S'ils furent considérés à leur époque comme des criminels notoires, les
pirates des Caraïbes passèrent rapidement à la postérité. En effet, ces
derniers furent considérés, dans l'imaginaire populaire, comme des
aventuriers au long cours, vivant en marge de la société, menant une
existence exaltante mais dangereuse.
Cette légende dorée entourant l'univers de la piraterie rejoint
celle des cow-boys,
qui furent présentés au fil du temps comme des héros, des justiciers, ou des
pionniers de la conquête de l'Ouest, alors qu'ils ne furent que préposés à
la transhumance des troupeaux de vaches.
Cependant, les pirates n'étaient pas les seuls à écumer les mers des
Caraïbes. Ainsi, ces derniers côtoyaient d'autres marins, évoluant aux
frontières de la légalité. Parmi ceux-ci l'on trouvait les corsaires,
les flibustiers et les boucaniers.
Ainsi, les pirates exerçaient-ils le même
« métier » que leurs « confrères » ? Dans le cas contraire, quelles
étaient les spécificités de chacun de ces marins hors-la-loi ?
Représentation imaginaire d'un navire pirate.
Dans un premier temps, il convient de préciser que la piraterie n'est
pas une invention moderne, mais date de l'Antiquité. En Méditerranée,
les pirates perturbèrent les relations commerciales entre les
différentes provinces de la république romaine, avant d'être éliminés en
67 avant Jésus Christ par le général Pompée.
Plus tard, du VIII° au X° siècle, les Vikings dévastèrent les
côtes européennes, parvenant à progresser jusqu'en Sicile, menaçant
l'Empire byzantin.
Epées viking, X°-XI° siècles, musée des Invalides, Paris.
A l'époque moderne, on trouvait des pirates dans différentes régions du
globe. Toutefois, si ces dernier étaient plutôt concentrés dans les
Antilles, d'autres avaient établi leur champ d'action dans l'océan
Indien, en Méditerranée, dans la mer Baltique, etc.
Au début du XVIII° siècle, les Caraïbes étaient situées à un carrefour
des nations. Ainsi, l'on retrouvait la France, installée à
Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti) et dans les îles à sucre
(Grenade, Guadeloupe, Martinique, Montserrat, Sainte Lucie, etc.) ;
l'Espagne, au Mexique, en Amérique centrale, et à Cuba ; l'Angleterre, établie dans les
treize colonies,
à la Jamaïque et dans plusieurs petites îles (îles Caïmans, La Barbade,
etc.) ; et les Provinces-Unies (Nevis, Saint Eustache, Saint Martin,
Saint Kitts, etc.).
Carte des Caraïbes.
Dans les Caraïbes, l'âge d'or de la piraterie débuta en 1714, à
la fin de la guerre de succession d'Espagne.
A l'issue de ce conflit, de nombreux marins furent démobilisés, se
retrouvant contraints à une inactivité forcée. Ainsi, beaucoup d'entre
eux décidèrent de se lancer dans la piraterie.
Les pirates, dont nous avons parlé jusqu'à présent, étaient donc des
combattants de nationalités différentes, qui s'attaquaient aux riches
navires marchands. Contrairement à une idée répandue, les pirates
n'arboraient pas le pavillon noir en permanence
(car ils auraient été la cible des navires ennemis). Ces derniers,
privilégiant des navires légers et rapides (mais plus fragiles et
comportant moins de canons), s'approchaient généralement de leur cible
en feignant d'être des marchands, puis hissaient leurs couleurs avant de
lancer une attaque éclair contre leur cible. Les pirates, risquant la
mort en cas de capture (ou du moins une lourde peine de prison, ce qui
revenait souvent au même), étaient donc des combattants redoutables.
Parmi les pirates les plus connus, l'on peut citer les Britanniques
William Kidd (surnommé Capitaine Kidd), Edward Teach
(plus connu sous le nom de Barbe Noire), Jack Rackham,
ainsi que Mary Read et Anne Bonny (qui se travestirent en
hommes afin de s'enrôler dans la piraterie). Pourtant, le pirate le plus
célèbre de cette époque fut sans doute le Gallois Bartholomew Roberts,
qui en l'espace de quelques années parvint à s'emparer de presque 200
navires, attaquant Saint Kitts (1720) et la Martinique (1721), ainsi que
plusieurs colonies sur la côte africaine.
Pavillons d'Edward Teach (à gauche)
et de Bartholomew Roberts (à droite).
Les corsaires (de l'italien corsaro, lui même dérivé du latin
cursus, ou
« course »), quant à eux, s'ils conservaient une
grande liberté, travaillaient sous l'autorité de leur gouvernement, et
uniquement en temps de guerre. Ces derniers bénéficiaient d'une
lettre de marque (appelée aussi lettre de course), délivrée
par le roi, ce qui leur permettait, en cas de capture, d'être traités
selon les lois de la guerre (privilège dont ne bénéficiaient pas les
pirates).
Robert Surcouf et son équipage à l'assaut d'un navire anglais,
vers 1799.
A noter que le
terme
« corsario » ne fit son apparition qu'à compter du XV° siècle,
ainsi, pendant le Moyen-âge, il n'y eut pas de distinguo entre
corsaires et pirates. Aujourd'hui encore, cette confusion reste
fréquente.
Les corsaires, à
l'instar des pirates, n'utilisaient pas des navires trop lourds,
préférant utiliser des embarcations rapides. Ainsi, ces derniers
attaquaient en priorité les bateaux marchands plutôt que les navires
de guerre. La guerre de course était très encadrée : ainsi,
les corsaires pouvaient s'approcher par ruse de l'ennemi, mais
devaient malgré tout arborer leur pavillon avant l'assaut ; ils
devaient respecter la vie des prisonniers ; le butin ne concernait
que le navire et la cargaison (pas les effets personnels des marins
capturés) ; enfin, la couronne prélevait 10 à 20 % des sommes
récoltées, le reste étant distribué à l'équipage.
Pendant presque 200
ans, du XVII° au XVIII° siècle, la France et l'Angleterre
s'affrontèrent par corsaires interposés. Parmi les plus célèbres,
l'on peut citer les Français Jean Bart, qui s'empara d'un
convoi composé de 110 navires hollandais (1694) ; René
Duguay-Trouin, qui pilla Rio de Janeiro en 1711, ramenant en
France plus d'une tonne d'or ; et Robert Surcouf, qui parvint
à désorganiser le commerce maritime britannique dans la Manche, de
1795 à 1809.
L'expédition de René Duguay-Trouin contre Rio de Janeiro, début du
XVIII° siècle.
A noter que la
guerre de course ne fut déclarée interdite par les grandes
puissances qu'en 1856.
Les flibustiers,
moins connus que les pirates ou les corsaires, étaient des
aventuriers qui s'attaquaient aux possessions espagnoles en
Amérique. A noter que ces derniers opérèrent du XVI° au XVII°
siècle, à une époque où la colonisation européenne dans le
Nouveau-Monde était encore balbutiante ; ainsi, le terme de
« flibuste » tomba en désuétude au début du XVIII° siècle.
Les flibustiers (du
néerlandais vrijbuiter, ce qui signifie
« qui fait du butin librement »), principalement installés sur l'île
de la Tortue, au large de Cuba, bénéficiaient d'un statut
particulier, à mi-chemin entre la course et la piraterie. Certains
de ces marins travaillaient avec le soutien des gouverneurs locaux,
mais ces derniers outrepassaient parfois leurs fonctions.
Parmi les
flibustiers les plus célèbres, l'on trouve le Français Jean
François Nau, dit l'Olonnais (il était originaire des
Sables-d'Olonne), qui pilla les villes de Maracaïbo et de Gibraltar
en 1666 ; et le Britannique Henry Morgan, qui captura Panama
(1671). L'on peut citer aussi l'expédition du lieutenant de vaisseau
Jean Bernard de Pointis, qui pilla Carthagène grâce à l'aide
d'un millier de flibustiers (1697), récoltant plus d'une tonne d'or
au profit de Louis XIV.
Expédition de l'Olonnais à Panama, XVII° siècle.
Au cours de la
seconde moitié du XVII° siècle, la situation géopolitique évolua
considérablement, faisant de la France et de l'Angleterre les
nouvelles puissances européennes, au détriment d'une Espagne
appauvrie. A compter de cette date, les flibustiers cessèrent donc
de
« s'acharner » collectivement sur les possessions espagnoles,
préférant suivre l'évolution des rivalités entre les puissances
européennes. Ainsi, certains boucaniers, restés fidèles à leur roi,
s'engagèrent comme corsaires ; les autres basculèrent dans la
piraterie.
Enfin, les
boucaniers (dérivé de boucan, mot hérité de la langue tupi,
désignant un gril destiné à fumer la viande ou le poisson) s'étaient
installés à Saint Domingue et sur l'île de la Tortue à compter de
1630. Mélange hétéroclite de colons, de déserteurs, d'esclaves en
fuite ou de naufragés, les boucaniers vivaient de la chasse et de la
contrebande.
Il est aujourd'hui
difficile d'établir un distinguo entre les boucaniers et leurs
« confrères » : en effet, ces derniers se livrèrent
parfois à des actions de piraterie ; au contraire, certains
flibustiers, préférant rester sur la terre ferme, rejoignirent les
boucaniers. C'est ainsi qu'en anglais, l'on à coutume d'utiliser le
terme générique de buccaneer.
Malgré tout, les
boucaniers de Saint Domingue furent reconnus par la France en 1665,
ce qui contribua à leur sédentarisation, favorisant aussi la
colonisation française sur l'île. Côté espagnol, par contre, l'île
de la Tortue fut décimée de son gibier à la fin du XVII° siècle, ce
qui contraignit les boucaniers à quitter les lieux.
L'âge d'or de la piraterie ne dura qu'une décennie. Ainsi, dès le début
des années 1720, les principales puissances européennes établirent une
surveillance accrue sur ces zones de non-droit. En l'espace de quelques
années, la piraterie disparut pratiquement des Caraïbes, mais aussi dans
l'océan Indien. A noter qu'elle connut toutefois un dernier sursaut dans
les Antilles au cours des années 1800, en raison des troubles engendrés
par la Révolution française et les guerres napoléoniennes.
Du côté de la Méditerranée, la piraterie ne prit fin qu'à compter des
années 1830, lorsque les puissances occidentales commencèrent à établir
des colonies en Afrique, profitant de l'affaiblissement de l'Empire
ottoman.
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