Cependant, quelle est l'histoire d'Oncle Sam ? S'imposa-t-il comme le
symbole des Etats-Unis dès sa création ? Ou bien son évolution fut-elle plus
lente et plus contrastée qu'on ne pourrait le croire ?
L'Oncle Sam fut mentionné pour la
première fois dans la chanson Yankee Doodle, composée au milieu du
XVIII° siècle, pendant la guerre de Sept Ans.
A cette date, l'objectif des Britanniques était de se moquer des colons
américains dépenaillés, surnommés les Yanks, mot qui se transforma en
Yankees (ce terme, à l'origine incertaine, désignait les habitants de
la colonie de Nouvelle-Angleterre). Le terme
doodle, quant à
lui, dérivait de l'allemand dödel, ce qui signifie
« idiot » (autant dire que la chanson n'était guère flatteuse
pour les colons américains).
Voici donc l'un des couplets de cette
célèbre chanson, qui n'apparait pas dans certaines versions (en effet,
Yankee Doodle évolua au fil des décennies, devenant un chant patriotique
pendant la guerre d'indépendance américaine) :
Old Uncle Sam
come there to change
Some pancakes
and onions
For m'lasses
cakes, to carry home
To give his
wife and young ones. |
Le vieil Oncle
Sam vient ici pour échanger
Des crêpes et des
oignons
Pour des gâteaux
à la mélasse à porter à la maison
A donner à sa
femme et ses enfants |
A noter que l'Oncle Sam de la chanson
peut difficilement faire référence au personnage que nous connaissons tous,
dans la mesure où les initiales de ce dernier vont implicitement référence
aux Etats-Unis (U. S. comme pour United States).
Ainsi, l'on ne sait pas aujourd'hui si
ce couplet mentionnait un individu réel nommé Sam, ou bien s'il s'agit d'une
métaphore des Treize colonies.
Yankee Doodle, d'un chant
moqueur (à gauche, représentation d'un Yankee, rustre et
dépenaillé) à un hymne patriotique (à droite).
Cependant, l'histoire la mieux connue
concernant l'apparition de l'Oncle Sam remonte au début du XIX° siècle, dans
le contexte de la guerre anglo-américaine de 1812.
Le bombardement de Fort McHenry, 1814, épisode de la guerre
anglo-américaine.
A cette date, un vendeur de viande
nommé Samuel Wilson, résidant à Troy, dans l'Etat de New-York, avait
conclu un contrat avec l'armée américaine. Ce dernier fournissait alors aux
soldats leurs rations alimentaires, emballées dans des tonneaux marqués du
sigle U. S. (c'est-à-dire United States, comme nous l'avons vu plus
tôt). Mais comme les ouvriers ne connaissaient pas la signification de ces
initiales, ils crurent que ces signifiaient Uncle Sam (ce qui était
déjà le surnom de Samuel Wilson, qui avait de nombreux neveux et nièces).
Par la suite, la plaisanterie fut transmise aux soldats, puis à toute la
ville de Troy.
Portrait de Samuel Wilson.
Cependant, cette histoire semble être
plus légendaire que réelle, en raison de sa tardive apparition. En effet,
cette dernière ne fit son apparition qu'après la mort de Sam Wilson, décédé
en 1854 (à noter que sa rubrique mortuaire ne fit état d'aucun rapprochement
avec l'Oncle Sam).
Néanmoins, c'est à compter de septembre
1813 que ce personnage fut mentionné dans la presse pour la première fois,
dans un article du Troy Post, journal hostile à la guerre contre
l'Angleterre. A noter que les rédacteurs expliquaient que l'Oncle Sam était
la personnification des Etats-Unis, bien que moins célèbre que John Bull
(qui était la personnification de l'Angleterre), et que ses origines
provenait des initiales U. S. (que l'on retrouvait sur les chariots de
l'armée américaine).
Plus tard, en octobre de la même
années, le Lansingburg Gazette publia un article revenant sur les
désertions dans le camp américain : Oncle Sam, la désormais populaire
explication des Etats-Unis, ne paie pas très bien...
Puis, en 1816, à l'issue de la guerre
anglo-américaine, un écrivain du Connecticut publia un pamphlet intitulé
Les aventures de l'Oncle Sam à la recherche de son honneur perdu,
prenant le pseudonyme de Frederick Augustus Fidfaddy. L'auteur,
résolument hostile au conflit contre l'Angleterre, présentait un Oncle Sam
un peu idiot et arrogant, sûr de sa puissance militaire.
Les aventures de l'Oncle Sam à la
recherche de son honneur perdu, 1816.
Cependant, ce n'est qu'en 1832 que ce
personnage fut représenté pour la première fois dans une caricature,
intitulée Oncle Sam en danger (dans laquelle le personnage, malade,
est entouré de plusieurs hommes politiques).
Oncle Sam en danger (au
centre, affublé d'un drapeau américain et d'un bonnet, entouré par les
membres du gouvernement).
Ainsi, contrairement à ce que l'on
pourrait penser aujourd'hui, Oncle Sam ne fut pas, dès son apparition, le
symbole d'une Amérique forte et prospère. Au contraire, il eut une
connotation plutôt négative, représentant plutôt le gouvernement et toutes
ses erreurs.
Oncle Sam malade de la grippe,
1837.
A cette époque, la personnification des
Etats-Unis n'était donc pas l'Oncle Sam mais Frère Jonathan (Brother
Jonathan en anglais), qui représentait non le gouvernement américain
mais le peuple.
Ce personnage, présenté sous les traits
d'un homme jeune (Jonathan était un prénom populaire à l'époque), avait fait
son apparition bien plus tôt, à compter des années 1780. Cependant, la
première caricature représentant le personnage date de 1813 (toujours dans
le contexte de la guerre anglo-américaine de 1812).
Frère Jonathan administrant une
potion cordiale salutaire à John Bull, 1813.
Au fil des années, l'apparence de Frère
Jonathan évolua progressivement, les dessinateurs successifs l'affublant
d'un manteau à queue-de-pie, d'un chapeau haut-de-forme, et de pantalons
rayés (à l'image du drapeau américain).
Frère Jonathan faisant face à la menace
catholique, propagée par l'immigration irlandaise.
Cependant, alors qu'au milieu du XIX°
siècle, Oncle Sam évoluait vers une représentation plus paternaliste et
moins associée à la corruption de l'Etat, Frère Jonathan conservait un
caractère jeune et naïf.
Mais en 1861 éclata la guerre de
Sécession,
conflit opposant Abraham Lincoln, président de l'Union
(c'est-à-dire les Etats du nord), et au nord, et Jefferson Davis,
président de la Confédération (c'est-à-dire les Etats du sud).
L'Oncle Sam et Frère Jonathan furent alors affublés de jumeaux (ou de
doubles) par les caricaturistes, symbolisant la lutte entre le Nord et le
Sud (c'est ainsi qu'apparurent Jonathan North et Jonathan South).
Abraham Lincoln (à gauche) et Jefferson Davis (à droite).
Jonathan North contre Jonathan South.
A noter que d'autres personnages furent
créés au cours de ce conflit, tels que Billy Yank (représentant
l'Union) et Johnny Reb (symbolisant la Confédération).
Billy Yank contre Johnny Reb, représentation symbolique de l'affrontement entre le Nord et le
Sud.
C'est à cette époque que l'Oncle Sam
commença à partager les mêmes attributs vestimentaires que Frère
Jonathan (haut-de-forme, veste en queue-de-pie, pantalons rayés,
barbichette), même si les deux personnages ne représentaient pas la
même chose. Cependant, l'Oncle Sam commença à être associé à Abraham
Lincoln (avec qui il partageait certains attributs), bénéficiant de
la grande popularité du président américain.
Oncle Sam luttant contre la corruption de
l'Etat, vers 1862.
A compter de 1870, l'Oncle Sam
détrôna définitivement Frère Jonathan, même si ce dernier continua à
apparaître dans la Presse jusqu'au milieu des années 1880... sous
les traits de l'Oncle Sam ! A noter par ailleurs que l'image de
Johnny Reb, le sudiste aigri, continua d'exister pendant quelques
années après la fin de la guerre de Sécession.
Représentation tardive
de Frère Jonathan sur une boîte de tabac, vers 1880 (à gauche) ; à
droite, Johnny Reb rendu aigri par la défaite, vers 1870 (à droite).
Cependant, c'est au cours des années
1880 qu'Oncle Sam fut contraint de faire face à sa rivale
Colombia, représentant elle aussi les Etats-Unis d'Amérique. A
noter que cette dernière était de conception bien plus ancienne,
ayant été mentionnée pour la première fois à compter du XVII° siècle
(pendant un temps, les érudits souhaiter donner le nom de
Columbia ou Columbina aux Treize colonies, en l'honneur
de Christophe Colomb).
Colombia.
Colombia, inspirée de la déesse
Athéna (à l'instar Marianne, personnification de la
France), fit sa première apparition, elle aussi, pendant la guerre
anglo-américaine de 1812. Dans la plupart des représentations, cette
dernière était affublée d'une toge gréco-romaine et d'un bonnet
phrygien étoilé, portant la bannière étoilée et un bouclier à
l'effigie du drapeau américain (et parfois accompagnée d'un aigle).
Cependant, contrairement à Oncle Sam et Frère Jonathan, qui étaient
considérés comme des personnages humains, Colombia bénéficiait d'un
statut quasi-divin.
Caricature représentant Colombia,
Napoléon et John Bull, 1812.
Suite à la guerre de Sécession, les
caricaturistes présentèrent l'Oncle Sam et Colombia comme un couple,
l'un personnifiant le gouvernement, l'autre les idéaux de
l'Amérique. Cette dernière bénéficia ainsi d'une grande vague de
popularité à la fin du XIX° siècle, devenant l'effigie de l'exposition
universelle de Chicago en 1893.
Colombia et Oncle Sam présentent
l'exposition universelle de 1893.
Cependant, si le personnage de
Colombia fut mis à profit pendant le premier conflit mondial, il
disparut progressivement pendant l'entre-deux-guerres.
Quant à l'Oncle Sam, qui adopta sa
forme définitive à compter de 1898, il devint finalement la seule
personnification des Etats-Unis d'Amérique, obtenant une
reconnaissance internationale lors de la Grande Guerre, grâce
à la célèbre affiche de propagande I want YOU for U. S. Army
(j'ai besoin de VOUS pour l'armée américaine).
I want YOU for U. S. Army,
1917.
Toujours utilisé pendant
l'entre-deux-guerres et le second conflit mondial, l'Oncle Sam
commença à être présenté comme le côté obscur des Etats-Unis à
compter des années 1960, en rejet de la guerre du Viêt-Nam, de
la Guerre Froide, de la politique américaine en Amérique du sud,
etc.
Caricature de l'Oncle Sam, vociférant :
Réchauffement climatique ? Et après vous allez nous dire que nous
descendons du signe...
L'Oncle Sam, qui connut toutefois un
retour en grâce en 2001, suite aux attentats du World Trade Center,
reste aujourd'hui un personnage ambivalent, représentant aussi bien
les valeurs et les traditions américaines que l'appétit débordant
des Etats-Unis
.