La guerre d'indépendance américaine,
évènement fondateur des Etats-Unis, dura pendant près d'une décennie, de
1775 à 1783. Ce conflit aux allures de guerre civile (tous les colons
n'étaient pas favorables à l'indépendance) s'acheva finalement, grâce à
l'aide de la France, sur une défaite britannique.
Mais cet affrontement, qui aurait fait de
la jeune nation américaine
le premier pays décolonisé au monde, est aujourd'hui la
proie de nombreux aprioris, parmi lesquels :
« l'intervention
française fut très limitée »
;
« les Américains
ont vaincu la plus grande armée au monde »
; ou encore
« tous les colons
étaient pour l'indépendance. »
Mais qu'en est-il en réalité ? Ces idées
reçues correspondent-elles à la réalité ? Ou bien la guerre d'indépendance
fut-elle plus complexe qu'on ne pourrait le croire ?
Les Britanniques, qui commencèrent à
s'installer sur la côte atlantique du continent américain à compter du XVII°
siècle, parvinrent à donner naissance aux treize colonies à compter
de 1732. Cependant, les colons
ne pouvaient s'étendre à l'ouest, car la vallée du Mississipi était sous
contrôle français.
A l'issue de la guerre de Sept Ans[1],
en 1763, la France fut contrainte de céder le Canada et la Louisiane à
l'Angleterre. Cependant, le
souverain britannique Georges III rédigea la proclamation royale
l'année suivante,
prévoyant de céder aux Amérindiens les nouveaux territoires situés à
l'ouest des treize colonies.
Le continent nord-américain en 1755.
Ce traité, qui ne
plaisait guère aux colons, fut suivi de dix années de lois
coercitives, qui désagrégèrent peu à peu
les relations entre les treize colonies et la métropole (à noter que
les finances de l’Angleterre, à l'issue de la guerre de Sept Ans,
étaient au plus mal, alors que le continent nord-américain
connaissait une vive croissance économique).
Parmi ces lois, l'on peut citer le Sugar Act (avril
1764), ou
« loi sur le
sucre », maintenant les taxes sur le sucre importé[2]
,
mais étendant ces dernières à d’autres produits (vins, cafés,
piments, etc.) ; le Stamp Act
(1765), ou
« loi sur le
timbre
», établissant qu'un timbre fiscal
était dorénavant obligatoire pour une série de documents (textes
officiels, journaux, testaments, jeux de cartes, livres, etc.) ; le
Quartering Act (mars 1765), ou
« loi sur le cantonnement des troupes
», prévoyant que les soldats britanniques
devaient être logés chez l'habitant ; les Townshend Acts[3]
(1767), prévoyant la mise en place de taxes sur les produits importés
dans les treize colonies (thé, papier, verre, peinture, etc.) ;
le Tea Act (1773), ou
« loi sur le thé
»,
accordant le monopole de la vente du thé à la
Compagnie anglaise des Indes orientales ; l'Impartial Administration of Justice Act (1774),
ou
« loi sur
l’administration de la justice
», stipulant que les gouverneurs des treize colonies
seraient nommés par le roi ; et le Quebec Act (1774), cédant
la région des grands lacs à la colonie du Québec.
Peu à peu, les
colons mécontents de la tutelle britannique se regroupèrent, donnant
naissance au mouvement des
Sons of Liberty (« fils
de la liberté »). Ces
derniers en appelèrent au boycott des produits anglais, rappelant que le
Parlement de Londres était en pleine inégalité car il imposait des taxes à
un peuple n’ayant pas de représentation politique sur le continent
Mécontentement des colons américains
suite à la promulgation du Stamp Act, illustration issue de l'ouvrage
History of the United States, par Benjamin ANDREWS, Etats Unis, 1912.
La guerre d'indépendance américaine débuta en 1775, lorsque
le général Thomas Gage, commandant en chef de l’armée
britannique en Amérique du nord, fut chargé d’occuper Boston et de
pacifier la colonie du Massachusetts.
Ce dernier, soucieux d'arrêter les chefs
de la résistance, fut cependant repoussé par les patriotes,
qui attaquèrent les Britanniques lors de la bataille de Lexington
& Concord. Suite à leur victoire, les insurgés, de plus en plus
nombreux, entreprirent d'assiéger Boston.
La bataille de Lexington & Concord.
C'est à cette date que se réunirent les
députés des treize colonies, lors du Second Congrès Continental,
tenu à Philadelphie
[5].
Ces derniers décidèrent de la création d'une armée continentale,
dirigée par George Washington[6],
mais aussi d'une marine américaine, puis commencèrent à travailler
sur un projet de constitution. Finalement,
la déclaration d’indépendance fut proclamée le 4 juillet
1776.
Washington, qui s'était emparé de Boston en mars
1776, décida de marcher sur New York. Cependant, une nouvelle armée
britannique, arrivant du Canada et
commandée par le général anglais John
Burgoyne, franchit la frontière américaine au printemps 1777.
Remportant plusieurs succès, ce contingent fut toutefois vaincu lors
de la bataille de Saratoga, affrontement qui dura un mois, de
septembre à octobre 1777.
La capitulation de Burgoyne.
Cependant, si Burgoyne était hors d'état de
nuire, le général William Howe, qui avait remplacé Thomas
Gage, lança une expédition contre Philadelphie à l'été 1777. Ce
dernier, parvenant à prendre la ville courant septembre, entreprit
de consolider ses possessions dans la région. Toutefois, alors que
Washington avait tenté en vain de reprendre Philadelphie, la cité
fut évacuée au printemps par Henry Clinton (qui avait succédé
à Howe), craignant une offensive de la marine française (Louis
XVI avait décidé de prendre part au conflit en début d'année
1778).
En décembre 1779, Henry Clinton décida de quitter
New York pour rejoindre Savannah, qui pendant l'année avait été
attaquée par les contingents franco-américains. S'emparant de
Charleston, en Caroline, au printemps 1780, Clinton décida peu après
de
retourner à New York, chargeant Charles Cornwallis de
poursuivre l'offensive.
Le siège de Charleston.
Les insurgés, moins nombreux et moins bien
entraînés que les Britanniques, décidèrent alors d'instaurer une
stratégie de guérilla, harcelant l'ennemi. Cornwallis, quittant la
Caroline pour attaquer les rebelles de Virginie, s'installa à
Yorktown à l'automne 1781. Mais les
Américains, bénéficiant de l'appui des Français, armés de canons et
de mortiers, harcelèrent la position ennemie. Finalement, Cornwallis
fut contraint de déposer les armes, en octobre 1781.
La capitulation de Cornwallis à Yorktown,
Le Monde Illustré, N° 1284, 5 novembre 1881.
Clinton, qui n'avait pu
venir au secours de Cornwallis, car immobilisé par la marine
française, n'évacua la cité qu'à l'automne 1783, suite à la
signature du traité de Paris, qui mit fin à la guerre.
Mais qu'en est-il de ces fameux aprioris que nous avons évoqués tout à
l'heure ?
De prime abord, il convient de préciser que l'engagement français dans le
conflit fut bien plus important qu'on ne l'imagine. Dans un premier temps,
alors que la guerre d'indépendance venait de commencer, la France décida de
soutenir l'effort de guerre américain, envoyant
des armes, des munitions, des canons, des uniformes, de l’or et des
volontaires en Amérique. C'est ainsi que certains officiers étaient autorisés à prendre des « congés » afin
d’aller combattre sur le sol américain[7]
(l'on estime aujourd'hui qu'en 1776, près de 90 % de la puissance de feu
américaine était d'origine française[8]).
A cette date, l'objectif était de perturber la
contre-offensive britannique ; cependant,
l’idée d’une intervention ouverte de la France fut reportée, suite à la
prise de New York par les Britanniques, au printemps 1777.
Cependant, suite à la bataille de Saratoga, Louis XVI se laissa convaincre
du bien fondé d'une intervention sur le sol américain. Ainsi, une victoire
aux côtés des colons permettrait à la France de prendre sa revanche, suite à
la guerre de Sept Ans ; en outre, les Français étaient désormais en possession
d'une marine capable de rivaliser avec celle de l'Angleterre[9].
C'est ainsi que la France entra en guerre aux côtés des Provinces Unies d’Amérique, en février 1778.
Cependant,
contrairement à ce que l'on pourrait penser, la France ne se
contenta pas d'intervenir sur le sol américain. Ainsi,
le champ d’action du
conflit fut étendu à l'Europe, à l’Inde et aux Caraïbes. Ainsi, alors que
les colons peinaient à maintenir une armée régulière dans les treize
colonies (il y eut beaucoup de désertions pendant l'hiver
1777-1778, à cause des échecs subis par Washington), la France devait être capable de défendre quatre
théâtres d'opérations distincts.
Ainsi, les Français
prirent Minorque, en février 1782 (mais échouèrent devant Gibraltar)
; dans les Caraïbes, il prirent la Dominique (1778) et Grenade
(1779), mais ne parvinrent pas à débarquer en Jamaïque ; en Inde, la
France ne remporta pas de bataille décisive, mais parvint néanmoins
à consolider ses acquis.
Combat de la Grenade, 2 juillet
1779, par Jean François HUE, deuxième moitié du XVIII° siècle, musée
de la Marine, Paris.
Dans un même ordre
d'idées, la guerre d'indépendance américaine est parfois présentée
comme un nouveau combat entre David et Goliath, la
jeune nation américaine ayant réussi à vaincre par ses propres
moyens la puissance colossale de l'Empire britannique.
Cependant, les
impératifs ayant contraint la France à être présente sur quatre
théâtres d'opérations distincts (Amérique du nord, Caraïbes, Europe,
Inde), furent les mêmes pour l'Angleterre. George III, à la tête
d'une armée de 100 000 hommes (un chiffre dérisoire par rapport à
nos armées actuelles), fut donc contraint de ménager la chèvre et le
chou, ne pouvant envoyer qu'un contingent limité sur le sol
américain.
A
Londres, lorsque l'on apprit l'entrée en guerre de la France, les
Britanniques proposèrent de
mettre en place des négociations avec les colons. Puis, comme ces derniers
refusèrent, George III décida de mettre en place
une politique de terre brûlée, n'ayant vraisemblablement pas les moyens de
riposter efficacement contre l'offensive franco-américaine.
La bataille de King's Mountain, 1780.
Enfin, concernant
les velléités d'indépendance des treize colonies, il convient de
préciser que la guerre contre l'Angleterre ne fit pas le consensus.
Lors du premier congrès continental, réuni à Philadelphie en
septembre 1774, les députés
avaient des sentiments mitigés quant à l’attitude à prendre face à
l’Angleterre. Les plus modérés, mécontents des taxes imposées par
l'Angleterre, souhaitaient obtenir un allègement fiscal ; alors que
d'autres étaient favorables à l'indépendance (ou du moins à une plus
forte autonomie).
Ainsi, en 1776, l’on estime que 40 % de la population, les Patriots (« patriotes »),
étaient favorables au conflit ; 20 %, les Loyalists (« loyalistes »)
restaient fidèles à l’Angleterre ; le reste de la population préférant
adopter une confortable neutralité (à noter que certains changèrent de camps au cours de la
guerre.).
Ainsi, contrairement
à ce que l'on pourrait penser, tous les colons américains n'étaient
pas patriotes, les partisans de l'indépendance ne formant qu'une
minorité, hostile aux loyalistes et aux neutres. C'est ainsi que le
conflit prit parfois des allures de guerres civiles, entre partisans
et ennemis de l'Angleterre.
[1]
En 1756, le roi de Prusse Frédéric II signa un traité d'alliance avec l'Angleterre ; la même
année, la France répliqua en se rapprochant de l'Autriche, ce qui
déclencha la guerre de Sept Ans. Ce
conflit, opposant principalement la France à Angleterre ainsi que l’Autriche
à la Prusse, se déroula sur trois théâtres d’opérations distincts : l'Europe,
l'Amérique du nord et l'Asie. La guerre de Sept Ans s'acheva sur
une défaite française, Louis XV étant contraint de céder le Canada, la Louisiane,
et plusieurs comptoirs d'Inde à l'Angleterre. Pour en savoir plus sur ce
conflit,
cliquez ici.
[2]
Les taxes sur le sucre apparurent suite à la promulgation du
Sugar and Molasses Act, en 1733. La loi prévoyait une taxe sur
les produits sucriers importés dans les treize colonies (le sucre
français, produit dans les Caraïbes, était à l’époque très prisé par
les colons car peu onéreux.). Cette loi ne fut toutefois guère
appliquée.
[3]
Ou
« lois
Townshend » en français,
du nom de Charles
Townshend, chancelier de l’échiquier (cette charge était
similaire à celle d’un ministre des finances aujourd’hui).
[4]
Georges III répliqua en mars 1766, en promulguant le Declaratory Act (« loi
déclaratoire »), rappelant que le Parlement de Londres avait toute autorité pour
imposer des lois aux Treize colonies.
[5]
Un premier congrès s'était réuni en septembre 1774, à une époque où les
députés hésitaient entre l'indépendance et la fidélité envers l'Angleterre.
[6]
Washington était un planteur virginien, qui avait combattu les
Français lors de la guerre de Sept Ans (pour en savoir plus à ce
sujet, voir le a), 3, section VI, chapitre quatrième, les
Bourbons.). Il fut le premier président des Etats Unis.
[7]
C'est ainsi que Marie Joseph Paul Yves Roch Gilbert du Motier,
marquis de La Fayette, débarqua en Caroline du sud en juin 1777, qui
rencontra rapidement le général Washington.
[8]
A noter que le fusil Charleville modèle 1777, qui équipait
l'armée française et les patriotes, était plus performant que le Brown
Bess des Britanniques, étant plus précis et bénéficiant d'une
meilleur portée. Cependant, le fusil Charleville s'encrassait plus
rapidement.
[9]
La flotte française commença à être reconstituée sous le règne de
Louis XV ; et Louis XVI, qui était passionné de marine, décida de reprendre à
son compte les projets de son prédécesseur