Aujourd'hui, il existe un grand nombre d'idées
reçues sur les Vikings, ces envahisseurs venus des pays scandinaves.
Les représentations iconographiques s'étant succédées depuis le XIX° siècle
les dépeignent comme grands, blonds, équipés d'une hache à double tranchant,
naviguant sur les mers dans leurs drakkars, et portant un terrifiant casque
à cornes.
Mais qu'en est-il en vraiment ? Ces aprioris sont-ils véridiques ? Ou bien
l'archéologie nous prouve-t-elle que la représentation que l'on se fait des
Vikings est bien éloignée de la réalité ?
Représentation traditionnelle des
Vikings, arborant barbe, casque à cornes, et hache à double tranchant.
Les Vikings firent leur apparition en
Europe au cours du IX° siècle après Jésus-Christ. A l'origine, le terme
vikingr désignait un commerçant de longue date, qui pouvait être amené à se
transformer en pillard si la situation l’exigeait. Mais au sens large,
le terme
« viking » désigne l'ensemble des populations scandinaves
ayant participé à ces opérations de piraterie.
A noter que ces
dernières furent baptisées différemment en fonction des
pays traversés : Normands en France, Danois en Grande-Bretagne ; Rus
ou Varègues dans l'Empire byzantin et le monde musulman.
Aujourd'hui, l'on
manque de sources permettant d'expliquer la brusque intensité des
raids opérés par les Vikings, qui organisèrent des opérations de
piraterie dans toute l'Europe, parvenant même à s'implanter dans
certaines régions.
Les vikings, enluminure issue de l'ouvrage Vie de saint Aubin d'Angers,
vers 1100.
Ainsi, trois
théories tentent d'expliquer la multiplication des raids vikings à
compter du IX° siècle : une hausse démographique, due à une
croissance de la production agricole, qui aurait contraint les
Scandinaves à trouver de meilleures terres dans le sud ;
l'affaiblissement de l'Empire carolingien[1],
dont les Vikings profitèrent pour multiplier leurs raids ; et enfin
un rejet du christianisme imposé par Charlemagne au cours de son
règne, qui combattit les populations païennes de Germanie pendant
près de trente ans[2].
Les Saxons se convertissent au christianisme, gravure issue de l'ouvrage Histoire de France, par
François GUIZOT, France, 1875.
C'est ainsi que les
raids vikings frappèrent l'Europe entière, de l'Angleterre jusqu'à
l'Empire byzantin, en passant par la Russie, la France, l'Espagne,
l'Afrique du nord et l'Italie.
Cependant, comme les
Vikings ne formaient pas un peuple uni (
la
Scandinavie était morcelée en plusieurs dizaines de tribus
autonomes), l'ampleur de ces raids fut différente en fonction du
lieu et de l'époque. Ainsi, si la côte nord-africaine, l'Espagne et
l'Aquitaine furent principalement touchées par des opérations de
piraterie ponctuelles, les Vikings s'implantèrent durablement dans
plusieurs pays d'Europe. Au IX° siècle, sur la côte est de
l'Angleterre : en Normandie, suite au
traité de Saint-Clair-sur-Epte, signé en 911[3]
(d'où le nom donné à cette région) ; au X° siècle, en Russie, en
Islande et au Groënland ; au XI° siècle, dans le sud de l'Italie et
en Sicile.
Les invasions vikings (VIII° à X° siècle).
Cependant, du fait
du caractère brutal des invasions scandinaves, l'historiographie
chrétienne nous a laissé une image très négative des Vikings
(d'autant que ces derniers attaquaient en priorité les églises et
les monastères, qui à cette époque étaient extrêmement riches).
Ainsi, l'on a
tendance à se représenter ces envahisseurs venus du nord comme des
sauvages, des barbares païens sans éducation ni cervelle. Mais qu'en
est-il en réalité ?
Les Normands attaquent Paris, gravure
issue de l'ouvrage Histoire de France, par François GUIZOT,
France, 1875.
De prime abord, il convient de préciser
que les navires des Vikings, appelés langskip ou snekka
(et non
drakkar, terme employé au XIX° siècle qui
signifie
« dragon » en suédois),
constituent la preuve d'un grand savoir faire dans le domaine naval.
En effet, ces embarcations au faible tirant d'eau étaient
particulièrement souples, pouvant atteindre une grande vitesse. Par
ailleurs, l'on a retrouvé plusieurs navires dont la coque avait été
finement ciselée, démontrant l'habileté des Vikings pour la
sculpture sur bois.
Le navire d'Oseberg, IX° siècle.
D'un point de vue commercial, force est de constater que l'activité
économique des peuples de Scandinavie fut particulièrement
importante. Ces derniers, se spécialisant dans les produits de luxe
issus du grand nord (ambre, fourrure et ivoire de morse),
entretinrent un négoce fructueux avec l'Empire byzantin, qui
contrôlait la route de la soie, mais aussi avec le monde musulman et
les différents royaumes occidentaux.
En France, l'administration de la Normandie entraîna une nette
croissance économique, et les Normands, autrefois pillards,
parvinrent à faire de cette province l'une des plus peuplées et des
plus riches du royaume. Cet héritage se traduit par un apport
linguistique encore présent dans la langue française aujourd'hui
(souvent en rapport avec le domaine maritime) : carlingue, crabe,
crique, flâner, girouette, homard, varech, vague, etc.
Cependant, l'idée la plus répandue concernant les envahisseurs venus
du nord porte sur le célèbre casque à cornes, image largement
popularisée au cours du XX° siècle.
Alors que pendant tout le Moyen Age, les Vikings furent perçus comme
des suppôts de Satan, en raison de leur violence à l'encontre des
ecclésiastiques, leur image s'améliora à l'époque des Lumières, date
à laquelle plusieurs écrivains leur accordèrent d'avoir joué un rôle
fondateur dans plusieurs régions d'Europe (Scandinavie, Angleterre,
Normandie, etc.). Puis, au XIX° siècle, à une époque où le Moyen Age
suscitait un regain d'intérêt, les auteurs Romantiques
présentèrent les Vikings comme des modèles de chevalerie, braves et
aimant l'aventure.
Epées viking, X°-XI° siècles, musée des Invalides, Paris.
Cependant, si les représentations du casque à cornes n'apparurent
qu'à la fin du XIX° siècle, les sources diffèrent quant à
« l'inventeur » de cette image d'Epinal.
Ainsi, certains historiens évoquent une représentation suédoise
erronée, diffusée à compter du XIX° siècle ; d'autres mettent en
avant l'influence de l'opéra Der Ring des Nibelungen (« l'anneau
du Nibelung »), achevé par l'Allemand
Richard Wagner
en 1876. Cette œuvre colossale, durant entre 13 et 17 heures selon
les représentations, était inspirée d'une légende de la mythologie
scandinave[4].
Y étaient donc présentés des Vikings, principaux acteurs de cet
opéra, arborant le fameux casque à cornes. Cependant, cette œuvre
ayant eu un grand succès, étant jouée dans toute l'Europe comme aux
Etats-Unis, elle contribua involontairement à la diffusion de cette
image d'Epinal.
Costume porté pour l'opéra Der Ring des Nibelungen,
fin du XIX° siècle.
C'est ainsi que se forma peu à
peu la représentation du guerrier viking telle que l'on se l'imagine
aujourd'hui, grâce à de nombreux médias (théâtre, cinéma,
télévision, presse, bande-dessinée, jeux-vidéos, etc.).
A gauche, le chef normand Olaf Grossebaf, tel que
représenté dans l'album Astérix et les Normands
(publié en 1966) ; à droite, le Viking Hägar Dünor (Hägar
the Terrible en anglais), créé en 1973.
Cependant, si l'on a bien retrouvé des casques à cornes lors de
fouilles archéologiques, tels que les
casques de Vekso
(trouvés en 1942 sur l'île de Seeland, à l'est du Danemark), ou le
casque Waterloo
(retrouvé en 1868 dans la Tamise, à Londres), il convient de
préciser que ces derniers ne sont pas Vikings mais
Celtes,
datant de 1000 à 900 avant Jésus-Christ pour le premier, et de 150 à
50 pour le second.
En haut, casques de Vekso, vers 1000 avant Jésus-Christ ; en bas,
casque Waterloo, entre 150 et 50 avant Jésus-Christ.
Cependant, alors que ces deux casques étaient vraisemblablement des
casques d'apparat, ils servirent de base à de nombreuses
représentations, dépeignant Gaulois comme Vikings arborant des
casques à cornes.
Mais en réalité, force est de constater que l'on ne retrouve l'image
du casque à cornes que dans une minorité de sources. Ainsi, il est
absent des gravures
sur bois, des
eddas
(c'est-à-dire les épopées scandinaves), des parchemins
occidentaux, etc.
E
n
réalité, les Vikings les plus fortunés portaient des casques
« à lunettes », qui pouvaient être protégés par une cote de
maille, ou alors des casques « à nasal », protégeant le nez. Par
ailleurs, comme nous l'avons vu précédemment, les Scandinaves ne
formaient pas une nation unie, il n'existait pas d'armée ou de
service militaire, ainsi, le modèle des casques varia en fonction du
lieu et de l'époque (ainsi, les plus modestes arboraient de simples
casques de cuir).
A gauche, casque à lunettes recouvert d'une côte de mailles ; à
droite, casque nasal.
Cependant, il existe malgré tout des représentations d'époque
montrant des personnages avec des cornes sur la tête. Il convient
cependant de préciser qu'il s'agit d'images vraisemblablement
associées à des rituel chamaniques, où les cornes ont une portée
religieuse plus que militaire.
L'on peut citer par exemple les berserkers (qui provient du
mot berserk, ou
« peau d'ours »), des guerriers animés par un
esprit animal, combattant vêtus d'une simple peau d'ours. Ces
derniers, à l'instar des svinfylkingars (les
guerriers-sangliers) et des ulfarks (les guerriers-loups),
avaient aussi une fonction de prêtres
[1]
A la mort de Charlemagne, en 814, son royaume fut confié à Louis
le Pieux (tous ses autres fils étaient décédés quelques années plus
tôt). Cependant, le nouveau souverain n'avait pas la poigne de son père, et fit
rapidement face à l'hostilité de ses propres enfants, qui se partagèrent le
royaume en 843, lors du traité de Verdun. Lothaire,
l'aîné, reçut la dignité impériale et la Francie médiane (une
territoire reliant les Pays-Bas au nord de l'Italie) ; Louis le Germanique
reçut la Francie orientale (c'est-à-dire la Germanie)
; et le cadet, Charles, reçut la Francie occidentale (le futur
royaume de France, reliant la Somme aux Pyrénées). Cependant, les trois frères
ne s'entendirent pas, et c'est à cette époque troublée que débutèrent les raids
Vikings. Pour en savoir plus à ce sujet, cliquez ici.
[2]La guerre
contre la Saxe, région qui abritait des populations restées
païennes, dura près de trente années, de 772 à 804. Au final,
Charlemagne parvint à imposer son autorité, obtenant la conversion
des Saxons, mais le conflit fut particulièrement sanglant.
Pour en savoir plus à ce sujet,
cliquez ici.
[3]Pour en savoir plus sur les
dernières invasions scandinaves en France, cliquez
ici.
[4]Vous pourrez
retrouver un résumé de la
légende des Nibelungen en
cliquant ici.
A
noter qu'il existe deux versions de ce mythe, l'une
scandinave, datée
du VIII° siècle ; l'autre germanique, datée
du XIII° siècle et s'inspirant du précédent récit. Par ailleurs,
l'opéra de Wagner, prenant parfois des libertés avec le récit, à
contribué
à créer une troisième version de la légende.