Faux ! Les voyages de Gulliver, roman du
Britannique Jonathan Swift, connut un important succès suite à sa
publication. Dans les siècles qui
suivirent, il bénéficia de suites, puis fut adapté sur différents supports :
théâtre, films, séries télévisées, dessins animés, livres pour enfants,
bandes dessinées, etc.
Le récit que nous connaissons tous est assez simple : Lemuel Gulliver,
le héros du récit, se trouve sur un navire qui fait naufrage. Ce dernier
accoste sur une première île, dont les habitants sont des être minuscules
nommés les Liliputiens ; puis, s'étant échappé, Gulliver débarque sur
une seconde île, peuplée de géants.
Gulliver, livre pour enfants adapté de l'oeuvre de Jonathan
Swift, Albin Michel Jeunesse, 2005.
En réalité, le roman est bien plus complexe qu'on ne pourrait le croire, ce
dernier ayant été largement édulcoré au fil des siècles (imitant en cela les
contes de Charles Perrault[1]
ou des frères Grimm[2],
qui connurent de nombreuses réécritures, notamment au XX° siècle).
Swift, né en Irlande en novembre 1667, partit vivre en Angleterre auprès
d'un parent éloigné, afin de suivre des études de théologie.
Portrait de Jonathan Swift.
Suite à l'obtention de son doctorat en 1702, le jeune homme se fit
rapidement connaître pour ses œuvres satiriques, telles que Le conte du
tonneau (présentant les aventures de trois frères, Pierre (symbolisant
l'Eglise catholique), Jack (les calvinistes) et Martin (les luthériens),
incapables de s'entendre) et La bataille des livres (revenant sur une
controverse née à l'Académie française, puis passée outre-Manche, opposant les Modernes,
vantant les auteurs du XVII° siècle, et les Classiques, considérant
les auteurs de l'Antiquité comme indépassables), publiées en 1704.
S'intéressant à la politique, Swift prit position en faveur des tories[3],
ces derniers menant des pourparlers avec la France, afin de mettre un terme
à la guerre de succession d'Espagne[4].
Cependant, à la mort de la reine Anne, en 1714, les whigs,
adversaires des tories, revinrent au pouvoir, et Swift dût rentrer en
Irlande.
Ce dernier, contraint à un semi-exil, continua à publier ses pamphlets,
défendant la cause irlandaise. Pendant ces années, il travailla à la
rédaction d'un roman satirique, Voyage du capitaine Lemuel Gulliver en
divers pays éloignés, plus connu sous le nom : Les voyages de
Gulliver.
La première partie du roman, le voyage à Liliput, est une critique de
la guerre et de la diplomatie de l'époque, considérées comme absurdes par
l'auteur. En effet, les Liliputiens sont en conflit permanent avec leurs
voisins, qui résident sur l'île voisine de Blefuscu.
Gulliver attaché par les Lilliputiens.
Gulliver étant soucieux de savoir pourquoi les deux peuples se font la
guerre, il interroge plusieurs Liliputiens, qui sont incapables de lui
répondre. Cependant, il finit par apprendre que les deux peuples s'opposent
sur la manière doivent être cassés les œufs à la coque : par le gros bout
(doctrine défendue par les Gros-boutiens) ou par le petit bout (doctrine
défendue par les Petit-boutiens).
Contraint de fuir après avoir désobéi à un ordre de l'Empereur des
Liliputiens, Gulliver prend le large et dérive sur l'océan, avant d'être
repêché par une navire anglais. Deux mois plus tard, le héros reprend la mer
et débarque sur une nouvelle île, Brobdingnag, sur laquelle vivent un
peuple de géants. Après plusieurs péripéties, Gulliver fait son entrée à la
Cour, où il devient un objet de curiosité en raison de sa petite taille.
Gulliver à la Cour de Brobdingnag.
La reine de Brobdingnag, souhaitant en savoir plus sur l'Angleterre,
interroge Gulliver à ce sujet. C'est l'occasion pour l'auteur de se livrer à
une critique du système politique anglais, dénonçant la corruption de la
noblesse, les lenteurs de la justice, la mauvaise gestion du déficit budgétaire, les
guerres perpétuelles, les mauvaises conditions de vie des pauvres, etc.
Après avoir été vertement sermonné par la reine, Gulliver est emporté par un
aigle alors qu'il se promenait près d'une falaise. Tombant à l'eau, il est
sauvé par des marins, qui le ramènent en Angleterre.
Deux ans après sont retour chez lui, Gulliver reprend la mer, se dirigeant
vers l'Asie. Ce dernier, enlevé par des pirates, est abandonné sur un îlot
rocheux, où il est sauvé par l'arrivée de l'île volante de Laputa.
Gulliver secouru par l'île volante de Laputa.
Cette dernière est consacrée aux arts de la musique et des
mathématiques, mais ses habitants, plongés dans la méditation, sont
incapables de mettre leur connaissances en pratique. Les femmes de Laputa,
quant à elles, étant écartées des écoles et délaissées par leurs maris, sont
décrites comme infidèles par l'auteur.
Gulliver, suite à son arrivée, est présenté au roi de Laputa, qui lui
explique qu'il récolte les impôts en survolant les cités de l'île de
Balnibarbi. Toutefois, les habitants de Lindalino (anagramme de Dublin),
refusent de payer la taxe. Le roi de Laputa ordonnant de bombarder la ville,
les assiégés utilisent quatre aimants pour repousser au loin l'île volante
(symbolisant les velléités d'autonomie de l'Irlande vis-à-vis de
l'Angleterre).
Gulliver, pris d'ennui, décide de quitter Laputa lors du survol de Lagado,
capitale du royaume de Balnibarbi. A cette occasion, il se rend compte que
le pays est dans un état de délabrement extrême, et décide alors de se
rendre à l'Académie des systèmes, regroupant la plus grands cerveaux du
royaume.
Gulliver rencontre ainsi de nombreux savants, chacun exposant ses
différentes théories : abolir les mots afin de limiter l'usure des poumons ;
apprendre aux aveugles à différencier les couleurs de peinture par l'odorat
; découvrir les complots par l'étude des excréments des suspects ; labourer
les champs grâce à une charrue à voile (le tout étant une critique de la
Royal Society, organisation fondée en 1667 et regroupant les plus grands
scientifiques de Grande Bretagne).
Quittant l'Académie, Gulliver se rend ensuite sur l'île de Gloubbdoubdrib,
en attendant l'arrivée d'un navire pouvant le transporter jusqu'au Japon.
Pendant cette escale, son hôte, un magicien, lui permet de discuter avec les
fantômes du passé : Gulliver s'entretient donc avec Homère, flatté que les
hommes s'intéressent encore à ses œuvres, avouant toutefois que ces
dernières étaient parsemées de sottises, et que ses textes perdaient leur
harmonie rythmique une fois traduits en anglais (Swift revenant ainsi sur la
querelle des Classiques et des Modernes, que nous avons vu plus tôt).
Par la suite, Gulliver se accoste sur l'île de Luggnagg, peuplée
d'immortels nommés les Struldbrugs. Ces derniers proposent au héros
de faire partie de leur communauté ; cependant, comme Gulliver se rend
compte que les Struldbrugs ne sont pas épargnés par les affres de la
vieillesse, il décide de quitter l'île et se rend au Japon, prenant ensuite
un navire pour l'Angleterre.
Après avoir passé cinq mois chez lui, Gulliver prend la mer une nouvelle
fois, en direction des Antilles. Toutefois, son équipage se mutine, et le
héros est abandonné sur une petite île. Cette dernière est peuplée de
chevaux intelligents, les Houyhnhnms, régnant sur une tribu d'humain
primitifs, les Yahous.
Gulliver s'adressant aux Houyhnhnms, par Sawrey GILPIN, XVIII°
siècle.
Gulliver se rend rapidement compte que les Houyhnhnms sont des êtres purs,
étrangers à toute forme de vices ; alors qu'il est lui même considéré comme
proche des Yahous par les chevaux, en raison de ses idées et de son
éducation (Swift utilisant cette métaphore pour critiquer les mœurs de ses
semblables).
Les Houyhnhnms, ne connaissant ni la
guerre, ni la corruption, ni le luxe, ni le mensonge, décident
finalement de bannir Gulliver, alors que ce dernier souhaitait faire
partie du peuple des chevaux. Quittant l'île, le héros est
finalement recueilli malgré lui par un navire portugais, ce qui lui
permet de rentrer en Angleterre.
Les voyages de Gulliver, à la fois
roman satirique, conte philosophique, pamphlet et ouvrage de
science-fiction, reste aujourd'hui une œuvre majeure de la
littérature anglaise. Un statut bien éloigné de son image de
livre pour enfants que l'on pourrait avoir de prime abord.
Une première suite, Mémoires de
la Cour de Liliput, revenant sur le séjour de Gulliver chez les
Liliputiens, fut publiée dès 1727 par un auteur anonyme ; Pierre
Desfontaines, qui avait traduit l'œuvre originale en français,
publia à son tour une suite en 1
730 :
Le
Nouveau Gulliver ou Voyages de Jean Gulliver, fils du capitaine
Lemuel Gulliver.
A noter
que
Voltaire fut vraisemblablement influencé par l'œuvre de Swift,
publiant plusieurs romans satiriques dont le héros entreprend un
voyage extraordinaire : Zadig ou la destinée (1747),
Micromégas (1752), et Candide (1759).
Swift,
quant à lui, publia un nouveau pamphlet satirique en 1729, intitulé
Humble proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande
d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les
rendre utiles au public.
Dans cette
perle d'humour noir, l'auteur fustige la noblesse anglaise, qui ne
se soucie guère de la pauvreté, proposant dès lors de réduire la
pauvreté en achetant les nourrissons issus des familles démunies
afin de s'en servir comme source d'alimentation.
Souffrant
de surdité et perdant peu à peu ses esprits, Swift mourut en octobre
1745.
[1]
Charles Perrault, qui vécut au XVII° siècle, contribua à coucher par écrit les
contes de fées issus de la tradition orale française. Ce dernier donna ainsi
naissance à de nombreux récits imaginaires, tels que Peau d'âne, La
belle au bois dormant, Le petit chaperon rouge, Barbe bleue,
Le chat botté, Cendrillon et Le petit poucet.
[2]
Les frères Grimm, Jacob et Wilhelm,
naquirent en Allemagne en 1785 et 1786.
Outre leurs travaux sur la grammaire allemande et l'adaptation des
vieux mythes scandinaves, les deux frères sont principalement connus
pour leurs contes de fées, tels que Blanche-Neige, Hansel
et Gretel, Raiponce, Le jouer de flûte de Hamelin,
Le vaillant petit tailleur, etc.
[3]
Les tories (ancêtres de l'actuel
Parti conservateur) étaient favorables à un pouvoir royal
fort ; contrairement à leurs adversaires, les whigs,
qui au contraire s'opposaient à l'absolutisme royal et
souhaitaient accorder plus de puissance au Parlement.
[4] La guerre de
succession d'Espagne opposa principalement la France à l'Angleterre,
les Britanniques n'acceptant pas que Philippe V, nouveau roi
d'Espagne et petit-fils de Louis XIV, puisse un jour hériter
du royaume de France. Le conflit, qui débuta en 1701, tourna
rapidement à l'avantage de l'Angleterre. Cependant, après plus d'une
décennie de conflits, les forces françaises parvinrent à redresser
la situation in extremis, permettant à Louis XIV de signer un accord
de paix favorable à la France. Pour en savoir plus sur la guerre de
succession d'Espagne,
cliquez ici.