Aujourd'hui, l'on a tendance à présenter la Grèce
antique comme un havre de paix et de raison, une période correspondant à
l'âge d'or de l'humanité.
En effet, n'est-ce pas à cette époque que furent inventées la démocratie, la
philosophie et le théâtre, et perfectionnées la physique, les mathématiques,
l'astronomie et la médecine ?
Cependant, ces aprioris sont-ils fondés ? La Grèce antique fut-elle vraiment
le témoin d'une période de progrès intellectuel et de faste ? Ou bien
s'avèrerait-il que la réalité est en fait bien plus nuancée ?
Dans un premier temps, il convient de
fixer des repères chronologiques, la période de la Grèce antique s'étendant
en effet sur une durée de presque 1 500 ans, divisées en plusieurs périodes
: l'époque mycénienne, au cours de laquelle apparurent les premières
cités grecques (XV° à XII° siècle avant Jésus-Christ[1])
; les âges obscurs, très méconnus, qui furent le témoin d'une nette
régression intellectuelle (XII° à VIII° siècle avant Jésus-Christ[2])
; l'époque archaïque, témoin de la renaissance des cités grecques
(VIII° à VI° siècle avant Jésus Christ[3])
; l'époque classique, aujourd'hui la plus connue du grand public (V°
à IV° siècle avant Jésus-Christ[4])
; et l'époque hellénistique, qui fait suite à la mort d'Alexandre
le Grand[5]
et prend fin avec la mort de Cléopâtre VII[6]
(IV° à I° siècle avant Jésus-Christ[7]).
Bijoux de l'époque géométrique, vers 900-700 avant Jésus Christ, Altes
museum, Berlin.
Cependant, les périodes les plus
célèbres de la Grèce antique étant l'époque archaïque et l'époque classique,
c'est à ces dernières que nous allons nous intéresser.
De prime abord, il convient de préciser
que le concept d'Etat n'existait pas à l'époque classique (il ne fit son
apparition qu'à partir du règne d'Alexandre le Grand). Ainsi, la Grèce
antique était divisée en une myriade de cités-Etats, plus ou moins
puissantes, rivalisant en permanence les unes contre les autres.
La Grèce au V° siècle avant Jésus Christ (vous pouvez faire un "clic droit"
sur la carte pour faire un zoom).
Par ailleurs, il convient de préciser
que ces cités-Etats ne se trouvaient pas qu'en Grèce. En effet, dès l'époque
archaïque, de nombreux Grecs se lancèrent dans un mouvement de colonisation,
s'implantant sur tout le pourtour méditerranéen : côtes de l'Asie mineure
(la Turquie actuelle), moitié sud de l'Italie (pays alors baptisé
« Grande Grèce »), sud de la France (fondation de Marseille vers 600
avant Jésus-Christ), pointe nord de la Lybie, rives de la mer Noire, etc.
A noter que cette colonisation ne se
fit pas dans un but de conquête, contrairement à ce que l'on pourrait
penser, comptant de nombreuses causes : manque de terres agricoles, volonté
de fuir la guerre, souhait de s'enrichir avec le commerce, exploration, etc.
Aujourd'hui, l'on estime à plus de 1
200 le nombre de ces cités-Etats. Chacune étant autonome par rapport à ses
rivales, et animée d'un fort
« esprit de clocher », les guerres étaient donc incessantes.
Cependant, il convient de
préciser que les cités grecques, au potentiel économique limité,
n'étaient pas en mesure de maintenir en permanence une armée
professionnelle. C'est qu'apparurent les hoplites, à l'époque
archaïque, équipés d'une lance et d'un large bouclier. Ces
combattants, évoluant en rangs serrés, formaient une phalange. La
stratégie reposait donc sur l’unité entre les soldats, et
prohibait toute action individuelle.
Torse d'un guerrier grec, vers 530 avant Jésus Christ, Altes museum, Berlin.
Ainsi, si les conflits étaient
nombreux, ils étaient peu meurtriers (environ 5 % de pertes après
chaque bataille) ; en outre, le hoplites n'étant pas des combattants
professionnels mais des paysans, l'on ne se battait qu'en été
(ainsi, il suffisait souvent d'une bataille pour mettre fin à la
guerre).
A noter par ailleurs que les Grecs,
très pieux, organisaient une trêve sacrée
lorsqu'étaient organisés des jeux sportifs. Cela concernait non
seulement les célèbres Jeux Olympiques, organisés à Olympie ;
mais aussi les Jeux Isthmiques, à Corinthe ; les Jeux
Néméens, à Némée ; et les Jeux Pythiques, à Delphes. La
trêve, personnalisée par Ecéchiria, esprit de l'armistice,
pouvait durer de un à quatre mois. Tout contrevenant s'exposait à
une amende, voire à une exclusion des Jeux.
Les lutteurs, détail issu d'un vase grec du VI° siècle
avant Jésus Christ.
Par ailleurs, si la Grèce antique
n'était pas le havre de paix que l'on s'imagine aujourd'hui, quid
de la démocratie ?
Athènes, la cité qui a laissé le
plus de sources, et qui est donc la plus connue aujourd'hui, a
oscillé entre différents types de gouvernements, depuis sa fondation
jusqu'à la conquête de la Grèce par Rome : dans un premier temps, la
ville fut dirigée par des rois, issus de la famille des
Cécropides (une dynastie tout ou partie légendaire, fondée par
le mythique Cécrops, mi-homme mi-serpent, considéré comme le
premier roi d'Athènes) ; puis, vers l'an 1000 avant Jésus-Christ, la
cité tomba entre les mains d'une oligarchie ; en 561 avant notre
ère, le tyran Pisistrate s'empara du pouvoir ; enfin, ce
n'est qu'à partir de 510 avant Jésus-Christ que fut instaurée la
démocratie athénienne.
Vue de l'Acropole depuis le temple de Zeus olympien.
A noter cependant que toutes les
cités grecques ne suivirent pas la même voie, telles qu'Argos
(monarchie) ; Corinthe (tyrannie puis oligarchie) ; Marseille
(oligarchie) ; Milet (tyrannie) ; Naxos (oscillant en oligarchie et
tyrannie) ; Samos (tyrannie) ; Sparte (monarchie) ; Syracuse
(tyrannie puis démocratie) ; Thèbes (oligarchie puis démocratie) ;
etc.
En effet, à l'époque classique, les
différents philosophes n'étaient pas tous favorables à la
démocratie, que l'on ne considérait que comme un régime parmi tant
d'autres. C'est ainsi que Platon (issu d'une famille
oligarchique), présente cinq régimes politiques dans La
République, publié au début du IV° siècle avant Jésus-Christ :
l'aristocratie, le gouvernement des meilleurs[8]
(selon l'auteur, ce régime est le seul qui soit parfait, tous les
autres lui étant inférieur) ; la timocratie, régime fondé sur
les honneurs ; l'oligarchie, fondée sur les richesses ; la
démocratie, fondée sur l'égalité ; et enfin le pire des régimes,
la tyrannie, fondé sur le désir d'un seul, capable d'abolir
les lois. Socrate, maître de Platon, partageait
vraisemblablement avec son élève son rejet de la démocratie[9]
; quant à Aristote, précepteur d'Alexandre le Grand, il fait
une analyse plus complexe des différents régimes dans La
Politique, publié au milieu du IV° siècle avant Jésus-Christ. En
effet, l'auteur explique qu'il n'existe pas de
« bons » ou de « mauvais » gouvernements, mais seulement des
constitutions qui sont soit « droites » (qui conduisent au bien de
tous), soit « déviantes » (qui ne profitent qu'à ceux qui
gouvernent), mais chacune avec un ou plusieurs gouvernants.
Les six formes de gouvernement
« Droit »
« Déviant »
Un gouvernant
Monarchie
Tyrannie
Quelques gouvernants
Aristocratie (les meilleurs)
Oligarchie (les plus riches)
Nombreux gouvernants
Démocratie (ou République selon les
traductions)
Démocratie (ou Démagogie selon les
traductions)
Ainsi, selon Aristote, l'important
n'est pas la forme du gouvernement, mais l'excellence des citoyens
qui le composent : une monarchie dont le but est le bien de tous
peut dégénérer en tyrannie, pour le bien d'un seul ; une
aristocratie (au sens originel) formée par les meilleurs, peut
dégénérer en oligarchie ; enfin, un gouvernement démocratique, où
chacun reçoit proportionnellement à son excellence, peut dégénérer
en démagogie, où l'égalitarisme
« tue »
le fonctionnement de la cité.
Enfin, concernant la démocratie
athénienne, qui malgré les dissensions et les guerres, parvint à se
maintenir pendant près de 200 ans, il convient de préciser que ce
régime était particulièrement restrictif.
Ainsi, seuls les citoyens avaient le
droit de participer à la vie politique de la cité. Ces derniers
devaient avoir plus de 18 ans, être nés de parents athéniens, et
avoir effectué l'éphébie, le service militaire (terme
provenant du grec hêbé, signifiant
« jeunesse »). Les citoyens pouvaient
alors siéger aux assemblées, voter, devenir magistrats, se marier,
posséder des biens immobiliers, etc.
Cependant, ce système excluait non
seulement les esclaves et les métèques[10],
mais aussi les femmes.
Les métèques étaient des étrangers
qui vivaient et travaillaient à Athènes. Ils étaient tenus de
payer un impôt spécial, le
métoikion.
Les étrangers nés sur le sol athénien ne bénéficiant pas du
droit du sol,
ils héritaient alors du statut de métèque de leurs parents.
Néanmoins, la citoyenneté athénienne fut parfois accordée à des
étrangers, en récompense de services rendus, mais à de rares
exceptions. En règle générale, les édiles préféraient accorder aux
métèques le privilège de l'isotélie,
permettant de payer les mêmes impôts que les citoyens d'Athènes.
Métèque vendant du thon, détail issu d'un vase grec du
IV° siècle avant Jésus Christ.
Les esclaves, quant à eux, ne bénéficiaient d'aucun droit.
Ainsi, ces derniers pouvaient être battus ou utilisés comme objets
sexuels par leurs maîtres. Les esclaves étaient uniquement protégés
en tant que biens : s'ils étaient battus par un citoyen athénien, le
maître pouvait demander réclamation pour dommages et intérêts. A
noter cependant que l'esclave pouvait être affranchi, parfois contre
paiement. Il devenait alors un métèque.
Enfin, les femmes étaient les
moins bien loties, considérées comme des mineures à vie, ne
possédant ni droit juridique, ni droit politique. Cependant, alors
que les femmes du peuple pouvaient exercer une profession
commerçante, complémentaire de celle de leurs maris, les
aristocrates étaient confinées au gynécée (du grec
gynaikeîon, la
« pièce des femmes »), où elles étaient
entourées de leurs servantes. En outre, la société grecque étant
très misogyne, il était interdit aux femmes d'assister aux
représentations théâtrales[11]
ou aux jeux sportifs.
Femmes lavant le ligne, vase du V° siècle avant Jésus Christ.
Ainsi, alors qu'en 500 avant
Jésus-Christ, Athènes comptait 300 00 habitants, moins d'un tiers
étaient des citoyens.
[1]
Pour en savoir plus sur l'époque mycénienne, cliquez ici.
[2] Pour en savoir plus
sur les âges obscurs, appelés aussi époque géométrique
(en raison des motifs ornant les vases datant de cette période), cliquez
ici.
[7]
Pour en savoir plus sur la période hellénistique et le partage de l'Empire
d'Alexandre,
cliquez ici.
[8]
En effet, le mot
« aristocratie » provient du grec
aristoi
(« les meilleurs ») et
kratos
(« pouvoir »). A noter que ce terme n'est pas nécessairement lié à
la noblesse, qui est en réalité une aristocratie « dévoyée » car devenue
héréditaire au fil des siècles.
[9]
Chose étonnante, Socrate n'a laissé aucun écrit, bien qu'il soit
aujourd'hui considéré comme un des plus célèbres philosophes de la Grèce
antique. Ainsi, la pensée de Socrate ne nous est connue qu'indirectement, grâce
à des ouvrages écrits par ses proches et élèves
Le mot
« métèque » provient
du grec
métoikos,
ce qui signifie
« celui qui a changé de résidence. » A noter qu'en raison d'un
manque de sources, l'on ne sait pas si ce statut était réservé à Athènes, ou
bien s'il existait dans d'autres cités.