791.
A cette date, les colons étaient
partagés quant aux avancées sociales proposées par les députés de l'Assemblée
constituante, qui avaient adopté la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen (août 1789), et s'étaient déclarés en faveur de
l'abolition de l'esclavage.
En effet, les colons craignaient la
disparition du système esclavagiste, qui non seulement provoquerait la fin des
activités économiques de Saint-Domingue, mais aussi la disparition de la
suprématie des blancs, les colons européens étant, comme nous l'avons vu
plus tôt, fortement minoritaires.
Au cours de l'été 1791, de nombreux
esclaves décidèrent de prendre les armes, incendiant de nombreuses
plantations du nord. A Paris, les députés n'étaient guère favorables à
l'intransigeance des grands propriétaires terriens, souhaitant au contraire
établir l'égalité entre tous les hommes libres.
La révolte des esclaves, 1791.
En septembre 1792, plusieurs
commissaires civils envoyés par Paris firent leur apparition à
Saint-Domingue. L'un d'entre eux, Léger-Félicité Sonthonax, se
déclara alors en faveur de l'égalité entre les hommes libres, mais aussi
soucieux de préserver l'esclavage.
Portrait de Léger-Félicité Sonthonax.
Cependant, les grands propriétaires
terriens se méfiaient de ces commissaires civils. Ainsi, ces derniers se
rapprochèrent de François-Thomas Galbaud-Dufort, nommé gouverneur
général de Saint-Domingue en février 1793. Courant juin, ce dernier décida
alors de s'attaquer aux commissaires civils, bénéficiant de l'appui des
colons. Cependant, Sonthonax proclama l'abolition de l'esclavage en août
1793, à une époque où Saint-Domingue était en outre menacée par la marine
britannique, qui s'était à cette date emparée de nombreux ports (les
Espagnols, quant à eux, progressaient à l'intérieur des terres depuis la
moitié est de l'île).
Toussaint, quant à lui, décida à cette
date de se rapprocher des esclaves insurgés, qui bénéficiaient du soutien de
l'Espagne, qui gouvernait la partie orientale de l'île de Saint-Domingue. Ce
dernier, remportant plusieurs batailles, adopta le surnom de
« Louverture. »
Cependant, Toussaint décida brusquement
de changer de camp en mai 1794, se rapprochant du général Etienne Maynaud
de Bizefranc de Lavaux, qui avait été nommé gouverneur de Saint-Domingue
en fin d'année 1793.
Aujourd'hui encore, les motivations
réelles de Toussaint ne sont pas claires. Ainsi, certains historiens pensent
que ce dernier aurait rejoint le camp français suite à l'abolition de
l'esclavage promulguée par Sonthonax en 1793 (et officialisée par Paris en
février 1794) ; cependant, d'autres affirment que ce revirement fut motivé
par des raisons personnelles, les relations de Toussaint avec ses supérieurs
étant houleuses, ayant même échappé à un attentat peu de temps auparavant.
Quoi qu'il est soit, en l'espace de
quelques mois, Toussaint Louverture parvint à repousser les Espagnols de
l'intérieur des terres, progressant jusqu'à la frontière orientale (à noter
que le traité de Bâle, signé en juillet 1795, accordait à la France
la domination sur la moitié orientale de Saint-Domingue). En échange de ses
bons et loyaux services, il fut nommé lieutenant-général
en mars 1796 par le gouverneur Lavaux.
Par la suite, entre 1769 et 1797, Lavaux et Sonthonax
furent élus députés, et contraints de rentrer à Paris. Cela permit ainsi à
Toussaint d'obtenir la charge de commandant en chef de l'armée de
Saint-Domingue, première étape vers la prise de pouvoir.
Fort de son autorité, Toussaint
Louverture parvint à remporter plusieurs victoires contre les Britanniques,
négociant leur départ de Saint-Domingue pendant l'été 1798.
Cependant, l'accord prévoyait
l'ouverture des ports de l'île aux navires de commerce anglais, à une date
où la France était encore en guerre avec la Grande-Bretagne. Le général
Gabriel de Hédouville, qui avait été envoyé à Saint-Domingue en tant que
commissaire extraordinaire, protesta donc vivement contre cet accord. Mais
Toussait, jaloux de conserver son autorité, vint assiéger le Cap Français,
cité côtière du nord de l'île, contraignant Hédouville à quitter
Saint-Domingue en octobre 1798.
Suite au départ du commissaire
extraordinaire, Toussaint se retourna contre le général André
Rigaux, chef du parti mulâtre, qui avait été chargé par
Sonthonax en 1793 de faire appliquer le décret d'abolition de
l'esclavage dans le sud de l'île.
Le conflit entre les deux hommes, l'un
défenseur des noirs (Toussaint), l'autre des mulâtres (Rigaud), fut baptisé
guerre des couteaux. Cependant, cet affrontement fut moins une
opposition d'ordre ethnique qu'une véritable lutte de pouvoir.
Finalement, Toussaint remporta la
victoire en juillet 1800, parvenant à s'emparer de la partie orientale de
l'île d'ici la fin de l'année (conformément au traité de bâle, que nous
avons vu plus tôt). En février 1801, il fut nommé capitaine-général de
Saint-Domingue par Napoléon Bonaparte, qui s'était emparé du pouvoir
en fin d'année 1799.
Toussaint, désormais maître incontesté
de l'île, tenta de remettre l'économie en marche, paralysée par dix années
de guerre. C'est ainsi qu'il invita les colons qui s'étaient exilés pendant
la Révolution haïtienne, contraignant les anciens esclaves noirs à reprendre
le travail dans les plantations.
Puis, en juillet 1801, Toussaint
Louverture proclama la Constitution de Saint-Domingue, accordant à
l'île un statut autonome, tout en garantissant à la France des rapports
privilégiés, mais non exclusifs.
Le texte, bien que confirmant
l'abolition de l'esclavage, restait particulièrement réactionnaire : la
religion catholique devenait religion d'Etat (article 6) ; le divorce était
interdit (article 10) ; l'atteinte à la propriété était sévèrement punie
(article 13) ; chaque gouverneur était nommé pour une durée de cinq ans
(article 29), sauf Toussaint qui conserverait le pouvoir à vie (article 31),
s'arrogeant d'importants pouvoirs grâce à l'article 34 (promulgation des
lois, nominations aux emplois civils et militaires, commandant en chef des
forces armées, etc.) ; l'article 17, quant à lui, restait particulièrement évasif :
l'introduction des cultivateurs indispensables au rétablissement et à
l'accroissement des cultures aura lieu à Saint-Domingue (s'agissait-il
de travail forcé ? du rétablissement du servage ? Ou bien de l'arrivée de
nouveaux esclaves ?).
La Constitution de Saint-Domingue, 1801.
Cependant, la Constitution de
Saint-Domingue, qui devait être ratifiée par Paris, ne fut pas au goût de
Napoléon. Ce dernier constitua alors un corps expéditionnaire de 30 000
soldats, dirigé par le général Charles Leclerc.
Toussaint Louverture, bien que
disposant d'une armée équivalente à celle des Français, ne parvint toutefois
pas à l'emporter. Ainsi, alors que le général Leclerc s'emparait peu à peu
de tous les ports de la côte, les insurgés furent contraints d'adopter la
tactique de la terre brûlée, qui n'arrêta pas l'offensive du corps
expéditionnaire.
La prise de Cap Français.
Ainsi, en mai 1802, Toussaint fut
contraint de capituler. Déporté pendant l'été avec une centaine de ses
proches, il fut enfermé au fort de Joux, dans le Doubs, où il mourut en
avril 1803.
Toutefois, malgré l'élimination de
Toussaint, l'expédition française ne parvint pas à atteindre ses objectifs,
décimée par la fièvre jaune (la volonté des Français de rétablir l'esclavage
parvint à galvaniser les troupes rebelles). C'est ainsi que le général
Jean-Jacques Dessalines, un ancien lieutenant du défunt, parvint à
proclamer l'indépendance d'Haïti en janvier 1804, se faisant nommer
gouverneur à vie, puis empereur.
Le général Dessalines, présenté avec une tête de femme blanche à la main.
Toussaint Louverture, présenté
aujourd'hui comme le libérateur d'Haïti et une grande figure de la cause des
noirs, n'est toutefois pas exempt de reproches.
Ainsi, comme nous l'avons vu
précédemment, Toussaint n'hésita pas à faire appel au système esclavagiste,
en tant que planteur propriétaire de plusieurs propriétés.
Il fut aussi un politicien
opportuniste, rejoignant le camp français en 1794, obéissant plus à la
nécessité qu'à de véritables convictions.
Enfin, devenu maître incontesté de
Saint-Domingue, Toussaint fit tout son possible pour remettre les anciens
esclaves noirs au travail, ayant recours au travail forcé (l'article 17 de
la constitution de 1801 est d'ailleurs très ambigu sur la question de
l'accroissement des
« bras »).
Toussaint Louverture, à l'instar de
nombreux chefs d'Etats ou leaders politiques, est donc un personnage plus
contrasté qu'il n'y paraît au premier abord, n'en déplaise aux romanciers et
aux hagiographes
.