Faux ! Le récit qui voudrait que ce soit
Napoléon qui ait mutilé le sphinx, en ordonnant à ses canons de le prendre
pour cible, lors de la campagne d'Egypte[1],
relève uniquement de la légende.
Car
en effet, une fois n'est pas coutume, la réalité historique s'avère bien
plus complexe qu'on ne pourrait le croire...
Enseigne "La campagne d'Egypte", anonyme,
vers 1799-1804, musée des Invalides, Paris.
Le sphinx est situé sur le plateau de Gizeh, à l'endroit où furent érigées
les pyramides de Kheops, Khephren et Mykérinos,
pharaons de la IV° dynastie
[2]
(qui régna sur l'Egypte du XXVI° au XXV° siècle avant Jésus Christ). Etant
placé à proximité de ces trois grandes pyramides, le sphinx est donc
traditionnellement associé à la IV° dynastie.
Statuettes des rois Kheops, Khephren et Mykérinos.
Cependant, il convient de préciser que les sources manquent, lors de l'étude
de cette période. Ainsi, si les égyptologues disposent d'importants vestiges
archéologiques (pyramides, tombes, temples, etc.), les sources écrites
manquent considérablement.
La pyramide de
Kheops.
Preuve de cette lacune, la datation des règnes des pharaons de la IV°
dynastie fait encore débat. Ainsi, si l'on estime généralement que Kheops
régna de 2550 à 2525 avant Jésus Christ, d'autres historiens donnent des
dates bien différentes, aussi bien dans les années que dans la durée : 2620
à 2580 (soit 40 ans de règne), 2609 à 2584 (25 ans), 2538 à 2516 (22 ans),
etc.
A titre de comparaison, l'on pourrait se représenter les historiens de l'an
7000, affirmant à nos descendants que Napoléon régna de 1985 à 2020.
Le Sphinx de Gizeh.
C'est pour cette raison que le
sphinx, lui aussi, conserve une grande part de mystère.
Si nous savons aujourd'hui que ce
dernier ne fut pas érigé mais taillé dans la roche, nous ignorons
quand et pourquoi. Pendant très longtemps, l'on a considéré que le
sphinx représentait Kheops, qui fit ériger la plus grande pyramide
du plateau de Gizeh. Mais aujourd'hui, la thèse majoritaire voudrait
que le monument fut bâti sous Khephren et à son effigie.
Cependant, l'origine du sphinx fait
toujours débat. Certains égyptologues pensent que Khephren aurait
érigé le sphinx, non à son image, mais à celle de Kheops, son père ;
ou que ce monument fut
l’œuvre du pharaon Djedefrê (frère aîné de Khephren),
toujours à l'effigie de Kheops...
Tête de Djedefrê, musée du Louvre, Paris.
Par ailleurs, d'autres
scientifiques, montrant que la tête du sphinx est bien moins érodée
que son corps (alors que ce dernier fut enseveli pendant presque
deux millénaires), pensent que ce monument était autrefois baigné par
les eaux du Nil. Selon les partisans de cette théorie, le sphinx
représentait autrefois le dieu Anubis
[3],
dont la tête, abîmée au fil des siècles, fut retaillée à une époque
plus tardive (peut être à l'image d'Amenemhat II, de la XII°
dynastie[4]).
Schéma imaginaire du sphinx originel.
Malheureusement, si les origines du
sphinx font méconnues, c'est aussi le cas pour ses mutilations.
Néanmoins, comme nous l'avons vu
plus tôt, il est évident que Napoléon est innocent du crime qui lui est imputé, car
ce monument était déjà abimé lors de l'arrivée des troupes françaises en
Egypte (comme l'attestent les gravures de l'époque). Par ailleurs,
le futur Empereur étant un passionné d'Egyptologie (c'est suite à la
campagne d'Egypte que cette discipline connut un important succès en
Europe), pour quelle raison aurait-il détérioré à dessein une œuvre
multimillénaire ?
La théorie selon laquelle le nez du
sphinx aurait été détruit par un boulet de canon, tiré par Napoléon,
les troupes britanniques, les Mamelouks[5]
ou autre, reste malgré tout très vivace dans l'inconscient
populaire.
Mais, selon les auteurs arabes du
Moyen âge, ce monument aurait été endommagé au XIV° siècle pa
r
Mohammed Saim al Dahr,
un musulman iconoclaste[6].
A noter qu'à cette époque, seule la tête du sphinx dépassait du
sable, le reste étant immergé. Les paysans égyptiens, bien que
convertis à l'islam depuis longtemps, apportaient néanmoins des
offrandes auprès de cette tête monumentale, considérée comme une
idole favorisant les récoltes.
Mohammed Saim al Dahr, hostile aux représentations divines, décida
donc de détruire cette idole païenne. Grimpant au sommet de la tête
monumentale, il entreprit de marteler le nez et les oreilles du
sphinx, mutilant à jamais cette œuvre vielle de quarante siècles.
Cependant, le vandale fut
rapidement pendu par la population en colère, qui brûla son cadavre
aux pieds du sphinx.
A noter enfin qu'outre son nez,
le sphinx perdit aussi sa barbe. Toutefois, il semblerait que cette
dernière, conservée au British museum, n'est pas d'origine,
mais fut rajoutée plus tard, au cours de la XVIII° dynastie[7].
Fragment de la barbe postiche du sphinx de Gizeh, vers 1420 avant
Jésus Christ, British Museum, Londres.
[1]
Pour en savoir plus sur la campagne d'Egypte, voir le 6,
section IV, chapitre quatrième, La Révolution française.
[2]
Pour en savoir plus sur la IV° dynastie, cliquez
ici.
[3]
Anubis est une divinité anthropomorphique,
représentée sous la forme d’un homme à tête de chien (ou de chacal.)
de couleur noire (parfois, Anubis était simplement représenté par un
chien ou un chacal.). Dieu des Enfers, Anubis était chargé
d’accompagné le défunt dans l’au delà. Pour en savoir plus sur la
mythologie égyptienne,
cliquez ici.
[4] Pour en
savoir plus sur les pharaons de la XII° dynastie, qui régnèrent du
XX° au XVIII° avant Jésus Christ, cliquez
ici.
[5]
Les Mamelouks régnèrent sur l'Egypte et le Proche-Orient, du XIII°
au XVI° siècle. Ces derniers, vaincus par les Turcs Ottomans,
conservèrent néanmoins des postes à responsabilités au sein du nouveau régime.
[6]
La querelle de l'iconoclasme avait fait son apparition dans
l'Empire byzantin au VIII° siècle (à noter que
ce terme provient des mots grecseikon(‘icône’)
etklastein(‘casser’).
Les iconoclastes souhaitaient donc interdire la représentation divine, ce qui
était assimilé à de l'idolâtrie ; alors que les
iconodoules,
au contraire, étaient partisans des images.
[7] Pour en
savoir plus sur les pharaons de la XVIII° dynastie, qui régnèrent du
XVI° au XIII° siècle avant Jésus Christ, cliquez ici.